45 x 55 cm
Huile sur sa toile d’origine
Provenance :
• Vente Tajan 23 juin 1997, sous le titre Coresus et Callirhoé comme Guillon Lethière
• Vente Tajan 21 octobre 1999, sous le titre Coresus et Callirhoé comme Guillon Lethière
• Vente Tajan 19 octobre 2005, sous le titre Coresus et Callirhoé comme attribué à Guillon Lethière
• Vente Tajan 18 juin 2007, sous le titre Coresus et Callirhoé comme attribué à Guillon Lethière
Bibliographie :
• Anne de Herdt, Jean-Pierre Saint-Ours catalogue de l’œuvre, Musées d’art et d’histoire de Genève, 2019
Nous proposons de rattacher cette esquisse vers 1785 au corpus de l’œuvre de Jean-Pierre Saint-Ours.
Peintre d’histoire accompli, Jean-Pierre Saint-Ours incarne avec éclat la grandeur du néoclassicisme. Né à Genève, en Suisse, il appartient à une famille influente issue de la petite noblesse dauphinoise, dont les générations antérieures s’étaient distinguées dans diverses activités artisanales, notamment dans l’exploitation des moulins à tannerie. C’est sans doute sous l’influence de son père, Jacques Saint-Ours, que Jean-Pierre nourrit très tôt un goût prononcé pour les arts. Jacques avait fondé à Nyon dans le canton de Berne, une école de dessin destinée aux artisans, considérée par les magistrats comme très utile au développement des manufactures. En enseignant les clés pour maîtriser la gravure, ciselure et peinture en émail, Jacques profite de cet environnement pour former son fils à ces pratiques.
Le jeune artiste évolue ainsi dans un milieu cultivé où il développe pratique et théorie en étudiant les sources littéraires antiques, théologiques mais aussi philosophiques d’après l’Encyclopédie qui lui enseigne les principes de justice sociale et de civisme, d’indépendance et de fraternité qu’il utilisera comme inspiration majeure dans ses œuvres.
Envoyé à Paris à l’âge de 17 ans, son talent lui permet de rejoindre l’atelier du célèbre Joseph-Marie Vien (1716-1809) à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Il y côtoie le jeune Jacques-Louis David âgé de 21 ans qui se prépare à concourir au Grand Prix de Rome qu’il remportera en 1774 avec Antiochus et Stratonice. Dans l’atelier du maître, les élèves sont formés au dessin et à la peinture d’histoire sous l’égide d’une doctrine du « beau idéal » que Saint-Ours assimile et déploie à travers l’histoire antique et l’allégorie historique. Son parcours est remarquable : deux ans seulement après son arrivée à Paris, il reçoit une première médaille pour son œuvre graphique d’après nature, puis en 1774 le Prix Caylus pour l’étude des Têtes et de l’expression des passions, en 1778, le second Grand Prix de peinture. La gloire du jeune prodige est assurée lorsqu’il remporte, en 1780, le Grand Prix de Rome avec L’Enlèvement des Sabines, un sujet considéré comme difficile puisqu’il exige une parfaite maîtrise de l’anatomie et des expressions. Malheureusement, le jeune homme, de confession réformée et issu de la cité de Calvin, se voit refuser l’entrée de l’Académie de France logée dans la capitale pontificale.
Après avoir obtenu son prix et bénéficié de quelques ressources, Saint-Ours décide de partir pour Rome. Son passage imprègne durablement son œuvre. Peintre d’histoire fasciné par la grandeur de la Ville Éternelle, il puise dans ses splendeurs l’inspiration de ses décors (ill. 1). Ses œuvres évoquent les épisodes de la mythologie et de l’histoire antique qu’il maîtrise parfaitement. C’est vraisemblablement durant ce séjour que l’artiste crée notre tableau.
Ambitieux et avide de reconnaissance, le peintre se lance dans la réalisation de toiles complexes et détaillées, n’omettant aucun détail de l’histoire. Élève assidu des règles dictant le courant néoclassique, il privilégie l’étude par le dessin et la structure solide des compositions. Pour cela, il multiplie les esquisses peintes, modelli, préparatoires ou non à ses œuvres finales. Notre œuvre s’inscrit pleinement dans ce corpus de production. Fidèle à l’héritage formel de l’Antiquité, il place ses personnages au sein de compositions aux décors architecturaux soigneusement ordonnés. Ici, la composition se déroule vraisemblablement dans un temple dédié à Vesta, comme le suggère la statue de bronze visible au second plan, à droite de la scène.
Les couleurs, bien que secondaires dans la construction de la toile, jouent un rôle essentiel dans la version finale. Excellent coloriste, le peintre fait usage de couleurs primaires telles que le jaune, le bleu et le rouge des drapés pour signifier la scène principale, en opposition nette avec l’arrière-plan, effacé dans un camaïeu plus sombre. Cette sélection de gamme chromatique renforce l’aspect théâtral recherché, si cher à la veine néoclassique.
Il est intéressant de mettre en comparaison notre œuvre avec La Continence de Scipion (ill. 2). De format sensiblement similaire, les deux esquisses mettent en place une scène de sacrifice à travers des compositions savamment étudiées, divisées de manière horizontale et verticale suivant les strictes règles du néoclassicisme.
Par un savant jeu de lumière, l’artiste relègue la foule en arrière-plan dans une pénombre aux teintes grises rosées presque spectrale, effaçant sa présence pour mieux exalter l’intensité dramatique du premier plan. À gauche, un groupe de femmes éplorées, dessiné par des lignes souples, est dominé par une figure centrale vêtue de blanc, évoquant l’accoutrement des vestales, vacillante et presque éthérée. À droite, la tension se cristallise autour de figures masculines, où deux personnages se détachent : l’un, le bras levé, brandit une épée, tandis que de sa main gauche, il retient la toge d’un homme plus âgé, comme pour suspendre sa fuite.
Tout comme la plupart des scènes tirées de l’Antiquité, l’histoire revêt un caractère moral. Notre œuvre présente probablement un épisode de sacrifice de l’une des prêtresses de la déesse Vesta, gardienne du feu sacré du foyer romain. Bien que plusieurs indices laissent penser que notre œuvre représente la condamnation à mort de l’une d’entre elles, certains éléments demeurent énigmatiques. Au centre de la composition, le feu sacré semble avoir été ravivé, dégageant une épaisse fumée opaque blanche. Selon les rites romains, lorsqu’une vestale était soupçonnée d’avoir rompu son vœu de chasteté ou laissé le feu s’éteindre, elle était jugée par le pontife Maximus, grand prêtre de Rome, probablement représenté ici à l’extrême droite. Pourtant, sa posture de retrait, voire de fuite, interroge. L’ensemble des personnages paraissent horrifiés face à la sentence prononcée, à l’exception notable de l’homme vêtu d’une toge jaune au centre-droit de la scène, dont l’attitude résolue contraste violemment avec la stupeur ambiante.
Profondément attaché aux idéaux moraux, aux principes de justice sociale et au civisme défendus par le néoclassicisme, l’artiste s’engage sans surprise dans la Révolution genevoise dès son retour en 1792. Il met ainsi son art au service de ses idées et produit des œuvres incarnant les idéaux d’égalité et de citoyenneté jusqu’en 1796, lorsque la Terreur et la violence qui l’accompagne le décourage. Actif jusqu’à sa mort en 1809, Saint-Ours se tourne progressivement vers l’art du portrait, le plus sûr moyen d’explorer la psychologie de ses modèles, aujourd’hui un témoignage précieux de la société genevoise au siècle des Lumières.
M.O