19,2 x 15,3 cm
Aquarelle sur traits de mine de plomb mise à l’ovale (essai d’aquarelle en haut à droite sous le montage)
Marque estampée à l’encre rouge VENTE COROT sur le recto du dessin en bas à droite (Lugt, n°460a)
Étiquettes anciennes au verso mentionnant la vente Doria (1899), une autre portant le numéro 621 inscrit à la plume, une autre décrivant l’œuvre sous le n°8 « La Joueuse de Luthe »
Provenance :
• Vente après-décès de Jean-Baptiste Camille Corot, Paris, Drouot, 26 mai 1875
• Vente de la collection de M. le Comte Armand Doria, Tome II, 8 mai 1899, sous le n°255
Bibliographie :
• E. Moreau-Nélaton, Corot raconté par lui-même, 2 vol., Paris 1924
• E. Moreau-Nélaton et A. Robaut, L’Œuvre de Corot par Alfred Robaut. Catalogue raisonné et illustré précédé de l’histoire de Corot et de ses œuvres par Étienne Moreau-Nélaton, ornée de dessins et croquis originaux du maître, 5 vol., Paris 1905.
Éminente figure du XIXe siècle, Jean-Baptiste Camille Corot sut jeter un pont entre la tradition du paysage anglais et l’impressionnisme français. Pourtant, rien ne le prédestinait à la voie artistique. Issu d’un milieu aisé de petite bourgeoisie parisienne, ses parents projetaient pour lui une carrière
de négociant. Poussé par ses ambitions, le jeune garçon sut persuader ses parents qui lui cédèrent une rente lui permettant de satisfaire sa vocation.
Fasciné par le travail de son contemporain Achille Etna Michallon (1796-1822), Corot débute son apprentissage en accompagnant son confrère peindre sur le motif. À la mort de ce dernier, l’artiste rejoint Jean-Victor Bertin (1775-1842) et poursuit sa formation en plein air.
En 1825, Corot a 29 ans. Il effectue un premier séjour en Italie et y perçoit l’esprit nouveau qui saisit le XIXe siècle dans lequel les peintres s’efforcent de rompre avec les traditions académiques. Perpétuel itinérant, Corot retournera deux fois en Italie. La lumière nouvelle qu’il découvre marque définitivement sa palette et révèle une fascination pour la puissance créatrice de la lumière comme éternelle source de vie.
Au-delà de son étroite affinité avec la nature, le peintre trouve progressivement un intérêt dans l’art du portrait qui constitue bientôt une part capitale de sa pratique : nymphes, italiennes en costume croquées sur le vif, orientales issues de songes, ou portraits de ses proches, Corot s’intéresse particulièrement à la figure féminine. L’aquarelle que nous vous présentons est une rare étude préparatoire à une huile sur toile titrée La Joueuse de Mandoline (ill. 1). L’œuvre rejoint les quelques notables dessins de l’artiste considérés comme des œuvres abouties. Découvert en Italie, le thème lyrique de la mandoline semble par ailleurs avoir été particulièrement apprécié par l’artiste qui en produira d’autres esquisses et huiles (ill. 2,3 et 4).
Vers 1850, date vraisemblable de réalisation de notre aquarelle, l’artiste délaisse l’exactitude du trait pour se consacrer au jeu des ombres et de la lumière.
En perpétuelle quête d’exploration de nouveaux exercices d’après nature, Corot se soumet à celui de l’aquarelle, une technique d’une grande modernité. Simple dans son procédé, l’aquarelle exige pourtant une grande subtilité dans son utilisation afin d’en révéler une remarquable richesse d’effets.
« Assise vue presque de face et jusqu’à mi-jambes, une jeune femme joue du luth ; elle est vêtue d’une jupe grenat, d’une casaque noire, d’un corsage décolleté. Elle a des cheveux blond roux, coiffés d’un chapeau noir, bordé de velours noir. Derrière elle, le ciel bleu. A gauche un rideau rose. »
Sur une feuille de format restreint n’excédant pas les 15 centimètres de hauteur, Corot fait preuve d’audace et d’énergie. Il trace les contours de sa figure à la mine de plomb puis dévoile, en quelques coups de pinceau, la silhouette d’une jeune femme assise tenant une mandoline détachée d’un ciel clair traité en perspective atmosphérique.
Obtenue par le mélange de pigments fixés par une gomme végétale dite arabique, l’aquarelle a la capacité d’être largement étendue et ainsi utilisée en plusieurs couches translucides. L’artiste joue habilement entre la réserve du papier et les tonalités de bleus pour suggérer les tons de la lumière vive qui éclaire le fond, et un camaïeu de bruns traduisant les différentes pièces de vêtements qui habillent le modèle et son instrument.
Bien qu’il ne se considère pas comme un dessinateur, Corot ne laisse pas moins de 600 croquis et dessins à sa mort. Dans une quête d’harmonie et d’idéal de représentation de la nature, élevant la peinture de paysage au même rang que celui du portrait, Corot ouvre la voie à l’impressionnisme français.
Baudelaire, parmi d’autres critiques, sut déceler le génie créatif de l’artiste et évoqua son œuvre comme un « miracle du cœur et de l’esprit ».
M.O