Henri-Edmond CROSS (Douai, 1856 – Saint-Clair, 1910)

Vue du Lavandou

11,5 x 17 cm

Aquarelle sur traits de crayon noir
Signé du cachet d’atelier H.E.C à l’encre rouge en bas à droite

Provenance :
• Acquis à la Galerie Connaught Brown à Londres par l’ancien propriétaire ;
• Belgique, collection particulière.

Bibliographie :
• Françoise Baligand, Henri-Edmond Cross : lumières du sud, Éditions des Falaises, Rouen, 2018

Henri Edmond Joseph Delacroix devient, sur les conseils avisés de son ami François Bonvin (1817-1887), Henri-Edmond Cross pour se différencier de son homonyme le peintre Eugène Delacroix (1798-1863). Après un apprentissage à Lille, sous l’égide de Carolus-Duran (1837-1917), l’un des plus excellents peintres de la bourgeoisie de sa génération, le jeune Cross devenu lithographe, aquarelliste et peintre se lie d’amitié avec les artistes néo-impressionnistes en vogue, dont il partage les convictions anarchistes.
Après le Salon des Indépendants, la galerie Eugène Druet à Paris est une vitrine supplémentaire pour les artistes classés sous l’appellation « néo », terme inventé par le critique d’art Félix Fénéon (1861-1944) en 1886. La première exposition monographique de l’artiste s’y déroule en 1905 . Une seconde exposition monographique lui est consacrée en 1907 à la galerie Bernheim-Jeune , pour laquelle Maurice Denis signe la préface décrivant l’œuvre de Cross comme « un art de synthèse et d’imagination ». Cross bénéficie à cette époque d’une reconnaissance artistique comparable à celle de Georges Seurat (1859-1891) et de son ami Paul Signac (1863-1935).

Cross quitte Paris pour le Sud en 1891 et s’établit dans la petite ville côtière de Saint-Clair qu’il ne quittera plus hormis de brèves visites à Paris et quelques voyages italiens entre 1903 et 1908.
Dans sa correspondance avec Paul Signac, Cross décrit ce qui ressemble à un paradis terrestre : « Des collines de pins et de chênes-lièges viennent mourir doucement dans la mer [...]. Des coins d’une charmante intimité fourmillent à côté des grands aspects féeriques ou décoratifs. Oui, ces deux épithètes répondent le mieux aux sensations éprouvées par moi » , menant Signac à s’installer l’année suivante à Saint-Tropez. Sur la Côte d’Azur, l’artiste trouve un plein épanouissement de son art. Il y exécute des paysages par séries, imprégnés de la douce lumière chaleureuse méditerranéenne (ill.1).

« Je vois la mer proche, la chaîne montagneuse des Maures, et tout au loin les iles d’Hyères si belles qu’on les appelle les îles d’or (…). Les monts déroulent aux horizons leur ligne ornementale et dans les tabliers des plages [...], le sable jaune et fin étincelle sous la lumière. »
Notre œuvre représente un paysage de la région du Lavandou, sur les bords de la Méditerranée, faisant face aux Îles d’Or que l’on devine en arrière-plan. Terrain d’expérimentation idéal, notre aquarelle témoigne de l’appréciation du peintre pour la douceur de cette région ignorée du tourisme jusqu’à la fin du XIXe siècle, en opposition aux côtes du Nord de la France entre Honfleur et Trouville.
Comme une terre promise, Cross trouve dans ces paysages la douceur, l’isolement et la tranquillité propice à la création. La nature qui s’offre à la vue du peintre apparaît comme idyllique, un refuge soigneusement choisi contre le bruit assourdissant des grandes villes. Dans notre paysage inondé de soleil s’apparentant à une Arcadie, un majestueux pin trône au centre de la composition. Exemptée de toute connotation historique, l’œuvre fait preuve d’un lyrisme puissant grâce à un travail poussé sur la couleur permettant de transmettre une vision panthéiste de la nature.

En effet, Cross concentre son attention sur une harmonie parfaite de la couleur apportant de la vitalité à son travail. Dans le Sud, l’artiste se détourne progressivement du divisionnisme strict utilisé dans ses premières œuvres néo-impressionnistes. Dans notre esquisse, il utilise de plus larges touches formant une mosaïque de couleurs chaudes gorgées de soleil, qu’il travaille en repassant sur les couleurs par couches dans ses œuvres finales. La sensation harmonieuse qui se dégage des œuvres se construit également par l’importance des lignes savamment tracées : les touches s’assemblent naturellement comme un tissage entre les courbes et contre-courbes.
Le champ de vision est ainsi dominé par les couleurs chaudes d’un coucher de soleil : du jaune à l’orange jusqu’au rouge, les teintes sont pures et lumineuses se distinguant nettement de celles utilisées pour la représentation de l’arbre fait de couleurs plus froides entre le violet, le bleu et le vert.
Véritable havre de paix, Cross illustre à travers ses œuvres une région où règne un sentiment de profonde quiétude et le silence de la nature à l’état pur, vierge de toute intervention humaine.

Mort à l’âge de 53 ans, Cross profita peu de son succès bien qu’il fût collectionné de son vivant.
Au-delà de la beauté des paysages, ses œuvres reflètent son état d’esprit et sa quête du bonheur. Dans ses carnets intimes, l’artiste s’exprime en ces termes : « Hygiène mentale de libération (…) tous les moyens sont bons pourvu qu’ils aboutissent à une œuvre de volonté et de libération entière, absolue ».
Son travail sur la Côte d’Azur passionnera ses plus éminents contemporains dont Henri Matisse qui, visitant la région en 1904, s’imprègnera du travail de Cross pour réaliser sa toile pastorale et poétique Luxe, calme et volupté (Paris, musée d’Orsay, inv. DO 1985 1).

M.O

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