45 x 35 cm
Pastel sur papier
Dédicacé, signé et daté à M. Léon Bourgeois / en sincère et vive cordialité / L. L. Dhurmer / 1901 en bas à gauche
Peintre, sculpteur et céramiste, Lucien Lévy-Dhurmer est un artiste polyvalent. Formé à l’école communale supérieure de dessin et de sculpture du 11e arrondissement de Paris, le jeune artiste suit l’enseignement de Raphaël Collin (1850-1916) et d’Albert-Charles Wallet (1852-1918), tous deux élèves du fameux Alexandre Cabanel (1823-1889) qu’il admire et dont il reproduit La Naissance de Vénus pour sa première exposition au Salon des artistes français. Il s’intéresse un temps à l’art de la céramique en passant par la manufacture de faïence de Clément Massier, fondateur de l’industrie céramique moderne de Vallauris et mène des recherches sur les effets des reflets métalliques sur la faïence. Il expose de manière ponctuelle au Salon des Artistes Français à partir de 1882, notamment des peintures mais aussi des pastels, technique dans laquelle l’artiste trouve un plein épanouissement. Son talent est par ailleurs salué à l’exposition collective des Peintres de l’âme en 1896 à Paris, une place de choix parmi ses éminents contemporains tels que Émile Gallé (1846-1904), Carlos Schwabe (1866-1926), ou encore Alphonse Osbert (1857-1939).
La rencontre de l’artiste avec le poète Georges Rodenbach (1855-1898) marque un véritable tournant dans sa carrière. Par son intermédiaire Lucien Lévy, devenu Lévy-Dhurmer en prenant le patronyme de sa mère, profite d’une première exposition monographique dans laquelle son talent de dessinateur pleinement révélé lui permet d’accroître instantanément sa notoriété. Au-delà des expositions qui lui sont dédiées, l’artiste répond aussi à un grand nombre de commandes privées. Il dresse le portrait de son ami Rodenbach, de la poète Renée Vivien, puis des membres politiques importants de son temps dont notre portrait est un exemple puisqu’il représente Léon Bourgeois (1851-1925), ami, mécène mais aussi et surtout un éminent homme politique puisqu’il fut Premier ministre français du 1er novembre 1895 au 29 avril 1896. Bourgeois fut aussi l’un des pères fondateurs de la Société des Nations, décoré du prix Nobel de la paix en 1920.
Au-delà de ses figures allégoriques telles que Florence, ses commandes privées illustrent la virtuosité de l’artiste dans l’art du portrait et la vérité psychologique qui émane de ses modèles. Dans notre pastel, Lévy-Dhurmer s’attache à représenter l’intelligence sociale de Monsieur Bourgeois par une attention particulière dans le traitement du regard. Derrière ces étroits verres de lunettes apparaît un regard bienveillant et apaisé qui traduit instantanément le lien d’amitié qui existait entre les deux hommes. Dans cet univers poétique propre à l’artiste se dégage un sentiment de profonde quiétude. Le modèle apparaît au milieu de vifs traits multicolores de pastel, soigneusement éparpillés autour du visage du comme des confettis. Le visage de Léon Bourgeois semble ainsi pris dans un tourbillon de couleurs rappelant l’univers mystérieux de l’artiste que l’on retrouve dans la plupart de ses portraits influencés par les Préraphaélites et la Renaissance italienne.
La palette de l’artiste s’éclaircit avec le temps. Tout comme dans son Autoportrait au pastel, ses modèles prennent vie dans une vision fugitive et difficilement intelligible, presque irréelle. Irradié de soleil, le modèle semble baigner dans un halo de lumière, comme une apparition. La maîtrise du pastel permet à l’artiste de rendre les matières, les vêtements ne sont qu’esquissés à l’aide de larges traits noirs et les chairs travaillées en hachures estompées créant un flou vaporeux presque évanescent afin d’en transmettre le modelé.
« Vous savez certainement, Monsieur, quel est le caractère esthétique de la Rose+Croix, vous n’aurez donc qu’à m’écrire en février et j’irai inviter vos oeuvres chez vous (…) » bien que cordialement invité par le fameux Joséphin Péladan, l’artiste n’exposera jamais au Salon de la Rose+Croix. Thèmes quotidiens, représentations réalistes ou tout droit sorties d’un rêve, l’univers mystique de Levy-Dhurmer ne cessera de fasciner ses contemporains dont les artistes Émile Bernard et Gustave Moreau rencontrés par l’intermédiaire de Rodenbach.
Lévy-Dhumer utilise le pastel avec une prédilection particulière. L’harmonie et l’intensité des couleurs qui s’en dégage permet à l’artiste de recevoir de nombreuses commandes jusqu’à sa mort, à l’âge de 88 ans.
M.O.