Elisabeth SONREL (Tours, 1874 – Sceaux, 1953)

Paysage crépusculaire aux vestales

31 x 49 cm

Craie noire, lavis, crayon, aquarelle et rehauts de blanc sur papier chamois

Signé Elisabeth Sonrel. en bas à gauche

Provenance :
• Christie’s, New York, 16 février 1993, lot 278
• Angleterre, collection particulière.

Bibliographie :

• Charlotte Foucher, « Elisabeth Sonrel (1874-1953) : une artiste symboliste oubliée » in Bulletin des amis de Sceaux, Sceaux, n°25, 2009

Formée très jeune à l’exercice artistique par son père, Nicolas Stéphane Sonrel, peintre à ses heures, la jeune Élisabeth évolue dans un milieu familial favorable à une carrière artistique. Sa première œuvre connue date de 1890, Elisabeth a alors 16 ans. L’accès à l’académie des Beaux-Arts de Paris étant refusé aux femmes jusqu’en 1897, elle intègre l’Académie Julian en 1891 sous l’enseignement de Jules Lefebvre (1836-1911), peintre et professeur célébré de son vivant, lui permettant de terminer sa formation.
Prise entre deux siècles, Sonrel suit les tendances artistiques décoratives qui placent, au début du XXe siècle, la figure féminine et la nature au centre de l’attention. Entre symbolisme et art nouveau, ses œuvres font également preuve d’un certain mysticisme qu’elle traduit à travers la beauté sage et sérieuse de ses modèles. Ses sujets, principalement féminins, arborent deux qualités esthétiques chère à l’artiste : la tendresse et l’élégance.

La délicatesse de son œuvre fut en partie provoquée par un voyage à Florence effectué au début du siècle qui marquera profondément son style. Ainsi, ses figures féminines sont communément empreintes d’une grâce botticellienne, et représentées dans des décors arborés résultant, entre autres, de ses nombreuses visites de la forêt bretonne de Brocéliande, des paysages de Concarneau, et de Plougastel.
En France, la seconde moitié du XIXe voit la résurgence du Moyen-Âge en réaction aux bouleversements économiques et leurs impacts sociaux provoqués par la Révolution industrielle. L’idéalisation de ce passé inspire de nombreux artistes et place naturellement le sacré au cœur de leur travail. Cette veine mystique touche intensément l’œuvre de Sonrel et la rapproche étroitement de ses contemporains Pierre Puvis de Chavannes (Lyon, 1824 – Paris, 1898) et Edgar Maxence (Nantes, 1871 - La Bernerie-en-Retz, 1954) pour la prédominance du sacré et leur vision panthéiste de la nature.

Notre œuvre est une ode à la beauté dans sa simplicité de la nature. Dans un paysage onirique présentant un château fort couvert de lierre au second-plan, trois silhouettes de jeunes femmes aux allures de nymphes flottent dans les airs au-dessus d’un lac, l’une semblant mener les deux autres. Pris dans le crépuscule annoncé par une chaude lumière rougeoyante envahissant le ciel, l’ensemble semble tout droit sorti de l’imaginaire de l’artiste. La nature omniprésente dans l’œuvre de Sonrel la rapproche de son contemporain Alphonse Osbert (1857-1939) dont la plupart des figures féminines semblables à des muses en méditation apparaissent et déambulent dans des paysages naturels.

Dans cette remarquable prédominance de la figure féminine pieuse, les œuvres de Sonrel s’apparentent parfois à des œuvres de dévotion, indéniable souvenir de son éducation bourgeoise largement marquée par le catholicisme. Ces silhouettes symbolisent la vertu et la piété, directement inspirées de la figure rassurante de la Vierge Marie. Comme ici, flottant dans les airs, elles sont aussi mystiques, traduisant la vision irréelle et idéale de l’artiste sur une surface plane, renforcée par l’utilisation de l’aquarelle créant un effet évanescent proche du sfumato italien. Sonrel joue avec des coloris pastel, dont le vert le jaune et l’orange sont par endroits si pâles qu’ils accentuent la dimension spirituelle, ce qui la rapproche instantanément de l’œuvre de Maurice Denis dans quelques-unes de ses compositions religieuses, invitant, chez les deux artistes, le spectateur au recueillement.
Notre œuvre fut probablement réalisée en Bretagne, terre de prédilection de l’artiste qui savait retranscrire les merveilleux paysages entre Concarneau, Plougastel, Pont-l’Abbé, Bréhat ou encore Loctudy d’où elle décrivit dans une carte « la vie simple, calme et reposante (…) les incomparables levers et couchers de soleil, les effets de nuages, (les) atmosphères irréel(le)s et fantastiques » .

Représentée au Salon des artistes français, ainsi qu’à celui de la Société des aquarellistes français entre 1893 et 1939, Élisabeth Sonrel rafle tous les suffrages. Artiste symboliste par excellence, son œuvre fut cependant injustement oubliée durant presque un siècle avant d’être réhabilitée par la critique dans les années 1990. Spécialiste de la représentation de portraits féminins, elle occupe aujourd’hui une place prépondérante dans l’art pictural de la première moitié du XXe siècle.

M.O.

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