Anthelme-François Lagrenée (Paris, 1774–1832)

Portrait d’un jeune officier cuirassier

115.5 x 89 cm

Huile sur toile
Signé en bas à droite : Lagrenée

Provenance
• Collection privée en Sologne.
• Acquis par l’actuel propriétaire à la vente Rouillac commissaires-priseurs, Artigny, 4 octobre 2020, lot 108.

Anthelme-François Lagrenée, fils du Louis-Jean-François Lagrenée (Paris 1724–1805), est un portraitiste de renom actif au début du XIXe siècle. Né à Paris en 1774 et formé tout d’abord par son père, il devient l’élève de François-André Vincent (Paris 1746–1816) avant de servir dans l’armée française sous la Révolution. Vers 1799, il revient à la peinture et expose au Salon pour la première fois ; il continuera à y participer régulièrement jusqu’en 1831 . Suite à son mariage avec une comédienne, Lagrenée fait le portrait d’un grand nombre d’acteurs et d’actrices, comme l’illustre son célèbre portrait du comédien François-Joseph Talma (1763–1826) en Hamlet (1810, Comédie Française). Sa renommée de portraitiste s’étend à travers l’Europe, au point de conduire Lagrenée en 1817 à partir pour la Russie, où il demeure pendant huit ans. À Saint Petersburg, il reçoit des commandes de la part des membres les plus éminents de l’aristocratie de l’époque, dont l’empereur Alexandre Ier (1777– 1825). En Russie, Lagrenée se spécialise dans la miniature et l’imitation de camées, et se consacrera de plus en plus à ce genre après son retour à Paris en 1825.

L’œuvre que voici, remarquable exemple de l’excellence de Lagrenée en tant que portraitiste, nous montre un officier resplendissant qui pose avec un air nonchalant devant un paysage, les yeux fixés sur le spectateur. Vêtu de son uniforme de cérémonie d’hiver, avec sa cuirasse luisante au dessus de son gilet à manches et pantalon de couleurs foncées, mises en valeur par des fronces et bandes rouges, il place sa main gauche sur le pommeau de son sabre, alors que sa main droite gantée de blanc tient l’autre gant. Cet officier s’appuie sans façon contre un talus sur lequel on aperçoit son casque qui repose sur la surface herbue derrière son bras.

Ce jeune homme aux yeux de couleur gris nuage, ses joues rouges de la vie passée au grand air et bordées des traces d’une barbe naissante, ses cheveux foncés et ondoyants encadrant une expression quelque part énigmatique, semblerait être un individu plus adapté à un Salon qu’au champ de bataille dans une société où les aînés héritaient les terres et les cadets devaient choisir entre les armes et la prêtrise. Notre attention est attirée par la main non-gantée avec ses doigts longs et fins, ses ongles si soignés, qu’ils semblent faits pour jouer à un instrument de musique et qui n’ont jamais fait du travail manuel. Notre regard se dirige vers une ville en arrière plan soigneusement dépeinte et non identifiée. Ses fortifications à la Vauban, son église monumentale, la grande tour carrée et d’autres bâtiments de conséquence au pied d’une montagne doivent représenter un lieu avec une grande signification pour cet officier, tel que le site d’un grand exploit, d’une victoire, son lieu d’exercice, le siège familial…

Devant cette ville, au-delà d’un cours d’eau, un escadron de deux rangs de cavalerie est déployé pour un exercice ou manœuvre. La formation décrite est typique de la deuxième méthode principale d’attaque (sur trois) par des escadrons fermés . Deux lignes de cavaliers étaient espacées « en échiquier » pour permettre à ceux de derrière de boucher les trous lors d’une confrontation. Dans notre tableau, quatre cavaliers sont mis en avant. Face aux troupes, un commandant donne un ordre en levant le bras, pendant que le chef d’escadron, le dos aux lignes, tient sa monture. Deux officiers montés, également, le dos à leurs camarades-en-armes, chargent en avant, un de chaque coté de leur chef.

Le rang de notre officier de lieutenant est indiqué par ses épaulettes en passementerie d’argent et par le motif de têtes de lion sur les bretelles, symbole réservé exclusivement aux officiers pendant la Restauration. Ce statut d’officier se trouve confirmé par le casque en acier poli surmonté d’une haute crinière en crin de cheval, orné d’une jugulaire couverte de laiton, sa ceinture en cuir rouge cousue de fil d’argent, et les fronces rouges formées par la doublure en soie du plastron.
La cuirasse même est composée d’un plastron en acier poli et d’une dossière recouverte de soie et de tissu reliées par deux longues bretelles, rivetées sur la plate arrière, articulées à l’épaule et qui retombent sur le plastron. Ce plastron est la version modifiée en 1816 d’un modèle de 1812 ; cette nouvelle version est restée en usage jusqu’à l’apparition d’un nouveau modèle en 1825. Le modèle de pantalon d’hiver – les uniformes d’été comportaient des pantalons et gilets à manche blancs - date de 1817 . Ainsi, nous pouvons dater le tableau entre 1817 et 1825. Lagrenée pourrait donc avoir peint ce portrait soit avant de quitter Paris en 1817, soit dès son retour en 1825, ou encore lors d’un possible séjour en France pendant qu’il vivait en Russie.

Au cours des guerres napoléoniennes, les cuirassiers jouèrent un rôle essentiel et devinrent la section la plus splendide en apparence et la plus lourdement armée de la cavalerie française. Après la restauration de Louis XVIII sur le trône en 1815, les six régiments de cuirassiers ont reçu de nouvelles appellations en l’honneur de la reine, du dauphin, de ses fils et des deux familles aristocratiques d’Orléans et de Condé.

L’hypothèse a été avancée que cet officier a pu appartenir soit au Régiment de Berry, soit au Sixième Régiment de Condé créé en 1815. Le ton rouge de la doublure, les fronces, le col, les bandes de pantalon, et la ceinture leur sont caractéristiques. La garde du sabre présente un médaillon comportant trois fleurs de lys surmontées d’une couronne et encadrées de drapeaux. Un blason quasi identique apparaît sur la garde d’un sabre et la plaque de ceinture du régiment de Berry. La bordure entourant les trois fleurs de lys pourrait figurer la “bordure engrêlée de gueules” (bordure à feston rouge) qui caractérise les armoiries du Berry ; celles-ci, à une époque plus moderne, étaient également représentées crénelées, comme c’est le cas ici.

L’artiste a été ici fortement inspiré par l’œuvre de Théodore Géricault (Rouen, 1791 – Paris, 1824), tels que le Cuirassier blessé quittant le feu [de la bataille] (Salon du 1814, musée du Louvre, Paris) et l’une de ses études préparatoires Cuirassier blessé (musée du Louvre, Paris).

Alors que Géricault saisit ses sujets en pleine action, luttant sur le champ de bataille, Lagrenée représente son modèle posant dans toute sa splendeur, tout comme le faisait Antoine-Jean Gros (Paris, 1771 – Meudon, 1835) dans son Portrait du lieutenant Charles Legrand (c. 1810, Los Angeles County Museum). Le père de Legrand, le comte Juste Alexandre Legrand, l’un des généraux les plus éminents de Napoléon, passa commande de ce portrait à Gros après la mort de son fils dans la rébellion de Madrid le 2 mai 1808. Qu’elle soit posthume ou non, l’oeuvre de Lagrenée appartient elle aussi à ce type de portraits destinés à glorifier les jeunes membres de l’élite française qui servaient fièrement dans l’armée et mouraient bien souvent pour leur pays.

Bien que les conditions de la commande du tableau demeurent inconnues, on peut émettre l’hypothèse que Lagrenée l’a obtenue par relations. Lui-même avait servi dans l’armée et sa famille était proche des cercles militaires, comme l’attestent les portraits d’officiers exécutés par le père de Lagrenée et son oncle Jean-Jacques (1739-1821). Parmi ceux-ci, citons le Portrait équestre du général Jean Rapp (Musée Unterlinden, Colmar) par le premier et le Portrait du Colonel Poudavigne (Musée des Beaux-Arts de Bordeaux) par le second.

L’extrême clarté et la précision de la peinture, la technique lisse voir porcelaine qui ne laisse pas paraître les traces de brosse, le modelé des volumes en demi-tons rappellent davantage le style néoclassique d’Ingres que les turbulences de la peinture romantique. Lagrenée a rendu avec maestria l’éclat de la cuirasse, qui brille tout en reflétant la main du modèle et la poignée de son sabre. La présence d’un tel détail semble suggérer une fois de plus que Lagrenée connaissait l’oeuvre d’Ingres, qui faisait souvent apparaître des reflets dans ses portraits .

Lagrenée allait exploiter pleinement sa précision picturale en se consacrant à la peinture de miniatures, qui devaient former l’essentiel de sa production la dernière décennie de sa vie.

chr

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