Louis LICHERIE dit de Beurie (Houdan, 1629 – Paris, 1687)

La Déploration du Christ

D. 75 cm

Circa 1665-1670.
Huile sur toile en tondo postérieurement mise sur châssis carré

Provenance
· France, collection particulière.

Cette peinture non signée, qui se rattache à l’évidence à l’école française du XVIIe siècle, s’inspire de deux modèles célèbres. On y relève d’abord l’influence d’Annibal Carrache, auteur de deux Piéta particulièrement admirées. Notre composition ne se réfère pas tant à celle qui fut acquise par Colbert de Seignelay avant de rejoindre la fameuse galerie du Régent (aujourd’hui à Londres, National Gallery), mais bien à une autre Piéta, dans laquelle le Christ adopte une semblable silhouette. À cette source d’inspiration majeure, se greffe celle de l’art du Premier Peintre du Roi-Soleil Charles Le Brun (1619-1690). Telle qu’elle apparaît sur la gauche, sainte Marie-Madeleine paraît difficilement dissociable du Sacrifice de Jephté de Charles Le Brun aujourd’hui au Musée des Offices, ou la fille de Jephté est représentée agenouillée.

L’idée de sacrifice étant commune aux deux œuvres, le motif de la figure féminine éplorée pouvait aisément être transposé, et on notera au passage le même format en tondo. L’apparence donnée à la Vierge, dont le visage est tourné vers le ciel, trouve quant à elle son origine dans une autre œuvre de Charles Le Brun : La Pentecôte, aujourd’hui au Louvre.

Dès lors, il y aurait fort à parier que l’auteur de la Piéta soit à retrouver parmi les élèves et autres assistants de Charles Le Brun. Le fait est que les historiens de l’art ont surtout retenu les noms de ses principaux collaborateurs au fameux chantier versaillais, à savoir René-Antoine Houasse, Claude II Audran et François Verdier. On a moins prêté attention à un quatrième artiste dont la carrière, à en croire les sources, fut entièrement soutenue par Charles Le Brun : Louis Licherie.

Né à Houdan, passé par l’atelier de Louis Boullogne le Père, Licherie avait été, d’après son biographe Guillet de Saint-Georges, présenté très tôt à Le Brun et entra dans son équipe en 1666 . C’est grâce au Premier peintre du roi que le jeune artiste fut nommé, dès l’année suivante, directeur de l’école de dessin de la Manufacture des Gobelins, poste qu’il occupe jusqu’en 1670 avec des émoluments se montant, selon son biographe Guillet de Saint-Georges, à 600 livres par an. Sa progression à l’Académie Royale de Peinture & de Sculpture est tout aussi rapide : reçu le 18 mars 1679 avec Abigail apportant des présents au roi David (Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts), il fut nommé Adjoint à Professeur deux ans plus tard. Pour autant, l’artiste paraît avoir été peu impliqué dans les grands décors supervisés par Le Brun et avoir surtout travaillé pour les églises et les monastères. On peut ainsi citer Saint Louis soignant ses soldats pour l’autel principal de l’église des Soldats aux Invalides (perdu, le modello est conservé à Rouen), un cycle pour Saint-Germain l’Auxerrois, des œuvres pour les Grands-Augustins de Paris ou la Chartreuse de Bourgfontaine (certaines signées).

Le texte de Guillet de Saint-Georges est d’autant plus précieux qu’on y apprend que la première œuvre importante exécutée par Louis Licherie fut une Descente de croix, vraisemblablement entre 1665 et 1670 . Celle-ci n’était plus localisée mais il semble bien qu’on puisse l’identifier avec un tableau vendu en France en 1998 sous une attribution erronée à François Verdier. De fait, l’existence d’une estampe d’après une Assomption de Louis Licherie (Paris, Bibliothèque nationale de France, Est. Da 46) rapproche bien davantage la Descente de croix à l’art de Licherie : prise de la tête au bassin, la Vierge réapparaît à l’identique (la gravure ne faisant qu’inverser le motif). Or, il est évident que si la Descente de croix est bien de Licherie, la Piéta est elle aussi du même artiste : les motifs du Christ mort et de la Vierge ont en effet été reproduits d’une œuvre à l’autre.

L’attribution de notre Déploration du Christ à Licherie se trouve confirmée par un Christ en croix avec saint Bruno gravé par Louis Cossin d’après une œuvre aujourd’hui perdue de notre artiste. Que ce soit dans l’estampe ou dans la Piéta, sainte Marie Madeleine offre un frappant rapport de conformité. Au-delà de cet ensemble d’analogies avec les œuvres de Louis Licherie, on notera le soin absolu dont témoigne la description des instruments de la passion. Or, cette manière de peindre de la manière la plus analytique les objets placés au tout premier plan d’une composition, semble bien avoir été la véritable « marque de fabrique » de Louis Licherie : vaisselle liturgique et autres accessoires sont toujours mis en évidence, que ce soit dans la Descente de croix, dans le morceau de réception du peintre, dans la Sainte Famille du Musée Thomas Henry de Cherbourg ou encore dans le Saint Louis du Musée des Beaux-arts de Rouen.
François Marandet, 3 juillet 2017

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Jacques THUILLIER, « Un tableau de Louis Licherie, le Saint Louis soignant ses soldats atteints de la peste », Revue du Louvre et des Musées de France, no 6, 1969, p. 347-354.

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