20,7 x 15 ,5 cm
Pierre noire, sanguine, craie blanche, rehauts de pastel bleu et rose et estompe
Provenance :
• Collection du Baron Ferdinand de Rothschild (1839-1898) ;
• M. Casimir Ignace Stralem (1886-1932), par héritage à sa femme, Mme Casimir Stralem ;
• France, collection particulière. Exposition :
• New York, Galleries of Duveen Brothers, French Drawings of the Eighteenth Century : A Loan Collection arranged by Mr. Richard Owen, 1934, n° 12
Bibliographie :
• Alexandre Ananoff, L’oeuvre dessinée de François Boucher, catalogue raisonné Tome I, F. de Nobele, Paris, 1970, cat. 360, fig. 71, p. 110
• Alexandre Ananoff, Boucher, Lausanne Paris : la Bibliothèque des arts, 1976
• Pierrette Jean Richard, L’oeuvre gravé de François Boucher dans la Collection Edmond de Rothschild, Paris, 1978
• Pierre Rosenberg et Alastair Laing, Boucher, catalogue d’exposition, New York, The Metropolitan Museum of Art (1986), Detroit, The Detroit Institute of Arts (1986), Paris, Galeries nationales du Grand Palais (1987), Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1986
• Françoise Joulie, François Boucher : hier et aujourd’hui, catalogue d’exposition, Paris, musée du Louvre, 17 octobre 2003 – 19 janvier 2004, Paris, Réunion des musées nationaux, 2003
François Boucher débute son apprentissage auprès de son père Nicolas Boucher (1671-1743), maître peintre et dessinateur de l’Académie de Saint-Luc. À 18 ans, il rejoint l’atelier du célèbre François Lemoyne (1688-1737) grâce auquel l’artiste lance véritablement sa carrière. Après un passage en Italie logé à l’Académie de France où il étudie d’après l’antique, il rentre à Paris et rejoint en 1734 l’Académie royale en tant que peintre d’histoire.
Très apprécié de son vivant, d’une évolution extrêmement rapide, l’artiste reçut tous les honneurs qu’un peintre de sa génération pouvait espérer. Sa carrière brillante sera récompensée par de nombreux titres dont celui de professeur, directeur de l’Académie royale et premier peintre du roi. Jusque dans les années 1760, l’artiste répond à quelques centaines de commandes de ses prestigieux mécènes dont la marquise de
Pompadour et le duc de Chevreuse, ainsi qu’aux manufactures royales de Beauvais et des Gobelins, et enseigne avec enthousiasme sa manière à son atelier.
Dans les années 1765, il produit des portraits de femmes dont les visages sont empreints d’une élégance nouvelle, probablement suite à l’initiative de Caylus, directeur de l’Académie, qui instaure à partir de 1759 un concours de têtes d’expression1. Ce renouvellement est notamment reconnaissable chez Boucher par la largeur des fronts des modèles et à leurs grands yeux allongés sur les tempes sous des sourcils parfaitement arqués dont l’esquisse Jeune fille en buste est un merveilleux exemple. Le traitement du profil féminin travaillé à la pierre noire et rehaussé de pastel ainsi que les dimensions quasiment identiques à notre feuille en fait une oeuvre en tout point comparable. Privilégiant de séduire l’oeil avant l’esprit, Boucher insuffle une douceur et une sensualité remarquable à cette image. Une gracieuse jeune femme en buste vue de profil est assise sur un fauteuil et pose délicatement le regard sur un ouvrage qu’elle tient entre ses mains gantées. Une paisible image d’un heureux quotidien dans un intérieur au XVIIIe siècle.
Le travail mené sur le rendu de l’expression faciale et de la finesse des traits laisse penser que l’artiste croqua son modèle sous ses yeux. Une certaine poésie émane de ce juvénile visage rehaussé par une chevelure raffinée retenue par quelques fleurs de laquelle s’échappent des boucles soigneusement ordonnées. Notre dessin témoigne également de l’intérêt de l’artiste pour le rendu des détails et des textures de la mousseline de la robe à la collerette jusqu’à l’extrémité des manches de dentelle traitées nerveusement par quelques traits de pierre noire, tantôt ondulés tantôt géométrisés.
Cette image fut divulguée au cours du XVIIIe siècle par la gravure de Gilles Demarteau (1722-1776), graveur liégeois établi à Paris depuis le milieu du siècle. Demarteau se fait connaître pour ses gravures d’après les oeuvres de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) et Carle van Loo (1705-1765) entre autres, et avant tout d’après celles de François Boucher dont il devient l’ami.
Réalisée dans le sens inverse de notre feuille, l’oeuvre de Demarteau fait preuve de quelques légères variations dans la composition au niveau de la chevelure, mais aussi dans le traitement des couleurs puisqu’elle est rehaussée de crayons noir et vert. Demarteau ajoute même un titre à l’ouvrage que le modèle tient entre ses mains et titre sa gravure Femme lisant « Eloyse et Abailar » en signant sur le bord : Treizième Estampe á plusiers Crayons. á Paris chés Demarteau Graveur du Roi, rue de la Pelleterie á la Cloche. No. 218.2
Boucher avait-il confié à Demarteau le titre de l’ouvrage ou s’agit-il d’un ajout personnel ? L’histoire de Héloïse et Abélard, oeuvre médiévale publiée sous Louis VI (1081-1137), s’aligne parfaitement avec l’esprit intimiste de l’image innocente de cette jeune femme. Une histoire passionnelle dans laquelle Pierre Abélard, âgé de 36 ans et maître en théologie à Cathédrale de Notre-Dame de Paris fait la rencontre d’Héloïse, de 21 ans sa cadette, et dont il tombe éperdument amoureux. Malgré l’enseignement spirituel reçu, le couple donne naissance à un enfant et se marie secrètement. La fin de leur vie, punis et séparés, demeure idyllique par un échange épistolaire passionné que la jeune modèle de notre dessin semble lire avec intérêt.
Sur une feuille de format restreint, Boucher accorde une attention particulière aux moindres détails à travers une rigueur et une qualité d’exécution qui en font une étude très aboutie. Les rehauts de couleur sont savamment apposés, en mêlant le crayon et le pastel, l’artiste joue sur les textures.
François Boucher commence à utiliser le pastel probablement lorsqu’il assiste aux séances de travail de Maurice Quentin de la Tour (1704-1788) venu chez lui portraiturer Madame Boucher pour un envoi à son premier Salon. Fasciné par la variété de tons qu’il peut apporter à ses dessins, il mêle ainsi la pierre noire au pastel et en dévoile une éclatante maîtrise. Le grain du pastel est ici utilisé comme contour dans les fleurs
des cheveux et dans la robe pour en rendre le volume. L’ingénieux traitement de la lumière rend d’une part la grâce et la douceur du modelé du visage traité tout en rondeur de la coiffure au menton, et illustre d’autre part la luxueuse soierie de la robe colorée de bleu pour en faire refléter la lumière et l’adoucir.
L’utilisation de la sanguine rend la pierre noire lumineuse. Dans le visage du modèle, elle est utilisée pour donner le ton de la chair sur les pommettes rehaussées de lumière, faisant ressortir le teint blanchi par une utilisation généreuse de poudre.
Le fond uni fait de légères hachures est soigneusement estompé, une technique utilisée également dans les extrémités du bureau, du fauteuil et de la manche de dentelle esquissée. Le modèle baigne ainsi dans une atmosphère empreinte de douceur et de
légèreté.
Incontestable représentant du portrait peint français du XVIIIe siècle, François Boucher fut aussi un excellent dessinateur et pastelliste. Il sut gagner l’admiration de ses confrères et de ses prestigieux commanditaires collectionneurs avides de ses figures féminines qu’il place au premier plan de ses oeuvres. Notre dessin, récemment redécouvert, avait rejoint les collections d’éminents collectionneurs d’art des siècles suivants dont le baron Ferdinand de Rothschild (1839-1898) puis Casimir Ignace Stralem (1886-1932), probablement hérité par la suite par son fils, Donald Sigmund Stralem (1903-1976), également collectionneur.