Attribué à Pietro MARESCALCHI dit Lo Spada, (Feltre, 1522 - 1584)

Saint Jean Baptiste et saint Antoine le Grand (recto)

35,5 x 23,4 cm

Allégorie de la Justice et Diane avec ses nymphes (verso)

Circa 1570.
Pierre noire, plume et encre brune, lavis brun et bleu, rehauts de blanc sur papier bleu. Au verso, annotation ancienne à l’encre brune : paolo veronese.

Provenance
• Vente Christie’s, Londres, 7 juillet 1992, lot 127.
• France, collection particulière.

Lorsque ce dessin, portant haut le nom de Paolo Véronèse, apparut sur le marché de l’art en 1992, il fut donné à Pietro Marescalchi, peintre de Feltre. La correspondance sembla en effet évidente entre cette feuille et deux peintures signées passées en vente peu de temps avant. Cette attribution se renforça après la tenue à Feltre en 1993 et en 1994 de deux expositions consacrées à l’artiste.

Pietro Marescalchi naquit à Feltre, dans la Vénétie, vers 1522, d’après sa propre déclaration faite en 1572 à propos de l’héritage de sa mère et où il affirme avoir cinquante ans. Son surnom Lo Spada vient des armes de sa famille où figurait un bras armé d’une épée. Sa formation demeure obscure, mais dans ses premières œuvres connues il s’avère surtout influencé par Lorenzo Luzzo et Jacopo dal Ponte dit Bassano, même s’il cite également Titien. Peint entre 1545 et 1547, le retable de la Vierge à l’Enfant avec saints Martin, Victor, Marc et Corona (Farra di Feltre, église Saint-Martin) est l’une des ses premières œuvres documentées. Son activité principale demeura dès lors la réalisation de tableaux pour les églises et les chapelles de Feltre et des environs – certains sont signés et datés –, dont son chef-d’œuvre, le Retable de la Miséricorde qui orne la cathédrale de la ville. L’artiste habitait d’ailleurs avec sa famille dans le quartier de la cathédrale et était inscrit dans la Scuola San Vittore. Outre lest œuvres religieuses, Marescalchi peignait également des portraits des notables de Feltre, des tableaux de chevalet comme Le Festin d’Hérode (1576, Dresde, Gemäldegalerie) et s’occupait de la décoration à fresque des riches demeures de la ville et des villas alentour.

L’artiste jouissait d’une grande notoriété à Feltre, excepté un incident survenu en 1572 lorsqu’il fut accusé par l’inquisition de ne pas avoir représenté le purgatoire dans l’une de ses œuvres. En réparation, Marescalchi dut exécuter une peinture pour l’église Santo Stefano. En 1577, il fut choisi par le podestat Giulio Garzoni pour exécuter une « grande peinture » dans la salle des audiences du Palazzo pubblico de Feltre : le tableau, perdu et connu grâce à de nombreuses descriptions contemporaines, représentait les édiles et les membres des grandes familles de la ville. L’artiste resta actif jusqu’à sa mort survenue le 11 mai 1584. Il fut enseveli dans la cathédrale de Feltre.

L’art de Marescalchi est éclectique et attentif aux influences des grands maîtres vénitiens, qu’ils appartiennent à la génération précédente comme Titien ou Lorenzo Lotto ou qu’ils soient ses contemporains comme Jacopo Bassano, Véronèse et le Tintoret. Ceci complique la reconstitution de son corpus graphique, d’autant qu’aucune de ses esquisses préparatoires n’est parvenue jusqu’à nous. On lui attribue néanmoins quelques dessins, dont le Général romain conservé au Christ Church à Oxford (inv. 758) et un Guerrier à Brunswick travaillés délicatement mais avec assurance au pinceau et à la plume.

La musculature proéminente des personnages, leur pose équilibrée non sans une certaine élégance maniériste, les doigts longs, la finesse des détails, la chevelure serpentine,les drapés lourds descendant en plis verticaux, les ombres portées nuageuses rappellent en effet les saints qui peuplent les retables de Marescalchi et trouvent leur écho dans notre dessin. À l’inverse des feuilles d’Oxford et de Brunswick, celui-ci est moins énigmatique, car les deux personnages sont aisément identifiables grâce à leurs attributs : Saint Jean Baptiste et, derrière lui, avec son bâton noueux et sa clochette, Saint Antoine le Grand ou l’Abbé. L’esquisse concerne de toute évidence la partie droite d’un retable représentant les saints devant la Vierge à l’Enfant sur son trône, selon une composition semblable à celle de la Pala de San Bernardino à Pignolo peinte par Lorenzo Lotto en 1521.

Stylistiquement et techniquement très proche des deux autres feuilles attribuées à Marescalchi, notre dessin se distingue par l’utilisation plus systématique des hachures, l’attention toute particulière portée à la disposition des reflets de lumière et surtout par la présence, au verso, de deux études à peine moins travaillées et sans rapport ni avec les Saints du recto ni l’une avec l’autre. Le dessinateur utilisa cette fois-ci la feuille dans le sens de la largeur pour figurer, à gauche, une allégorie assise devant un piédestal tenant dans sa main droite un instrument étrange sommé d’une sphère et qui pourrait symboliser la Justice ou la Tempérance. Àdroite, c’est un groupe de femmes légèrement rogné parmi lesquelles on identifie Diane ; il pourrait s’agir du moment où la déesse découvre la grossesse de Callisto. Ces thèmes profanes sont typiques de la décoration intérieure peinte des palais feltrins qui fut l’une des spécialités de Marescalchi.

C’est donc là une feuille de travail, de réflexion et de recherche, qui surprend néanmoins par le fini des détails, alors même qu’aucune des compositions n’est entière. La ligne est précise, mais quelques corrections demeurent visibles, dont le nœud sur l’épaule de Saint Jean Baptiste, ce qui confirme qu’il s’agit bien d’esquisses préparatoires et non de reprises d’œuvres existantes.
Mais que de poésie dans ces gestuelles exquises, que d’émotion retenue dans ces visages, que de faste dans ces drapés caressés par la lumière et que de vigueur dans ces muscles tendus : notre feuille est l’éloge de l’art maniériste de la Vénétie.

Bibliographie
- Maria Cristina BAGOLAN, Pietro Marescalchi (1522 ?-1589), Feltre, 1993.
- Giuliana ERICANI (dir.), Pietro de Marascalchi. Restauri e studi per il Cinquecento feltrino, catalogue d’exposition, Feltre, Museo Civico, Trévise, 1994.
- Mauro LUCCO et Carlo PIROVANO (dir.), Pittura nel Veneto. Il Cinquecento, Milan, 1996-1999, t. II, p. 717-736, t. III, p. 1305 sq.

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