Attribué à César Constantino R. CERIBELLI (Rome, 1841 – Boulogne-sur-Seine, 1918)

Profil d’homme vêtu d’une armure à l’antique (Persée ou Alexandre le Grand ?)

Ca 1895. Bronze. Fonte au sable ciselée, patine brune. Large encadrement d’origine en bois vernissé. Fondeur E. Tassel (?).

Provenance :
France, collection particulière.

Les Profils disparus en bronze de Verrocchio

À lire Vasari, vers 1480, peu après son célèbre David, Andrea del Verrocchio fit « deux têtes de bronze (teste di metallo), une d’Alexandre le Grand, de profil, et l’autre de Darius de son invention, toutes deux en demi-relief (mezzo rilievo) et chacune différente de l’autre dans les cimiers, les armures et les ornements. Lequelles têtes furent toutes deux envoyées par Laurent de Médicis le Magnifique au roi Mathias Corvin en Hongrie, ensemble avec beaucoup d’autres belles choses ». Les profils imaginaires des grands capitaines de l’Antiquité étaient sans doute destinés au château de Buda que Mathias Ier, grand amateur d’art et de belles-lettres, était alors en train de rebâtir dans le plus pur style Renaissance et en employant les meilleurs artistes Florentins et Napolitains. Surnommé « la perle du Danube », le château royal de Buda fut pris par l’armée ottomane en 1526 et détruit, mais la trace des oeuvres de Verrocchio se perd bien avant ce désastre.

Il fallut attendre le XIXe siècle et l’acquisition, en 1847 en Italie, par Eugène Piot, collectionneur de sculptures et critique d’art, d’un marbre ancien représentant Scipion l’Africain, pour que ressurgisse la question des deux reliefs du maître de Léonard (Musée du Louvre, inv. RF 1347). Le jeune homme au profil volontaire, vêtu d’une armure antiquisante avec ses longues lanières de cuir, ses spalières (protections de l’épaule) en forme d’écailles et son harpie ailée et menaçante sur le gorgerin, coiffé d’un casque aux motifs de coquille et de lauriers surmonté d’un dragon, n’était ni Alexandre le Grand ni Darius, mais le nom de Verrocchio fut rapidement évoqué à son propos. On reconnut que le dessin de la tête était un peu froid, un peu trop imité de l’antique, sans ce raffinement qui font l’attrait des oeuvres de Verrocchio, mais que le marbre d’Eugène Piot tirait sans doute son inspiration d’Alexandre perdu du roi de Hongrie, d’autant que c’était le nom associé à la terre cuite très semblable d’Andrea della Robbia de Vienne (Kunsthistorischesmuseum, inv. KK 7491).

On évoqua rapidement le Condottière de Léonard, dessin à la pointe d’argent montrant un homme âgé aux traits particulièrement sévères et tourné de profil à gauche, comme souvenir ou relevé du portrait perdu de Darius (Londres, British Museum). En 1921, Eric Maclagan fit le rapprochement avec une terre cuite de Della Robbia très semblable au dessin de Léonard (autrefois Berlin, Kaiser Friedrich Museum, perdu). Puis, on avait découvert à New York un marbre superbe portant haut la main de Verrocchio et assez différent des autres : le relief y était plus haut, les lignes plus gracieuses et le buste disposé de trois-quarts (Washington, National Gallery of Art, inv. 1956.2.1). On finit même par douter de la véracité des propos de Vasari et de supposer que Laurent le Magnifique fit présent à Mathias de deux marbres, et non de bronzes. Et enfin, on prononça le nom de Francesco di Simone Ferrucci (1437-1493) comme possible auteur du buste de Scipion d’Eugène Piot, entré au Louvre en 1903.

Mais à la fin du XIXe siècle, on était encore à parler de Verrocchio et de Léonard à propos de ce marbre, que le collectionneur montrait très volontiers aux chercheurs et aux artistes. C’est ainsi que ce Scipion de la Renaissance inspira l’un des sculpteurs parisiens à la création d’un buste en bronze, peut-être de Persée ou d’Alexandre le Grand. Pour autant, il ne s’agissait nullement d’une copie servile ni d’une réplique plus ou moins ressemblante, mais bien d’une réinterprétation très personnelle et chargée de sens, tout à fait dans le goût de l’école symboliste. Malheureusement, notre bronze ne porte ni signature, ni cachet, ni marque de fondeur capables d’aider à son attribution. Par ailleurs, le cartouche qui était fixé sur la traverse inférieure du cadre a disparu sans que l’on sache ce qu’il contenait. Cependant, une réplique beaucoup moins travaillée en bronze poli, passée en vente à Londres en 2003, portait, sur la base, l’inscription « E. Tassel edr. [editeur] ». Il s’agit d’une signature du fondeur parisien Étienne (?) Tassel qui travailla pour Emile Peynot, Friedrich Beer et surtout César Ceribelli, sculpteur italien né à Rome établi à Paris.

L’Artiste

Élève de Rodolini et de Chelli à l’Académie de France à Rome, Ceribelli fut naturalisé français en 1866. Membre de la Société des Artistes Français, il exposa aux Salons jusqu’en 1907. Dès ses premières participations, il se fit une spécialité d’allégories historiques, de bustes en marbre de personnages imaginaires du passé, souvent ensuite reproduits en bronze. Son oeuvre la plus célèbre est Bianca Capello de 1881 et dont il subsiste l’original en marbre et plusieurs tirages de bronze (Beauvais, musée départemental de l’Oise, inv. 002.6.2). La jeune femme au visage très idéalisé est vêtue d’une robe improbable fourmillant de détails sans aucun rapport avec la mode de la Renaissance italienne et coiffée d’un étrange bonnet de dentelle surmonté d’une panthère. Mêmes vêtements fantaisistes et travaillés dans le buste de Dea Victrix (Minerve), celui d’une Dame au chapeau et, dans la moindre mesure, celui d’une Jeune femme.

Notre Relief

Cette même invention détachée de toute considération de vraisemblance historique se retrouve dans notre buste, à la fois très proche et très éloigné de son prototype renaissant. Certes, les dimensions sont proches de ceux du Scipion, ainsi que la disposition du corps, le visage lisse, le casque au dessin de coquillage et visière relevée, les spalières en écailles, les lanières de cuir qui partent du casque et des attaches de la cuirasse pour se poser sur la base de la sculpture. Mais, en réalité, chaque détail est différent. Le profil du jeune homme est moins classique, plus viril, avec un nez légèrement aquilin qui n’est pas sans rappeler celui de Bianca Capello de Ceribelli. Les pommettes sont plus marquées, ainsi que les arcades sourcilières, et les cheveux non plus bouclés mais droits et ébouriffés. Le casque, au contour accidenté et presque incohérent (ainsi la volute sur la tempe ou l’échancrure trop large au niveau de l’oreille) n’est plus surmonté d’un dragon, mais reçoit les ailes du monstre, et d’autres détails venus tout droit du dessin de Léonard. La harpie du gorgerin se transforme en personnage masculin barbu, et son expression est plus calme pour mieux mettre en avant la détermination du jeune homme et surtout les gueules ouvertes et les postures menaçantes de trois dragons qui ornent la visière du casque et l’épaule.

Ces dragons font croire que le modèle pourrait être Persée qui en avait combattu un pour libérer Andromède – on songe notamment à la peinture d’Edward Burne-Jones conservée à la Staatsgallerie de Stuttgart où Persée porte un casque orné d’une volute et l’armure aux spalières en écailles de poisson. Mais l’artiste aurait pu également faire figurer Alexandre le Grand pour faire ressusciter en quelque sorte le bronze évanoui de Verrocchio dont parle Vasari.

On ignore combien d’exemplaires du buste furent tirés. Notre version est la seule à être aussi soigneusement travaillée et surtout la seule où le profil et tous les contours soient repris par la ciselure. Il semble que, comme souvent, le modèle initial fut réutilisé par le fondeur, d’abord tel quel, puis coupé de façon à minimiser le poids de la sculpture. On a également tenté de lui constituer un pendant, mais cette figure de Persée avec Pégase sur le casque et Méduse sur gorgerin, connue uniquement par des tirages postérieurs, s’avère trop maladroite, trop facilement lisible et trop efféminée pour imaginer qu’une version semblable à notre bronze ait été ici également réemployée.

Car si l’identité du personnage continue à nous échapper, c’est que le symbolisme n’aime guère les évidences, mais opère par illusions, allusions et expressions. L’imagination est son maître-mot et l’héritage antique ou renaissant n’est là que comme inspiration, non comme un exemple ou la perfection incarnée. La mythologie avec ses héros et demi-dieux comme Persée et l’histoire antique où se mêlent réalité et légendes constituent, pour les artistes symbolistes, une source inépuisable et particulièrement riche de sens et d’interprétations. Un regard mélancolique sur le passé, une évocation plutôt qu’une simple transposition, une stylisation, une interprétation : notre buste est tel un dialogue avec son prototype ancien, une réponse artistique aux questionnements des chercheurs sur le Scipion du Louvre.

Tirages connus :
• Collection particulière, bronze poli (vente Christie’s, Londres, 22 mai 2003, lot 147).
• Collection particulière, bronze patiné ciselé (vente Brunk Auctions, 10 mars 2012, lot 148, H. 50,5 ; L. 34).

Bibliographie :
• Emile Bertaux, « Le secret de Scipion : essai sur les effigies de profil dans la sculpture italienne de la renaissance », Mélanges offerts à M. Henry Lemonnier, Paris, Champion, 1913, p. 71-92.
• Eric Maclagan, « A stucco after Verrocchio », Burlington Magazine, vol. XXXIX, 1921, p. 131-137.
• Leo Planiscig, « Andrea del Verrocchios Alexander Relief », Jahrbuch der Kunsthistorischen Sammlungen in Wien, VII, 1933, p. 89-96.
• Francesco Caglioti, « Andrea del Verrocchio e i profili di condottieri antichi per Mattia Corvino », Péter Farbaky, Louis A. Waldman (dir.), Italy & Hungary. Humanism and Art in the Early Renaissance, actes de colloque, Villa I Tatti, Florence, 2011, p. 505-551.
• Dániel Pócs, « White marble sculptures from the Buda Castle : Reconsidering some facts about an antique statue and a fountain by Verrocchio », ibidem, p. 553-608.

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