36 x 26 cm
Aquarelle et lavis d’encre sur traits de crayon noir
Circa 1855
Signé G. Doré en bas à droite
Provenance :
• France, collection particulière
Le nom de Gustave Doré demeure indéfectiblement attaché à ses illustrations : celles de Rabelais (1854) ou des Contes drolatiques de Balzac (1855) qui constituèrent ses premiers succès. Sa célébrité fut confortée par ses images pour la Bible (1866) ou les Fables de la Fontaine (1867), qui marquèrent des générations d’artistes. Paradoxe de l’histoire, c’est pourtant comme peintre que Doré eut aimé être reconnu, et c’est à cela qu’il œuvra sa vie durant : « Je suis mon propre rival, je dois effacer et tuer l’illustrateur afin qu’on ne parle de moi que comme peintre », écrivait l’artiste avec une once de dépit. « J’illustre pour payer mes couleurs et mes pinceaux. Mon cœur à toujours été à la peinture. J’ai le sentiment d’être né peintre », poursuivait-il en 1873.
La gloire ne manqua pourtant pas à ce génie précoce qui aborda toutes les techniques et tous les sujets, soutenu par une imagination aussi prolixe que sa main fut assurée. En 1851, le peintre effectua une entrée discrète au Salon avec le tableau Pins sauvages. En 1857, il tenta en vain de retenir l’attention avec huit paysages. Peut-être son art était-il trop loin du goût de son temps, encore teinté de romantisme et d’une imagination que lui reprocha Zola : « M. Gustave Doré seul ose encore courir le ridicule de faire des paysages d’imagination ».
Gustave Doré, surtout connu pour ses gravures, a également laissé une marque significative en tant que peintre, notamment avec ses paysages spectaculaires. L’un de ses sujets particulièrement remarquables est celui des montagnes des Pyrénées, inspiré par son voyage dans la région avec l’écrivain et poète Théophile Gautier en 1855.
Ce périple nourrit profondément l’imaginaire de l’artiste, qui se retrouve face à une nature imposante, avec des montagnes majestueuses, des vallées encaissées et des jeux de lumière dramatiques, on retrouve notamment cet effet dans une autre oeuvre significative de l’artiste, Le Cirque de Gavarnie (ill. 1).
Influencé par le romantisme, Gustave Doré représente la nature comme une force écrasante et magnifiquement sauvage. Ses paysages pyrénéens exaltent le sublime, ce mélange d’admiration et de terreur face à l’immensité.
Les montagnes sont souvent représentées comme des murs titanesques, soulignant la petitesse de l’homme face à la grandeur de la nature.
Contrairement à la peinture traditionnelle où les animaux ou les figures humaines servent à animer un paysage, ici, les vaches ne dominent pas la composition. Elles sont au contraire intégrées harmonieusement, renforçant une vision holistique de la nature.
Dans ce paysage pyrénéen, Doré adopte une technique ou ces vaches, bien que reconnaissables, ne sont pas mises en avant comme des sujets distincts. Elles semblent se fondre dans la matière même du paysage.
Cette approche évoque une vision presque prémonitoire de l’abstraction, où les formes se diluent dans l’environnement, suggérant une unité entre les êtres vivants et leur milieu.
L’artiste emploie une texture riche, où les coups de pinceau évoquent aussi bien les roches, l’herbe, que les pelages des vaches. Cela donne à l’œuvre une qualité tactile et organique.
Ce traitement de la matière crée un effet où le spectateur doit scruter attentivement pour distinguer les éléments, renforçant une approche immersive et presque impressionniste.
À son époque, ce type de peinture aurait pu être perçu comme une anomalie, voire une excentricité, dans l’œuvre de Gustave Doré, dominé par ses gravures. Cependant, dans une perspective moderne, notre tableau résonne avec des courants artistiques ultérieurs notamment les symbolistes ou le postimpressionnisme, l’accent mis sur la lumière, l’atmosphère, et la dissolution des formes, de grands noms.
Ce paysage montagneux des Pyrénées animé d’un troupeau montre comment Gustave Doré, bien que souvent associé au romantisme, porte une sensibilité et une vision qui anticipe des tendances bien plus tardives de l’art moderne.