94 x 74 cm
Huile sur toile
Cadre en bois sculpté et doré à décor de coquilles, feuilles d’acanthe et fleurettes d’époque Louis XV
Provenance :
• Collection du baron Maurice Edmond Charles de Rothschild (1881-1957), Paris
• France, collection particulière.
Bibliographie :
• Georges Wildenstein, Lancret : biographie et catalogue critiques, l’œuvre de l’artiste reproduite en deux cent quatorze héliogravures, Paris : les beaux-arts, éd. d’études et de documents chez G. Servant, 1924, reproduit sous le n°115, cat. 30
• Christoph Martin Vogtherr et al, Franzosische Gemalde I : Watteau, Pater, Lancret, Lajoue, Berlin 2011, (reproduit, kat. Nr. D4, pp. 746-50)
• Ballot de Savot, Eloge de Mr Lancret, peintre du Roi, impr de J. Guérrin, 1743
Formé de manière précoce à l’exercice artistique « il fut mis, pour apprendre les premiers principes du dessin, chez un maitre à dessiner, dont on ignore le nom. […] L’envie d’étendre ses connaissances au-delà de ce que ce maître pouvoit lui apporter et de s’élever au-dessus de l’état auquel on le destinoit lui fit demander à ses parens de le mettre chez un peintre. Il passa entre les mains de M. Dulin ». Les leçons profitables de ce peintre d’histoire permettent à Lancret se rejoindre l’Académie où il est signalé comme élève à l’âge de 18 ans. Après un premier échec pour le Grand Prix de l’Académie, le jeune homme abandonne naturellement la voie de la peinture d’histoire et développe un intérêt grandissant pour l’œuvre de Watteau de 6 ans son aîné, suivant son exemple et rejoignant à son tour l’atelier de Claude Gillot (1673-1722) qui lui transmet le goût pour la Comédie-Italienne. En 1718, reçu membre de l’Académie, Lancret est un peintre d’un genre affirmé dans lequel il s’épanouit.
Admirant les maîtres anciens, sans jamais quitter sa région parisienne natale, il étudie les chefs-d’œuvre des collections royales bien fournies qui lui apportent une excellente connaissance des modes italiennes en vogue. Pourtant portées en gloire par l’Académie, Lancret ne peint ni scènes religieuses ni scènes d’histoire, ni scènes militaires, et seul un tableau mythologique nous est parvenu. Son œuvre se compose essentiellement de paysages, repas, concerts, danses, jeux, réunions champêtres et pastorales qui forment une unique inspiration, une seule grande série surnommée la « Fête galante », incarnation picturale du siècle « du plaisir », reflet d’un vent de liberté artistique.
« Watteau qui affectionnoit M. Lancret dans les commencemens, lui dit un jour qu’il ne pouvoit que perdre son tems à rester davantage chez un maître ; qu’il falloit porter ses essais plus loin, d’après le maître des maîtres, la nature ; qu’il en avoit usé ainsi et qu’il s’en étoit bien trouvé. » Lancret puise ainsi son inspiration dans la nature et les scènes animées qui la compose telle une grande scène théâtrale dans laquelle il place ses figures entre songe et réalité émanant d’une inépuisable force créatrice.
L’œuvre que nous vous proposons rejoint les quelques rares tableaux de chevalet parvenus jusqu’à nous dans un très bel état de conservation. À l’ombre des arbres dans un parc, un couple s’est arrêté près d’une mare. Assis sur un rocher, un jeune homme vêtu à la mode italienne raccorde entre ses doigts sa vielle. En vogue au cours du XVIIIe siècle, la vielle accompagne les aimables réunions de jeunes gens dans de nombreux tableaux de Lancret (ill. 1). Une seconde composition en particulier retient notre attention, car le peintre réutilise la figure masculine du joueur de vieille sur une toile réunissant de nombreux personnages. Il s’agit de La danse devant la tente (Wildenstein n°151, cat. 50) issu de la collection de Frédéric II de Prusse aujourd’hui conservé à Postdam, Naguère au Nouveau Palais (ill. 2).
Le jeune homme pose le regard sur la jeune femme qui l’accompagne. La tête coquettement penchée, elle est assise sur l’herbe et tient entre ses fins doigts un livre ouvert. Vêtue à la mode du siècle, elle porte une robe à la française de soie rose dont le corsetage au niveau de la poitrine redescend en pièce d’estomac. Sur la jupe de la robe, un tablier fait d’un morceau de mousseline blanche rappelle les costumes des bergères. Sous le pinceau de Lancret, les personnages portent en effet des costumes contemporains dits « de fantaisie », bergers ou acteurs de la Comédie-Italienne. Voilà le succès et le renouveau de la fête galante au cours du XVIIIe siècle. Scènes champêtres et bucoliques s’apparentent désormais à des pièces de théâtre, les personnages dépeints sont ancrés dans l’ère contemporaine, certains sont identifiés, tels que « la Camargo ».
Les années 1730 marquent l’apogée technique et esthétique de la carrière de Nicolas Lancret. Dans la plupart de ces tableaux de chevalet, la composition prend vie sous un pinceau chargé de matière qui transpose la couleur rehaussée par l’utilisation de glacis, permettant de masquer entièrement le grain de la toile.
Dans cette savante composition d’une grande homogénéité, le premier plan s’ouvre en arrière-plan sur un ciel d’une belle profondeur. L’artiste place habilement des arbres de part et d’autre de ses figures, englobant de leur feuillage les deux pans latéraux de la composition : comme un décor de théâtre, la végétation fait office de rideaux de scène.
La « Fête galante » est un genre essentiellement français dont Gillot avait été l’initiateur, poursuivi par Watteau qui en traitait les sujets « d’une manière qui lui étoit propre et que la nature, dont il a toujours été l’adorateur, les lui faisoit apercevoir » (J. de Jullienne) et enfin sublimé par Lancret et Pater. Lancret fut un artiste mondain qui vécut fort « honnêtement » de son art, « un homme assez sérieux et qui, peu répandu dans le monde, ne s’occupoit que de son travail. » (Mariette). Après 53 années d’une vie passionnée consacrée entièrement à son œuvre, le peintre s’éteint à Paris où il était né, s’était marié et avait mené d’une main de maître l’ensemble de sa carrière.
M.O