Alessandro TURCHI dit l’Orbetto (Vérone 1578 - Rome 1649)

"Etude pour la déploration du Christ"

Plume, encre brune et lavis brun sur traits de pierre noire

Surnommé l’Orbetto, Alessandro Turchi est originaire de Vérone, où il débuta sa carrière. Il s’y forma auprès du peintre maniériste Felice Brusasorci, puis étudia quelques temps à Venise. Ses débuts furent brillants, et couronnés en 1609 par son entrée à la prestigieuse Academia Filarmonica. On conserve de lui, à Vérone et aux alentours, de nombreux tableaux d’autel attestant de l’indépendance de son style, qui se libéra progressivement du maniérisme pour adopter le goût classique émergeant.
Turchi s’installa définitivement à Rome en 1614 ou 1615, tout en gardant d’étroits liens avec sa ville natale vers laquelle il continuera d’envoyer des œuvres. Il se montra un travailleur assidu, composant autant de grands formats religieux ou mythologiques que de petites œuvres sur bois ou sur marbre. A son arrivée à Rome, il travailla au décor de la Sala Regia du Palais du Quirinale, aux côtés de son compatriote Bassetti, de Lanfraco, ou encore de Carlo Saraceni. Ce dernier, auquel il se lia d’amitié, l’introduisit auprès du mouvement caravagesque. Turchi en empruntera le luminisme, qu’il marie au chromatisme découvert à Venise. Sa peinture se fait désormais classique, révélant notamment sa profonde connaissance des bolonais que sont les Carrache ou Guido Reni.
Le décor de la Sala Regia fit connaître l’artiste de la noblesse et du clergé romain, ce qui lui assura des commandes régulières. Il comptait parmi ses protecteurs le cardinal et grand collectionneur Scipione Caffarelli-Borghese. Reconnu pour son talent, Turchi fut nommé en 1637 Prince de l’Académie de Saint-Luc.

Si l’on connaît bien l’œuvre peint de Turchi, son œuvre dessiné, moins étudié, fut progressivement redécouvert à partir des années 1950. Des dessins lui sont régulièrement réattribués ; c’est le Musée du Louvre qui en conserve le noyau le plus important. La plupart des feuilles qui nous sont parvenues sont des projets composés, mettant en scène plusieurs personnages. Il travaille à la plume, généralement sur une première ébauche à la pierre noire ; il rehausse ensuite ses figures d’un lavis brun franchement contrasté.
Notre dessin représente l’épisode de la Déploration du Christ : la Vierge pleure son fils mort, qu’elle tient sur les genoux. Turchi a représenté une Vierge d’allure monumentale, au corps enveloppé d’un vêtement ample, digne dans la souffrance. Sa tête est couverte d’une coiffe contemporaine. Sur ses genoux, le Christ est figuré avec un réalisme saisissant ; la tête est rejetée en arrière, dans une expression douloureuse ; le bras droit pend, inerte. Les traits de plume accusent l’anatomie du corps et détaillent les muscles. Un troisième personnage est présent aux côtés de la Pietà, ployé de douleur aux pieds du Christ, lui retenant la main gauche ; il pourrait s’agir de Marie-Madeleine. Le groupe se tient devant un enrochement qui évoque le tombeau dans lequel le Christ va être placé. Le lavis brun, accentuant les contrastes de lumière, confère à la scène un aspect dramatique.
Le corps du Christ peut être rapproché de celui que peignit Turchi dans la Lamentation sur le Christ Mort (huile sur pierre dure, Didier Aaron, Tefaf 2011) : il est alors dans la même posture, l’anatomie exacerbée, la tête rejetée en arrière et partiellement dans l’ombre, le bras pendant. Il est également intéressant de confronter notre œuvre au Christ mort soutenu par deux anges, (pierre noire, plume et encre brune, vente Christie’s, New-York, 28 janvier 1999, n° 6), pour leur proximité iconographique. Enfin le traitement contrasté des valeurs, au lavis sur des traits de plume, rappelle celui de La Décollation de saint Jean-Baptiste (plume, encre brune et lavis brun, esquisse à la pierre noire, Musée du Louvre).

Bibliographie :
D. SCAGLIETTI-KELESCIAN, E. SCHLEIER, Alessandro Turchi, detto l’Orbetto. 1578 – 1649, catalogue d’exposition, Milano : Electa, 1999
S. SUEUR, Le dessin à Vérone aux XVIe et XVIIe siècles, Paris : 1993, Vérone : 1994
E. SCHLEIER, “Drawings by Alessandro Turchi”, in Master Drawings, IX, 1971, p. 143

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