Pierre PUVIS DE CHAVANNES (Lyon, 1824 - Paris, 1898)

Etude préparatoire pour La gardeuse de chèvres

32,2 x 24 cm

1893.
Pierre noire sur papier bleu.
Mis au carreau.
Au verso, par Me Delapalme, notaire chargé de la succession de l’artiste : Côte 8e 25e pièce [et paraphe].

Provenance
· Collection de l’artiste (marque apposée après le décès, Lugt 2104 près du pied gauche du personnage).
· Collection Alfred Normand (1910-1993), Paris (Lugt 153c en bas à droite), puis par descendance.

Artiste inclassable, se tenant à distance des courants académiques comme des tendances contemporaines, et en marge de tout parti, académie ou école, Pierre Puvis de Chavannes fait figure d’indépendant parmi les peintres de son temps et apparaît aujourd’hui comme une personnalité majeure de l’art du XIXe siècle.
Lyonnais d’origine, l’artiste s’était inscrit dans l’atelier d’Henry Scheffer au retour d’un voyage en Italie, en 1846. Deux ans plus tard, après un autre séjour dans la péninsule qui lui fit découvrir les grands vénitiens, il entra chez Delacroix. Il se montra très critique envers ce maître qui exerça néanmoins sur lui une indéniable influence. Puvis de Chavannes rejoignit enfin l’atelier de Thomas Couture, auprès duquel il acheva sa formation. Son art témoigne d’une inspiration éclectique. Théodore Chassériau comptait également parmi ses références.
Présent pour la première fois au Salon en 1850, l’artiste y passa inaperçu. On l’y retrouva en 1859, et ce n’est qu’en 1861 qu’il y fut remarqué avec Concordia et Bellum, qui lui valurent une médaille et rejoignirent les collections de l’Etat. Sa carrière ne se déploya réellement qu’après la Guerre de 1870, et l’engouement pour son art perdura bien après sa mort, jusqu’à l’aube de la Première Guerre Mondiale.

Puvis de Chavannes pratiqua assidument le dessin, et notamment le modèle vivant, exposant régulièrement ses œuvres à partir de 1881. Les musées français reçurent de ses héritiers en 1899 près d’un millier de dessins ; sa famille en conserva au moins autant. Caricatures auxquelles il attachait beaucoup d’importance, ou études préparatoires protéiformes, l’œuvre graphique de l’artiste témoigne d’une grande variété de style, de technique et de sujets, qui rend son étude difficile.

Le peintre travaillait dans la tradition académique, faisant précéder ses tableaux d’un travail préparatoire de plusieurs mois, qui commençait par de nombreux croquis de mise en place de la composition, puis par une pochade en couleurs à la gouache ou à l’aquarelle. Venaient ensuite des études d’après le modèle, inlassablement recommencées jusqu’à atteindre la juste attitude. Chaque figure était traitée nue, puis drapée. Puvis de Chavannes se servait ensuite de calques pour épurer, vêtir ses modèles ou établir des groupes. Le dessin est présent jusque dans ses toiles, où il s’aperçoit en réserve, quand il n’est pas repris par-dessus la peinture.

Notre feuille compte parmi ces études préparatoires qui sont la plus grande part de l’œuvre dessiné de l’artiste. Connu surtout pour ses travaux monumentaux – les décors de la Sorbonne, du Panthéon, des Musées des Beaux-arts de Lyon ou d’Amiens, Puvis de Chavannes n’abandonna jamais la peinture de chevalet. Notre dessin est préparatoire à La Gardeuse de Chèvres, un petit tableau de maturité exécuté en 1893 et aussitôt acheté par Durand-Ruel pour la somme de 9 000 francs.

C’est au crayon noir qu’allait la préférence de l’artiste. Il en tire toutes les possibilités avec une grande maîtrise, sur un papier souvent teinté en bleu-gris. À la pierre noire, il a esquissé ici un homme nu de profil, soutenant un enfant qui passe un bras sur son épaule. La main gauche de l’homme accompagne celle de son jeune compagnon. Le tableau éclaire le sens du geste : l’enfant cueille un fruit sur une branche. Si le travail d’après le modèle vivant est primordial chez Puvis, l’importance de son genre l’est moins. L’artiste a travaillé d’après une figure masculine, qui devient dans le tableau une jeune mère. Dans cette étude, Puvis est avant tout en recherche du geste, élément premier chez ce peintre de la nature humaine dont l’homme est l’unique sujet. Il refuse l’anecdote et l’accessoire. L’attitude est essentielle, et doit tout exprimer, avec justesse et lisibilité. Le groupe central de son tableau est ainsi composé avec précision – une attention que souligne la mise au carreau qui permettra un report fidèle. La pierre noire cerne les contours, des stries soulignent les muscles, l’arrondi de la hanche, de l’épaule ou du ventre. Les physionomies ne sont qu’évoquées, au service d’un effet d’ensemble qui tend à l’universel. Les détails de l’anatomie perdurent dans le tableau, chez l’enfant présenté nu, mais également chez la femme, dont on discerne avec précision la posture du corps malgré l’ample tunique qui la drape. Ce type d’études est classique chez Puvis de Chavannes. On retrouve cette manière dans l’Étude pour Sainte Geneviève enfant en prière : jeune fille nue à genoux, de profil ou l’Étude pour Pro Patria Ludus : fillette nue debout de profil, bras croisés devant le visage (Amiens, Musée de Picardie).

Le catalogue raisonné de l’œuvre peint de Puvis de Chavannes mentionne deux autres travaux préparatoires à la Gardeuse de chèvres : une étude à la pierre noire de la mère et l’enfant représentés de face, exposée en 1892 à Munich, et une aquarelle de petit format passée en vente à Drouot en 1947, de localisation aujourd’hui inconnue.

L’association de la mère et de l’enfant est un motif cher à Puvis. Celui de la Gardeuse de chèvres trouve son origine dans la toile monumentale Inter artes et naturam (Rouen, Musée des Beaux-arts, inv. 1888.3.1, réplique conservée au Metropolitan Museum,), exécutée en 1890 pour l’escalier du Musée des Beaux-arts de Rouen. L’une des figures centrales est une mère soutenant son enfant, attrapant une branche pour l’aider à cueillir un fruit. Réalisée trois ans plus tard, La Gardeuse de chèvres s’insère dans une série de compositions idylliques, parmi lesquelles on retrouve Le chant du Berger, ou dans une veine plus intimiste Le Berger.

Peut-être est-ce à cette même jeune mère que pensa Paul Gauguin quand il peignit la femme centrale de D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (Boston, Museum of Fine Arts), le corps étendu dans le geste de la cueillette. On sait toute l’admiration que portait le maître de Tahiti à Puvis de Chavannes : dans une lettre à Daniel de Monfreid qui relate l’élaboration de D’où venons-nous, il évoque l’influence de ce maître dont la postérité fut incommensurable.

M.B.

Bibliographie de l’œuvre (comme collection particulière, Paris) :
Aimée Brown PRICE, Pierre Puvis de Chavannes, a catalogue raisonné of the painted work, New Haven, Londres, Yale University Press, 2010, cat. 364.a.

Bibliographie générale :
Bruno FOUCART, Puvis de Chavannes, une voie singulière au siècle de l’Impressionnisme, cat. exp. Amiens, Musée de Picardie, 2006.
Brian PETRIE, Simon LEE, Puvis de Chavannes, Hants, Ashgate, 1997.
Marie-Christine BOUCHER, Les dessins de Puvis de Chavannes du Musée de Picardie, Amiens, Musée de Picardie, 1994.
Puvis de Chavannes, 1824-1898, cat. exp. Paris, Grand Palais, Ottawa, National Gallery of Canada, 1977.

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