Jean de SAINT-IGNY (Rouen, 1590/1600 - Rouen, 1647)

Jeune homme coiffé d’une toque tailladée vu de dos

19 x 14,4 cm

Circa 1630.
Sanguine. Filigrane : initiales AR dans un cadre surmonté d’une croix (emploi attesté à Paris dans le premier tiers du XVIIe siècle).

Provenance
• Album issu du fonds de l’atelier de Jean de Saint-Igny (d’après Jacques Thuillier).
• Collection de Sir James Tylney (Tilney) Long (1736-1794), 7e baronet, Wanstead House, Essex, Grande-Bretagne, puis sa descendance.
• Collection du Révérend Geoffrey S. Bennett (1902-1991), Carlisle, Cumbria.
• Vente Christie’s, Londres, 26 mars 1974, lot 109 (comme de Bellange).
• Collection Mme Orey, New York.
• Acheté en 1988 par Jan Krugier (1928-2008) et Marie-Anne Krugier-Poniatowski (née en 1931).
• Collection Jan et Marie-Anne Krugier-Poniatowski, Genève, inv. JK 4081, jusqu’en 2015.

Expositions
- 2000, Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza, Miradas sin Tiempo. Dibujos, Pinturas y Esculturas de la Coleccion Jan y Marie-Anne Krugier-Poniatowski, Madrid, 2000, p. 122, no 45, reproduit en couleur p. 123 (comme Jacques de Bellange).

C’est en 1927 que l’historien de l’art Pierre Lavallée attribua à Jacques de Bellange une sanguine représentant une Allégorie de l’Odorat qui venait d’entrer à l’École des Beaux-Arts de Paris avec la collection Jean Masson (27,5 x 19,8 cm, inv. M.791). Le même nom d’artiste fut, dès la décennie suivante, attaché aux deux Têtes de fantaisie du musée des Beaux-Arts de Rennes (inv. 794.1.2577 et 2578), puis à une quarantaine d’autres feuilles semblables, dont un album factice mais ancien de quatorze dessins, autrefois dans la collection de Sir James Tylney Long d’où provient également notre dessin. Malgré leur parenté avec le maniérisme luxueux et exubérant de Bellange, ces petits « portraits » de jeunes hommes et de jeunes femmes élégamment vêtus présentaient toutefois des différences notables avec les gravures de ce dernier et n’apparaissaient dans aucune des œuvres du maître lorrain. Le mystère fut résolu par Pierre Rosenberg lorsqu’il parvint à lire « sainct ygny ft » sur un Homme agenouillé à la sanguine indiscutablement de la même main, exposé pour la première fois en 1981 (Allemagne, collection particulière). Dès lors, l’ensemble fut retiré à Bellange pour constituer un nouveau corpus, celui du peintre, dessinateur et graveur normand Jean de Saint-Igny.

Né dans les dernières années du XVIe siècle, fils d’un « maître menuisier », Jean de Saint-Igny commença son apprentissage dans sa ville natale de Rouen en 1614. Toujours à Rouen en 1620, il partit ensuite pour la capitale où son nom est mentionné dès 1628 comme maître peintre au faubourg Saint-Germain-des-Prés. Il demeurait rue Saint-Germain, « en la maison où pend pour enseigne Le Grand Turc ». À Paris, le jeune artiste côtoyait les peintres célèbres, comme Georges Lallemant, Claude Vignon ou Quentin Varin, et reçut des commandes prestigieuses, dont la première dès 1629 concernant le décor de la chapelle Notre-Dame du couvent des Petits-Augustins. Pour autant, Saint-Igny ne rompit guère les attaches avec Rouen : il participa, en 1631, à la fondation de la confrérie de Saint-Luc de Rouen et y fut élu maître en 1635. Son activité artistique dans les années 1630 se partagea entre les commandes de peintures pour des églises de la capitale et de Normandie et un important travail comme dessinateur d’édition. Deux recueils d’estampes d’après ses inventions paraissent dès 1629 : Le Théâtre de France contenant la diversitez des habits selon les qualitez et conditions de personnes gravé par Isaac Briot et le Jardin de la noblesse françoise dans lequel ce peut ceuillir leur manierre de Vettements gravé par Abraham Bosse.

L’année suivante, l’artiste obtint le Privilège du roi pour son livre les Elemens de pourtraiture ou la métode de representer & pourtraire toutes les parties du corps humain dont il fut lui-même graveur et éditeur. Ce véritable traité fut accompagné d’illustrations et suivi de deux séries de planches représentant des demi-figures d’hommes et de femmes vêtus avec élégance dans des attitudes diverses, ainsi que des anatomies dans des paysages. Toujours en 1630, Saint-Igny fit paraître les Diversitez d’habillemens à la mode, puis la Noblesse françoise à l’église. Quelques années plus tard, il paraît s’être définitivement retiré à Rouen où il mourut en 1647.
La plupart des « portraits » raffinés et gracieux à la sanguine de Saint-Igny datent de l’époque des Elemens de pourtraiture, car, bien qu’aucun ne paraisse avoir servi de dessin préparatoire aux gravures du traité, ils en partagent la présentation (ill. 2). Notre dessin illustre ainsi parfaitement ce passage qui vise à « enseigner facilement l’art de Pourtraiture à ceux qui n’en ont cognoissance » : « la quatriesme [scituation naturelle de la teste] est la declinante qui est une disposition de la teste veuë entre le pourfil & le front, ou entre le pourfil & le revers » (p. 7).

Les sanguines de l’artiste sont vraisemblablement des travaux d’atelier libres, réalisés dans le cadre de la réflexion préalable à la rédaction du traité ou immédiatement après son achèvement. L’audace des poses et des raccourcis, le raffinement décoratif des atours, la sensualité exacerbée des attitudes et des expressions font de ces dessins les feux ultimes du maniérisme en France à l’heure où s’impose le grand style de Simon Vouet. En même temps, leur facture d’une grande spontanéité et l’exécution particulièrement brillante semblent augurer la manière des grands dessinateurs du XVIIIe siècle, tels Watteau ou Pater. Notre dessin en est un remarquable exemple, puisque Saint-Igny parvient à y saisir l’essentiel de la figure avec quelques traits seulement qui se mêlent en un foisonnement exubérant. Les boucles de la chevelure et les éléments ornementaux – tour de bonnet, plumet, rubans sur l’épaule, porte-épée – sont rendus par une libre combinaison de virgules décoratives, de torsades, d’ondulations, de croisements et de spirales qui suggère la richesse et la variété des formes plus qu’elle ne la restitue. Les hachures de sanguine grasse, serrées et fondues, mettent en évidence les bords de la toque tailladée, tandis que la ligne fine, géométrique et savante, trace le contour du visage, nullement perturbée par la complexité du raccourci.

Bibliographie
Christopher Duran COMER, Studies in Lorraine Art, ca. 1580- ca. 1625, thèse de doctorat, Université de Princeton (reproduction d’après microfilm par University Microfilms International), p. 262, n° 87 (comme Jacques de Bellange).
Alexander DOCKERS (dir.), Linie, Licht und Schatten. Meisterzeichnungen und Skulpturen der Sammlung Jan und Marie-Anne Krugier-Poniatowski, catalogue d’exposition, Berlin, Kupferstichkabinett, Staatliche Museen zu Berlin, 1999, p. 395, reproduit (comme Jacques de Bellange).
Alexander DOCKERS (dir.), The Timeless Eye. Master Drawings from the Jan and Marie-Anne Krugier-Poniatowski Collection, catalogue d’exposition, Berlin 1999, p. 396, reproduit (comme Jacques de Bellange).
Jacques THUILLIER, Jacques de Bellange, catalogue de l’exposition, Musée des Beaux-Arts de Rennes, Rennes 2001, p. 323 (comme Jean de Saint-Igny).

Thomas CARINO, Le Peintre-graveur Jean de Saint-Igny, thèse de doctorat, Université Paris IV-Sorbonne, 1999.
Charles-Philippe de CHENNEVIERES, Recherches sur la vie et les ouvrages de quelques peintres provinciaux de l’ancienne France, Paris, Dumoulin, 1847.
Jules HEDOU, Jean de Saint-Igny, peintre, sculpteur et graveur rouennais, Paris, Librairie ancienne et moderne, E. Augé, 1887, 54 p.
Emmanuelle BRUGEROLLES (dir.), Le Dessin en France au XVIIe siècle dans les collections de l’École des Beaux-Arts, catalogue d’exposition, Paris, Genève, New York, 2001, p. 80-92.

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