Fasciné par le dessin qu’il pratique depuis son plus jeune âge, Nicolas de Largillierre se dirige naturellement vers la peinture, malgré les réticences de son père. Élevé à Anvers où sa famille avait emménagé, il débute sa formation auprès du peintre Antoon Goubau (Anvers, 1616-1698) qui ne tarde pas à déceler son talent : « vous en sçavez assez pour travailler par vous-même ; allez et volez de vos propres ailes » et le conduit à rejoindre la guilde de Saint-Luc d’Anvers où il est reçu maître en 1674.
Après deux voyages fructueux en Angleterre, Largillierre s’installe à Paris et lance pleinement sa carrière de portraitiste, bien que l’Académie n’en ait encore qu’une estime relative. Nourri des influences reçues de ses diverses formations, il trouve notamment l’inspiration grâce à sa rencontre avec l’artiste Peter Lely (Soest, 1618 – Londres, 1680), devenu son ami et probablement son maître durant quelques mois. De son enseignement, Largillierre retiendra les poses naturelles ainsi que le travail mené sur la lumière, inondant les visages doux et sensibles de ses modèles.
Conjuguant préciosité et élégance, Largillierre est apprécié en France pour le renouveau stylistique qu’il insuffle à l’art du portrait : sa formation anglo-flamande lui apprend notamment à maîtriser les contrastes saisissants de couleur entre les étoffes et la blancheur des carnations en se rapprochant d’une imitation de la nature.
Contrairement à son principal rival Hyacinthe Rigaud (Perpignan, 1659 – paris, 1743), « Largillierre eut peu de liaison avec la cour de France, auprès de laquelle il n’a jamais fait aucune démarche, il aimait mieux, à ce qu’on m’a dit plus d’une fois, travailler pour le public (…) ». En choisissant de se rapprocher de la bourgeoisie intellectuelle montante qui se taille une place de plus en plus importante au sein de la société, Largillierre se démarque de ses contemporains académiciens qui défendent avec ferveur son enseignement : un portrait n’est estimable que lorsqu’il reflète la condition sociale du modèle. Amateurs et collectionneurs affectionnent particulièrement la capacité de l’artiste à traduire la distinction française à travers la juvénile ardeur et le charme contenu commun à toutes ses figures. Loin des portraits d’apparat aux visages figés, Largillierre se dédie au portrait de chevalet comme moyen d’exprimer l’élégance mais surtout l’intimité de ses modèles, dont la plupart sont issus de son cercle personnel.
Notre tableau présente l’un de ces portraits très appréciés par la haute société. Dépeint sur un fond sombre, un homme est représenté en buste, légèrement de trois quarts. Sa silhouette disparaît sous les plis opulents d’un manteau de velours d’un rouge flamboyant laissant apparaître une doublure de brocards d’or et une cravate de dentelle bleue et blanche, couleurs royales. Calme et serein, le visage de cet homme fixe intensément le spectateur. L’œil est attiré par sa volumineuse perruque à hauteur dite « à la royale », retombant sur ses épaules. Plus qu’un élément de confort et de prestance, la perruque est un accessoire de mode indispensable, symbole de distinction, de richesse et de pouvoir.
Bien qu’aucune mention ne permette d’identifier notre modèle, la figure ici dépeinte se rapproche de nombreux illustres visages de la fin du XVIIe siècle (ill. 1 et 2). Le canon de beauté est ici pleinement respecté : dans une volonté d’estomper les traits de l’âge, l’artiste porte une attention particulière au rendu du regard et à son intensité psychologique. L’infime sourire du modèle révèle son assurance, son portrait lui permet d’assoir son autorité pour la postérité. L’élégance et le réalisme exacerbé sont rendus à travers une exécution minutieuse des matières dans laquelle le peintre excelle. À travers une palette chromatique colorée et équilibrée, les effets d’ombre et de lumière modèlent les traits du visage et apportent du relief à cette figure qui paraît sortir du cadre.
Travailleur infatigable, peintre de l’élite du patriarcat parisien, Largillierre élève progressivement l’art du portrait à son plus haut niveau d’exigence. Alliant naturel et artifice, sa renommée fut telle qu’elle lança une mode : chaque intérieur bourgeois considéré par la société se devait d’orner ses murs d’une œuvre de sa main. Loin de la cour française, son talent sera également reconnu au-delà des frontières par les plus illustres personnages de son temps, dont le roi Jacques II d’Angleterre et le roi Auguste II de Pologne qui lui réclameront eux aussi leur portrait.
Nous remercions Monsieur Dominique Brême d’avoir confirmé l’authenticité de notre portrait qui sera inclus au catalogue raisonné de l’artiste en préparation.
M.O