Claude CHARLES (Nancy, 1661 - 1747)

Quatre allégories : l’Architecture tenant le plan de la citadelle de Nancy avec la Chapelle ronde à l’arrière plan, l’Astronomie, la Géométrie, la Sculpture avec le buste de Charles V de Lorraine

133 x 76,5 cm chaque (sauf Géographie H. 132 cm)

Circa 1700. Quatre huiles sur toile.

Provenance
· France, collection particulière

La Redécouvert d’un peintre

« Claude Charles avoit le coloris frais, une grande facilité dans la composition, & dans sa manière de dessiner ; il aimoit le travail, il s’étoit toujours plu à former des élèves, dont un grand nombre lui ont fait honneur. »

Augustin Calmet, Bibliothèque Lorraine ou Histoire des Hommes illustres qui ont fleuri en Lorraine, Nancy, A. Leseure, 1751, p. 165.

En 1697, après plusieurs décennies d’occupation française, la ville de Nancy fut restituée au duc Léopold Ier de Lorraine exilé en Autriche. En 1698, le 10 novembre, le duc et son épouse, Élisabeth-Charlotte d’Orléans, firent leur « joyeuse entrée » dans la ville dont la splendeur était due notamment aux décors éphémères conçus par le peintre Claude Charles.

De Lorraine à l’Italy
Fils de Jean Charles, procureur au bailliage et tabellion à Nancy, conseiller à la chambre de ville, Claude Charles suivit son premier apprentissage dans les années 1670 à Épinal auprès de Jean-Géorges Gérard qui avait fait le voyage de Rome et bénéficiait d’une certaine notoriété comme peintre d’histoire sacrée. Peu après 1677, Charles se rendit à Rome où il demeura huit ans, profitant de la présence d’une communauté lorraine qui comptait de nombreux artistes. Dans la Ville Éternelle, le peintre fréquenta l’Académie de France, qui était ouverte à tous ceux qui voulaient y dessiner lorsque l’on « posait le modèle », ainsi que l’Académie de Saint-Luc qui accueillait aussi des étrangers. Ses véritables maîtres furent le Florentin Giovanni Morandi (1622-1717), et surtout Carlo Maratta (1625-1713), alors à l’apogée de sa carrière et chef de file incontesté de l’école romaine. Charles fut profondément marqué par son style et conserva, sa vie durant, le goût de la composition ample.

Paris et Nancy
De retour d’Italie, l’artiste s’arrêta à Paris où il dut également retrouver nombre de compatriotes. Si le séjour parisien demeure mal documenté, la manière de Charles atteste d’une connaissance intime de l’art de Charles Le Brun et des peintres de l’Académie. Vers 1688, le peintre revint à Nancy : en 1690, il y épousa Anne Racle, issue d’une famille d’orfèvres et de graveurs. L’artiste se forgea rapidement une solide réputation et était, à l’arrivée de Léopold Ier, considéré comme le meilleur peintre de Nancy avec Charles Herbel (1642-1702), gendre de Claude Déruet et qui avait fait deux voyages à Vienne auprès du duc Charles V de Lorraine.

Lorraine : Premier peintre, directeur de l’Académie
C’est donc tout naturellement que le prince confia à Claude Charles plusieurs commandes importantes. En 1701, il le nomma premier peintre, puis le fit héraut d’armes de Lorraine. L’année suivante, Charles devint peintre de la ville de Nancy, puis premier directeur de l’Académie de Peinture et de Sculpture de Nancy qu’il contribua à fonder. Homme de grande culture, l’artiste refusa cependant les lettres de noblesse qui lui furent offertes par Léopold Ier.

Claude Charles pratiqua tous les genres et toutes les techniques de peinture, des fresques monumentales à la miniature, des portraits aux grandes compositions religieuses. Malheureusement, ce sont ces dernières qui le temps épargna, pour la plupart conservées in situ, notamment dans la cathédrale, dans l’église Saint-Nicolas et dans la chapelle des Cordeliers à Nancy. Quant à ses œuvres profanes, seule subsiste un Énée et Anchise dont on ignore la provenance, mais qui donne une idée assez avantageuse et précise de son talent.. La Charité (65 x 47 cm) et La Paix donnant la main à la Justice avec l’Abondance descendant du ciel (69 x 53,5 cm), répertoriés à la fin du XIXe siècle dans les collections particulières ne sont hélas plus localisées.

La peinture allégorique
Or, la peinture allégorique représentait une grande part de l’activité de l’artiste, notamment au service de Léopold. Au Palais Ducal, mal entretenu pendant l’occupation française et rénové à grands frais par le prince dès son installation à Nancy, Charles peignit deux plafonds. Le premier, dans la chambre à coucher du duc, réalisé dès 1698 en camaïeu, représentait un Triomphe de la Peinture, Sculpture et Architecture, véritable manifeste du mécénat d’État. Le second, peint trois ans plus tard dans le cabinet de travail, célébrait la Gloire des Grands en évoquant, toujours en allégories et « génies », des exploits de Charles V, père de Léopold, contre les Turcs. Il s’agissait d’un plafond à caissons de stucs dans l’esprit des salons de Le Brun à Versailles. L’artiste livra ensuite cinq toiles des Amours de Psyché et Cupidon pour le cabinet d’Élisabeth-Charlotte. En 1708, il réalisa, pour le château de Lunéville, Hymen présentant la Paix à la Lorraine accompagnée des figures de l’Abondance, des Arts et d’enfants lançant des fleurs. La même année, il s’occupa des figures du plafond de l’Opéra de Nancy qui évoluaient dans des architectures peintes par Giacomo Barilli et Joseph Gille dit Provençal Apollon, la Peinture et le Dessin au centre, l’Architecture et la Renommée d’un côté, la Tragédie et la Musique de l’autre.

Léopold Ier ne fut pas le seul à solliciter Claude Charles. Avec Barilli, il réalisa le décor à fresque du salon et de la cage d’escalier de l’hôtel de Jean-Baptiste de Mahuet, premier président de la Cour souveraine. Le thème général était un éloge des vertus du magistrat symbolisées par des figures de femmes dans un cadre idéal de jardin à l’italienne animé de fabriques et de fontaines. Les peintures de Charles ornaient les hôtels de Lunati-Visconti et de Lupcourt, les châteaux d’Aulnois, de Frouard ou de Houdemont.

Un corpus perdu
Toutes ces œuvres ont disparu. On ne peut plus guère en juger que d’après le dessin, connu d’après une photographie, pour le frontispice de l’édition de 1710 de l’Histoire de Lorraine de Dom Calmet. Le format vertical, l’organisation scénique de l’espace et la composition générale avec une l’Histoire aux formes plantureuses écrivant sous le regard du Temps et d’Hercule, la disposition régulière des attributs et l’arrière-plan ouvert correspondent exactement aux quatre Allégories que nous présentons. La tête laurée de l’Histoire est une réplique quasi parfaite de notre Sculpture, tandis que sa tunique glissant sur la épaules et menaçant de découvrir un sein est celle de notre Géographie. La typologie des visages féminins, le dessin des mains, celui des bras légèrement trop longs à la musculature prononcée, les drapés volumineux aux revers colorés, le luminisme adouci, le coloris raffiné sont une récurrence dans l’œuvre de Claude Charles, ôtant tout doute sur l’attribution de l’ensemble à l’artiste lorrain, ce qui en fait les seules œuvres allégoriques connues.

Datation de notre oeuvre
La reproduction, dans L’Architecture, du plan de la citadelle de Nancy gravé par Nicolas De Fer en 1693 permet de dater très précisément la création de l’ensemble de l’extrême fin du XVIIe siècle. En effet, le traité de Ryswick permettait le retour de la famille ducale à Nancy à condition de démolir les fortifications de la Ville-Neuve et d’une partie de celles de la Vieille-Ville. La destruction des bastions et des demi-lunes commença dès 1698 et fut achevée moins d’un an plus tard. Le plan de la ville en fut profondément transformé, mais le souvenir des fortifications demeura jusqu’au prochain relevé fait en 1720 pour l’Histoire de Lorraine de Dom Calmet qui en reproduit le tracé en pointillé. La grande proximité de notre suite des Allégories avec l’art louis-quatorzien et les grands décors parisiens du XVIIe siècle, les emprunts à Charles Le Brun, ainsi que les réminiscences de l’école bolonaise, de Nicolas Poussin et de Charles Mellin plaident également pour une datation autour de 1700.

Notre série
Réalisée sans doute pour le décor d’un cabinet, notre série des Allégories n’est probablement pas complète. Déjà, le choix des disciplines est curieux : sculpture et architecture, mais pas de peinture. De même, l’arithmétique et la musique auraient dû accompagner l’astronomie et la géométrie pour former le quadrivium. Ensuite, dans trois tableaux la lumière vient de gauche et dans un seul, la Géométrie, de droite. À supposer que la disposition des peintures dans la pièce était symétrique et que la disposition des ombres correspondait aux fenêtres, il manquerait au moins quatre autres toiles. Il faut cependant noter que la survivance de quatre éléments d’un décor est tout à fait exceptionnelle.

L’Architecture
Si la série présente une grande unité stylistique, chaque élément possède une composition propre et parfaitement distincte des autres. L’Architecture trône sur les marches sous les colonnes massives et un drapé vert. Elle tient un compas et pointe son index vers le plan de Nancy qu’un génie ailé lui présente. L’allégorie fixe le spectateur et paraît majestueuse avec ses habits violine et vert, et un drapé au cangiante bleu et ocre. À ses pieds sont disposés d’autres attributs de l’architecture qu’utilisent des putti ailés : un niveau, un ouvrage sur les ordres, une équerre. Enfin, derrière elle se dresse un bâtiment à coupole qui ressemble beaucoup à la chapelle funéraire des ducs de Lorraine accolée à l’église des Cordeliers.

L’Astronomie
L’Astronomie se tient debout dans un espace délimité par un drapé rouge. Des petites ailes ornent sa tête et sa tunique est jaune clair et bleu nuit. Les yeux levés au ciel, elle mesure avec un compas le carré de Pythagore soutenu par un jeune génie sans ailes. L’arrière-plan est bouché par un grand globe céleste dressé sur un piédestal.

Géométrie
Le globe terrestre, posé par terre, est présent dans la Géométrie, figurée par une jeune femme drapée de rose pâle et cramoisi. À l’inverse de ses compagnes, l’allégorie est vue dans un paysage verdoyant. À ses côtés, un génie tient un théodolite ou graphomètre, tandis que les petits putti mesurent les distances sur le globe.

Sculpture
Enfin, la Sculpture, la tête laurée et drapée de pourpre et vert-jaune, œuvre à un marbre représentant la Renommée. Sur le rebord du mur qui sépare la pièce, semblable à celle de l’Architecture, d’un parc planté d’arbres, sont posés l’Hercule Farnèse et un buste qui semble être celui du duc Charles V d’après le portrait réalisé par Guillaume Wissing (1655-1687) et largement diffusé grâce à la gravure de Jacob Gole. En bas, un petit putti parachève une tête en argile, alors qu’un génie nu montre à la Sculpture le médaillon d’un homme non identifié et qui pourrait être le commanditaire de l’ensemble. Procédé fréquent chez Charles, le génie est plongé dans une sorte de demi-teinte rouge, semblable au reflet d’un foyer, afin de mieux faire ressortir la fraîcheur des carnations de la jeune femme.

Une découverte inestimable
Véritable redécouverte et apport inestimable au corpus de Claude Charles, notre série des Allégories, avec sa noblesse, sa monumentalité et ses effets de couleurs dans la plus pure tradition lorraine, est un témoignage précieux du renouveau de l’art de la cour de Nancy sous Léopold Ier.
A.Z.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Gérard VOREAUX, « Les peintres à Nancy et Lunéville au temps d’Henry Desmarest », in J. Duron et Y. Ferraton (dir.), Henry Desmarest (1661-1741). Exils d’un musicien dans l’Europe du Grand Siècle, Centre de Musique Baroque de Versailles, Sprimont, Mardaga, 2005, p. 149-160.
Gérard VOREAUX, Les Peintres lorrains du dix-huitième siècle, Paris, Messene, 1998.

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