Agostino CARRACCI (Bologne 1557-Parme 1602)

« Etude d’homme, le genou droit à terre, le bras droit replié derrière la nuque, la main gauche en appui »

Sanguine sur papier préparé beige. Annoté à la pierre noire Ag. Carracci en bas à gauche. Porte une inscription à la pierre noire au verso Agostino Carrachi. Porte une inscription à la sanguine au verso Fransesco Albani

Notre belle étude d’homme agenouillé évoque la fin du mouvement maniériste soutenu par les frères Carrache en cette dernière décennie du XVIe siècle. La réalisation des décors monumentaux à fresque par Annibal Carrache, en collaboration avec Agostino pour la galerie du Palais Farnèse, va permettre à ces derniers d’exprimer tout l’éclat de leur talent créatif.

Bellori évoque l’existence de dessins préparatoires d’Annibal Carrache pour concrétiser les inventions les plus complexes de ce cycle. Les contours nerveux et redessinés du corps de notre modèle masculin plaident en revanche pour une attribution à Agostino, qui lui aussi, a élaboré des esquisses sous la direction de son frère.
Lors de l’exposition au Palais Farnèse « De la Renaissance à l’Ambassade de France » (2011) Silvia Ginzburg a souligné le rôle majeur d’Agostino dans la conception graphique des fresques. Dans notre dessin, le traitement des ombres sont rendues par des hachures fines et resserrées sur l’ensemble du corps qui estompent les contrastes de la musculature et la définition de la forme.

Notre dessin inédit est une étude préliminaire réalisée d’après un modèle d’atelier pour le personnage de Pan dans la fresque L’Amour vainqueur de Pan (« Omnia Vincit Amor ») réalisé en 1590-1591 par Agostino sur la cheminée d’une des salles du rez de chaussée du Palais Magnani, (Bologne) et maintenant détachée et conservée au Palais Segni Masetti, Bologne. (Fig. 1)
En dessinant la silhouette, Agostino ajusta légèrement la position et on constate de nombreux repentis dans les contours de la tête, le genou gauche et le pied droit. Les contours fermes et rythmés sont typiques à la fois du style d’Agostino et de son frère cadet Annibal, même si le traitement de la ligne de ce dernier est beaucoup plus appuyé. Par contre, les hachures en croisillons légèrement marquées et particulièrement visibles sur la poitrine de Pan sont tout à fait caractéristiques de la touche d’Agostino. Cet effet en « filet de poisson » renvoie au type de dégradés employés dans les dessins à la plume du Parmesan et, avant lui, à ceux de Raphaël. Cet usage révèle également l’étendue de l’influence de la gravure, bien maîtrisée par Agostino, sur ses œuvres dessinées.
Il y a à la fois des similitudes et des différences entre les formes peintes et dessinées de Pan, ce qui indique que cette étude fut réalisée très tôt dans la conception de la fresque. Elles ont en commun la position du bras gauche qui défend le corps de Pan contre l’attaque de l’Amour ; la paume de la main gauche de Pan placée à plat contre terre (la main dans la fresque est protégée par la flûte de Pan) ; la tête et le corps du personnage inclinés vers la droite ainsi que les plis autour de son nombril et de son ventre.

En ce qui concerne les différences, elles comprennent la jambe droite à terre ; la main droite qui protège la tête du personnage au lieu d’attraper l’avant bras droit de l’Amour ; et l’absence de cornes naissantes, de barbe et des pattes de satyre. Un examen minutieux de ce dessin démontre que l’artiste a fait référence à la moitié animale de Pan en représentant quelques rares poils qui poussent du côté éclairé de la cuisse droite du jeune Pan. Ce raccourci graphique indiquant la présence de fourrure rappelle les quelques boucles sur la cuisse gauche de Pan dans un dessin fait par Agostino lors d’une étape ultérieure du développement de la composition et aujourd’hui conservé au Musée J. Paul Getty (Los Angeles) (Fig. 2)
Un autre dessin d’Agostino (Bibliothèque royale du château de Windsor) reprend la configuration des deux combattants dans le dessin du Getty, mais présente encore plus de hachures en croisillons sur les corps de l’Amour et de Pan, avec une fourrure rudimentaire décrite plus en détail. (Fig. 3)

Le motif du dessin de Pan protégeant sa tête avec sa main droite n’a pas été inclus dans la composition finale de l’Amour vainwueur de Pan. A sa place, la main droite de Pan attrape le bras gauche de l’Amour alors que le satyre autoritaire est jeté à terre.
Néanmoins une variante de la main protégeant la tête en geste de défense se trouve dans la fresque d’Agostino, Encelade renversé, à la Casa Sampiere Bologne, datable vers 1593-1594.

On peut enfin rapprocher notre étude d’homme avec un autre dessin, donné à Annibal Carrache, traité à la pierre noire rehaussée de craie blanche, et préparatoire pour Hercule Portant le Monde dans le Camerino Farnèse (Conservé au Musée des Beaux Arts d’Atlanta). Dans ce dernier, le traits est plus enlevé et plus souple, les hachures plus estompées. Le dessin semble aérien, comme si Hercule flottait dans les nuées. Rien de tel dans notre sanguine, dont l’aspect massif et compact du modèle masculin s’offre à nous dans une pose complexe quasi contorsionniste. Les références à l’Antiquité sont flagrantes, et l’on pense notamment au Torse du Belvédère, ou encore à l’Atlas de la Collection Farnèse.

Nous remercions M. Nicholas Turner pour son aide précieuse dans la rédaction de cette notice.

Bibliographie :
- S.GINZBURG, La Galerie Farnèse, les fresques des Carrache à l’ambassade de France à Rome, Gallimard, Paris, 2010
- Palais Farnèse, de la Renaissance à l’Ambassade de France, catalogue d’exposition, déc 2010-avril 201, Acte Sud/Giunti, Rome, 2011
- The Drawings of Annibale Carracci , catalogue d’exposition à la National Gallery, sept 1999-janv 2000, Washington, 1999
- C.LOISEL et V.FORCIONE, King’s drawing from the Musée du Louvre, catalogue d’exposition au Musée d’Art d’Atanta, High Museum of Art, 2006. Voir Hercule portant le Monde d’Annibal Carrache, reproduit sous le n°69
- C.LEGRAND, Le dessin à Bologne 1580-1620, La réforme des trois Carracci, catalogue d’exposition au Musée du Louvre, juin-sept 1994, RMN, Paris, 1994
- S.MACCHIONI, Annibale Carracci, Ercole al bivio : dalla volta del Camerino Farnese alla Galleria Nazionale di Capodimonte. Genesi e interpretazioni in « Storia dell’arte » n. 41/43, pp. 151–170, 1981
- N. TURNER, European Drawings, 4, Catalogue of the Collections, Los Angeles, 2001. Voir le dessin du J. Paul Getty Museum, pp. 27-31, no. 11
- R. WITTKOWER, The Drawings of the Carracci in the Collection of Her Majesty The Queen at Windsor Castle, London, 1952. Voir reproduction du dessin du Windsor Castle, p. 111, no. 94

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