Jean-Baptiste GREUZE (Tournus, 1725 – Paris, 1805)

Autoportrait

61,5 x 51 cm

Vers 1785
Huile sur toile ovale

Provenance :

  • France, collection particulière.

Bibliographie :

  • Jean Martin, OEuvre de J.-B. Greuze : catalogue raisonné, suivi de la liste des gravures exécutées d’après ses ouvrages, H. Piazza, Paris, 1905, pp. 70-71

"Ce talent d’exprimer les passions sur la toile est très rare et Mr Greuze le porte au plus haut degré."[1]

Incomparable dessinateur détaché du goût rocaille français qu’il juge trop frivole, Jean-Baptiste Greuze met l’accent sur la glorification de la sensibilité de ses sujets qui se doivent d’élever l’âme du spectateur. Formé dans l’atelier du maître lyonnais Charles Grandon (1691-1762) qu’il suit à Paris en 1750, Greuze reçoit par la suite les leçons de Charles-Joseph Natoire (1700-1777) à l’Académie. Il ne s’engage pas dans la voie officielle du prix du Grand Prix de Rome mais y est cependant agréé en 1755 grâce à son Père de famille lisant la Bible à ses enfants (Paris, musée du Louvre, inv. RF 2016 3).

Après un séjour en Italie dont il ne retiendra que le travail sur l’expression des figures, Greuze inaugure un genre nouveau qui bouscule la critique. Il s’agit de scènes de genre dont la mise en place des éléments évoque la grande peinture d’histoire mais dans lesquelles l’expression des sentiments règne : un intérêt inédit dans la peinture française, né de ses multiples dessins d’après nature. Connu pour ses scènes de genres, Greuze est aussi un talentueux portraitiste qui multiplie les commandes et se plaît dans la représentation d’enfants. Parmi ces figures, l’artiste réalise quelques portraits confidentiels, ses propres autoportraits.

« Greuze, dit M. Lecarpentier, qui l’a connu, était de taille moyenne ; il avait la tête forte, le front très grand, les yeux vifs et bien fendus, une figure spirituelle. Son abord annonçait la franchise et l’homme de génie ; il était même difficile de ne pas dire : Voila Greuze, sans presque l’avoir vu. »[2]

Par essence, l’autoportrait n’exige pas de commande. Il s’agit d’oeuvres personnelles et intimes exemptées de tout artifice, appréciées pour l’exercice psychologique qu’elles procurent. De cette production, l’histoire a retenu plus d’une dizaine de portraits de Greuze « par lui-même » réalisés tout au long de sa carrière. Le premier exemple connu est daté autour de l’année 1763. Par une technique très esquissée similaire à notre oeuvre, l’artiste se présente au spectateur en costume d’atelier, légèrement de trois-quarts vers la droite, le visage pris de face : une position que l’artiste adoptera dans la plupart de ses autoportraits. Cette première version représente l’artiste âgé d’une quarantaine d’années, vigoureux, pris dans l’essor d’une production flamboyante.

Plus qu’un portrait, les autoportraits reflètent l’homme mais aussi l’artiste : la surface plane incarne le dialogue entre le peintre et son miroir. Au-delà des qualités esthétiques, l’oeuvre pose ainsi les réflexions de l’artiste sur sa propre condition. En comparaison de la version conservée au musée du Louvre, notre oeuvre, inédite, pourrait être datée autour de l’année 1785. Greuze aurait alors environ 60 ans, il apparaît plus fragile et diminué mais son regard apaisé traduit une certaine confiance. Comme à son habitude, Greuze se présente en buste de trois-quarts tourné vers la droite. Ses cheveux blancs et bouclés sont légèrement poudrés. Sous une veste brune au col rabattu bleu, il porte une cravate blanche flottante et un jabot de dentelle englobés par un gilet jaune.

Greuze ne cache pas les marques physiques de son âge pour ne pas risquer de malmener le dialogue face à soi-même. Il semble même accorder une certaine sympathie dans la représentation de profils âgés comme en témoigne le portrait de son beau-père François Babuti en 1761.

Cette dernière partie de la carrière de l’artiste laisse place à un traitement plus esquissé de ses sujets, l’artiste abandonne la précision des traits et des contours tout en accordant une place particulière dans l’utilisation de la couleur comme élément d’expression des passions sur la toile. Notre autoportrait permet d’apprécier le minutieux travail mené sur la représentation fidèle des carnations par d’épaisses touches de roses tantôt brossées tantôt souples et enveloppées. Une attention particulière est portée dans le traitement du visage et plus encore dans l’intensité psychologique de son regard serein.

Bien qu’une certaine austérité émane de l’oeuvre, la vision d’ensemble concourt à la douceur et à la volupté : la gamme chromatique restreinte réhaussée par le col de la veste au col rabattu bleu est délicatement traitée par quelques habiles coups de pinceau étirés. La sensation de douceur est renforcée par le format ovale de l’oeuvre mais aussi par un trait rapide qui définit d’une part le fond uni d’un vert pâle cuivré et d’autre part le reste du corps, confondu dans camaïeu de brun, symbole d’une modestie qu’il rend rayonnante.

«  (…) on applaudit sur-tout à son portrait qu’il venoit de peindre lui-même. »[3]

La peinture délicate de Jean-Baptiste Greuze touche l’oeil et l’âme du spectateur curieux, intrigué par une touche douce et sensuelle dont le peintre fait preuve dans chacun de ses tableaux. Peintre de la félicité laborieuse, du drame, de l’enfance, mais avant tout du portrait, Greuze est un artiste qui s’adresse à la sensibilité de son temps, représente et personnifie les sentiments sur la surface plane de la toile : une ingéniosité qui fit son succès et sa gloire.
M.O.

[1]Anonymous, "Exposition de peintures, sculptures et gravures," L’Année littéraire, supplément, 1761 (Deloynes no. 1272).
[2]Charles Blanc, in « L’artiste Greuze, sa vie et son oeuvre. Sa statue, » Le musée Greuze, 1868, p. 119.
[3]C-L. F. Lecarpentier, Notice sur Greuze lu dans la séance de la Société libre d’Emulation de Rouen, [Rouen], 1805, p. 7.

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