Hubert ROBERT (Paris, 1733-1808)

Un moulin à eau avec un personnage vu de dos sur le pont et un chien se dressant sur la rive

24,4 x 36,5 cm

Vers 1775
Sanguine sur papier vergé et filigrané
Cachet du monteur François Renaud en bas à droite du dessin (L.1042)

Provenance :
• Ancienne Collection de la comtesse Odon de Montesquiou-Fezensac, Château de Courtanvaux, Bessé-sur-Braye, sa vente, galerie George Petit, 9-10 décembre 1929, lot n° 8
• Ancienne collection du Comte Raoul de Montesquiou-Fezensac
• Vente anonyme, Christie’s, Londres, 8 juillet 2008, lot 106.
• Succession Alexis Gregory, vendu au profit de la fondation Alexis Gregory.
• France, collection particulière.

Bibliographie :
• Pierre de Nolhac, Hubert Robert 1733-1808, Goupil & Cie, Paris, 1910
• Jean de Cayeux, Les Hubert Robert de la collection Veyrenc au Musée de Valence, Valence, 1985
• Sarah Catala, Les Hubert Robert de Besançon, Silvana Editoriale, Milan, 2013
• Guillaume Farout (dir.), Hubert Robert, 1733-1808 : Un peintre visionnaire, Somogy et Musée du Louvre, Paris, 2016

Français de naissance, italien de formation, le jeune Hubert Robert se tourne vers une carrière artistique lorsque, durant ses études au Collège de Navarre, il fait preuve d’un don précoce dans le maniement du crayon comme en témoigne un dessin de sa main conservé par l’un de ses maîtres, l’abbé Batteux. À 17 ans, il quitte l’établissement pour rejoindre l’atelier du sculpteur Michel-Ange Slodtz (1705-1764) avant de rejoindre, par une aubaine orchestrée par le comte de Stainville fraîchement nommé ambassadeur près du Pape, l’Académie de France à Rome en évitant allègrement les concours : « M. l’Ambassadeur de France protège un jeune homme qui a du goût pour peindre l’architecture. »
À Rome, il est le benjamin des douze pensionnaires et reçoit les mêmes avantages. Tout en étudiant d’après les modèles antiques mis à disposition dans les différents ateliers, le jeune artiste poursuit sa formation en persévérant dans l’art de la représentation architecturale. Hubert Robert se veut peintre de paysages ce qui, en Italie, fait de lui un peintre d’architecture, inspiré par son aîné italien Giovanni Paolo Panini (1691-1765). À son retour en France en 1765, il est un artiste accompli devenu l’exemple de l’Académie, adaptant sa manière italienne aux paysages français.

Parmi sa large production de peintures, Robert laisse derrière lui une vaste production de milliers de dessins. De ses croquis à la craie, à l’encre et à la plume qu’il conserve soigneusement dans ses carnets, c’est aux côtés de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), pensionnaire de l’Académie depuis 1756, que Robert multiplie les sanguines élaborées. Aussi expérimentales que spontanées, elles complètent et enrichissent la compréhension de ses peintures.
Dans un paysage champêtre ayant pu être identifié comme le moulin de Roconval aux environs de Paris, l’artiste offre à la vue du spectateur une image paisible du repos champêtre. Loin de la ville, règne la quiétude de la campagne animée d’un chien au premier plan, d’un paysan au second-plan et d’oiseaux s’envolant dans le ciel à l’arrière-plan. Robert ne représente pas la nature sans la consulter, il s’y confronte en croquant sur le vif le spectacle qui s’offre à lui. En dessinant d’après nature, l’artiste s’assure de ne jamais la tromper ni de prétendre l’embellir car « elle est toujours aussi belle par elle-même et ce n’est que trop difficile à imiter ; il faut commencer par la bien connaître et, tant que l’on étudie, la suivre avec la plus parfaite obéissance. »

Au-delà de son apprentissage des ruines et des nombreuses vues de la Ville Éternelle, l’artiste s’intéresse en Italie comme en France à la vie et à l’animation qu’il peut apporter à ses compositions. Sans jamais prendre le pas sur l’architecture, Robert introduit ingénieusement mendiants, musiciens, danseurs, pâtres, pèlerins ou, comme dans notre œuvre, un paysan jouissant de la simplicité de la vie, permettant de dynamiser l’ensemble. Notre sanguine fait ainsi preuve d’une composition aboutie, rejoignant la fière partie d’un travail que l’artiste considérait comme une œuvre à part entière.
Son intérêt pour la sanguine, pourtant considérée comme passée de mode, se développe à la fin des années 1750 et domine progressivement sa production de dessins. Alors que cette technique se fait rare, son contemporain Giovanni Battista Piranesi (1720-1778) en fait également un usage régulier. Par son caractère friable menaçant, l’utilisation de la sanguine mena les artistes à réaliser des contre-épreuves de leurs œuvres, dont un exemple tiré de notre composition fut vendu en 2005 (ill. 1). Le procédé consistait à mettre le dessin sous presse, transférant ainsi l’excédent de craie sur une seconde feuille. Cette technique permettait de dupliquer le dessin original sans l’abîmer, obtenant ainsi un tirage unique dans le sens inverse de la composition originale. La matière étant ainsi déchargée, la contre-épreuve d’un dessin à la craie noire ressortait d’un gris plus pâle, celle d’une sanguine d’un orange rosé.

L’artiste fait preuve de la même rigueur de technique dans la plupart de ses dessins. Les éléments architecturés sont tracés à la règle, tandis que les éléments naturels sont dessinés par des traits rapides permettant ici de rendre le feuillage au premier plan à gauche de la composition. Robert tire parti de la gamme colorée que peut offrir la sanguine par des contours plus ou moins fortement tracés qui apportent ainsi des nuances tonales et renforcent l’effet de perspective : les éléments du premier plan sont ainsi plus appuyés que le pont et le ciel, rendus par des traits plus larges et légers.

D’une personnalité joyeuse, serviable et généreuse, Hubert Robert ne souffre d’aucune jalousie de ses succès précoces. Dans une production où l’architecture tient tant de place, le « Robert des ruines » sut introduire quelques scènes de vie, ne cherchant ni la complexité ni la gloire de la représentation. Peintre de l’Académie avant même d’y être agréé, l’artiste sut s’entourer des plus grandes personnalités et mécènes de son temps et parvint à s’établir comme l’héritier des plus grands noms de la peinture du paysage franco-italien.
Plus encore, Hubert Robert fit usage de son don pour la représentation et la création de jardins en devenant « Dessinateur des jardins du roi ». Louis XVI le charge notamment du réaménagement des jardins de Versailles et de Rambouillet. Il reçoit par ailleurs des commandes privées dont les plus merveilleux exemples demeurent les jardins de Méréville et d’Ermenonville.

M.O

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