Atelier de François-André VINCENT (Paris, 1746 – 1816)

Arria et Poetus

41,5 x 48,5 cm (chaque)

Pierre noire, plume et lavis d’encre noire au pinceau

Provenance :
• France, collection particulière.

Bibliographie :
• Jean-Pierre Cuzin, Vincent Entre Fragonard et David, Arthena, Paris, 2013

Né d’une famille genevoise, la formation du jeune François-André Vincent débute à Paris auprès de son père, le miniaturiste François-Elie Vincent (1708-1790), professeur à l’Académie de Saint-Luc établi dans la capitale depuis 1733. D’après les écrits de Pierre-Jean-Baptiste Chaussard (1766-1823) c’est le peintre Alexandre Roslin (1718-1793) « qui détermina le père du jeune artiste à le faire passer du comptoir dans l’atelier ; il entra dans celui de M. Vien » . L’enseignement de François-André, âgé de 15 ans, se poursuit ainsi dans l’atelier de Joseph-Marie Vien (1716-1809), professeur à l’Académie royale, fameux peintre d’Athéniennes qui prédétermine certainement l’engouement du jeune peintre pour les sujets de l’Antiquité gréco-romaine. Tout au long de sa carrière, Vincent demeure très attaché à l’enseignement de son maître.
Le don du jeune artiste dans le maniement du pinceau lui permet de remporter en 1767 le Prix d’expression fondé sept ans plus tôt par le comte de Caylus. Il obtient le Grand Prix de Rome l’année suivante et séjourne ainsi en Italie jusqu’en 1775 avant d’intégrer l’Académie royale deux ans plus tard. Vincent est considéré comme l’un plus éminents peintres de sa génération, une réputation qu’il cultive à travers un atelier prolifique. Nos dessins sont deux exemples probants de la qualité de l’enseignement délivré par Vincent à la fin du XVIIIe siècle.

Au milieu des années 1780, Vincent est confronté au succès montant de son contemporain Jacques-Louis David (1748-1825) qui présente au Salon de 1785 le Serment des Horaces terminé un an plus tôt. Sur commande royale, Vincent produit Arria et Poetus, sujet tiré de l’antiquité romaine qu’il rend en deux toiles datées 1784 pour la première et 1785 pour la seconde, d’un plus grand format.
L’histoire de Arria et Poetus, tirée de la correspondance de Pline le Jeune (vers 61 – 113 après J.-C.), est sélectionnée par l’artiste pour sa valeur morale. Arrêté pour avoir participé à la rébellion menée contre l’empereur Claude (10 av J.-C. – 54 ap. J.-C.), Poetus est enfermé à Rome. Condamné à se donner la mort sans pouvoir s’y résoudre, sa femme Arria le rejoint afin de le convaincre de mourir honorablement : elle se poignarde devant lui et lui tend le couteau.

L’œuvre de Vincent traduit l’esprit du néoclassicisme dans sa plus pure expression. Elle illustre un acte tragique mais aussi violent, théâtralisé avec élégance et froideur. Dans la première œuvre datée 1784, Arria, tente de convaincre son époux de se donner la mort en lui tendant un poignard qu’il fixe avec terreur. Dans la seconde de 1785, Arria vient de se poignarder et, soutenue par une suivante, tend le poignard à Poetus qui se précipite vers elle les bras levés.

Pour ses œuvres finales, Vincent produit plusieurs feuilles préparatoires. Pour la version de 1784, une esquisse à la plume répertoriée dans le catalogue de l’artiste (cat. 436 D) représente, dans un cadrage plus large que la version finale peinte, trois figures dont celle d’une suivante au second-plan qui sera finalement éliminée dans la version finale. Pour la version de 1785, Vincent produit une esquisse à l’encre et au lavis brun rehaussé de blanc dont les attitudes des personnages varient là encore de la version peinte (cat. 435 D). Les différences et variations par rapport aux versions peintes rappellent le travail de réflexion de l’artiste pour construire ses œuvres.

Nos deux dessins illustrent la rigueur avec laquelle l’atelier étudie l’œuvre du maître. Dans des œuvres de formats identiques, contrairement aux toiles finales, les scènes sont représentées avec une grande acuité. Il s’agit de dessins très complets et n’omettent aucun détail de composition.
La grande habileté dans l’utilisation de la pierre noire sur des feuilles de grands formats permet de déceler que nos dessins émanent de la main d’un artiste habile dans l’atelier du maître. La directive néoclassique est parfaitement maîtrisée par la rencontre de lignes fortes en diagonales qui dynamisent d’une part et stabilisent la composition d’autre part. Les dessins font aussi preuve d’une attention particulière portée au traitement de la puissante lumière qui accentue la théâtralité de la scène. Le minutieux travail sur les expressions faciales ingénieusement éclairées permet de rendre l’exacte atmosphère tragique par laquelle Vincent capte le regard du spectateur.

Après son retour à Rome, Vincent est l’un des peintres d’histoire favoris de sa génération. Son talent est pourtant menacé par le génie davidien auquel il est confronté. Ainsi dès 1781, deux ans après le succès de l’œuvre Les Sabines , Vincent répond par un sujet original tiré de Tite-Live (I, 12) et de Plutarque (Vie de Romulus, 19) : Les Sabines ou Le Combat des Romains et des Sabins interrompu par les femmes Sabines .
Les deux exceptionnelles toiles représentant l’histoire d’Arria et Poetus du Salon de 1785 inspirent l’atelier du maître, en devenant vraisemblablement des modèles d’étude desquels furent tirés nos deux dessins.

M.O

Charger plus