24,2 x 32,2 cm
Huile sur toile
Vers 1818-1820
Inscriptions anciennes à l’encre noire en haut à gauche sur un châssis datant probablement du milieu 19ème : "C.M. MATHIEU"
Provenance :
"Tableaux/ Géricault (Théodore)/ - Tête de chien/ Belle étude" (Catalogue de tableaux anciens et modernes, dessins et aquarelle (...) provenant de la collection de feu M. Mathieu, E. Girard, commissaire-priseur, Féral, peintre-expert, Paris, Hôtel Drouot, salle n° 7, lundi 11 décembre 1876, n° 5).
Paris, collection Edmond Courty (1896-1972).
Paris, collection particulière.
Examens scientifiques :
Tableau nettoyé en 2020 par Mme Laurence Baron-Callegari (Restaurateur du Patrimoine, diplômée de L’IFROA).
Tableau examiné par ARTMYN (Paris), en juillet 2020. Examen photographique multispectral : lumière rasante ; réflectographie ultraviolet ; réflectographie infrarouges et fausses couleurs.
Authenticité :
Cette œuvre sera incluse dans le Catalogue raisonné des tableaux de Théodore Géricault, actuellement en préparation par M. Bruno Chenique.
Cette Tête de bouledogue, magnifique et puissant tableau de Théodore Géricault (1791-1824), est resté totalement inconnu des spécialistes de l’artiste, bien qu’il ait été signalé dès 1876 à leur connaissance (fig. 1).
Si l’on n’a jamais pris le temps de consacrer une étude à la représentation des chiens dans l’art du peintre de la Méduse, un rapide survole de sa production permet d’y déceler une forte présence, un fort intérêt. On pourrait presque parler d’un véritable leitmotiv. Les chiens y jouent en effet un rôle important : ils sont parfois agressifs, au repos ou remplissent leur rôle assigné de fidèles compagnons de l’homme. En 1989, Robert Rosenblum a bien consacré un petite livre intitulé Le Chien dans l’art. Du chien romantique au chien post-moderne où Géricault figure bien, mais avec un seul tableau , reproduit de plus en noir et blanc
Bazin, lui, répertoria un dessin de jeunesse, peut-être réalisé dès 1808 représentant Deux chiens près de leur niche . Vers 1812-1814 la thématique du lévrier est présente dans de nombreux dessins de l’Album, dit de Chicago, qui représente bien souvent l’univers familial de Géricault au Chesnay (près de Versailles), à savoir le château de son oncle Jean-Baptiste Caruel et de sa jeune épouse Alexandrine-Modeste (née de Saint-Martin) . Un lévrier, probablement leur chien, figure sur ces dessins . Un peu plus loin, nous y trouvons un chien de chasse et, dans un autre encore, ce chien est curieusement affublé d’un visage à caractère humain .
Dans la catégorie des chiens domestiques, nous trouvons Le Procureur, un chien qui appartenait à Laure Bro, une amie et voisine de Géricault de la rue des Martyrs et le chien, de race mâtin, que monte le petit Louis Bro . Clément nous apprend que c’était le chien du peintre : « [n°] 57. Galaor. Chien de l’espèce mâtin qui appartenait à Géricault. Il est couché, la moitié du corps passant hors de sa niche de pierre. – Aquarelle. – Au colonel O. Bro de Comères. H., 155. – L., 155 mill » .
D’autres tableaux de Géricault, sur le même thème, sont encore passés en vente au XIXe siècle et n’ont toujours pas été retrouvés : « [n°] 46 – Blidah. Chienne de chasse ayant appartenu à Lord H. Seymour. / [n°] 47 – Deux chiens de berger » .
On trouve enfin, dans la production géricaldienne, la thématique du chien agressif, comme, par exemple, dans une magnifique copie d’un détail de la grande toile de Jean-Baptiste Deshays, Le Martyre de Saint André (aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts de Rouen) . Une copie que l’on peut dater des années 1812-1814 et qui est en quelque sorte l’antithèse de cette Tête de bouledogue où règnent la douceur et le calme.
Calme et douceur
La première allusion connue au chien qui nous intéresse date de l’époque du décès de Géricault. En hommage au peintre, ses amis exposèrent quelques-unes de ses œuvres au Salon de 1824 et Charles Aubry, pour sa part, exposa cette lithographie réalisée d’après une toile de Géricault (fig. 2) :
« SAZERAC et DUVAL, boulevard des Italiens, passage de l’Opéra, escalier A.
« [n°] 2141 - Tête de bull-dog, d’après Géricault, par M. Aubry.
(Explication des ouvrages de peinture, sculpture, gravure, lithographie et architecture des artistes vivants, Paris, Ballard, 1824, p. 226).
La lithographie d’Aubry, publiée par Villain (signalé au dépôt légal le 14 mai 1824), portait un titre et un sous-titre légèrement différent : « BULL-DOG/ D’après l’étude peinte par Géricault » . Le tableau ainsi reproduit rejoindra plus tard la collection de Maurice Cotier et n’est toujours pas, à ce jour, localisé .
Le magnifique tableau que nous présentons ici-même est totalement inconnu de Clément, de Grunchec, d’Eitner et de Bazin, qui, de plus, ignoraient l’existence de la vente Mathieu de 1876. Il est vrai que le titre générique, Tête de chien, ne permettait pas d’établir un quelconque lien avec les séries consacrées par Géricault aux bouledogues. C’est bien la marque ancienne, à l’encre noire, en haut à gauche, sur un châssis datant probablement du milieu XIXe siècle : « C. M. MATHIEU », qui nous permet, aujourd’hui, d’ajouter un important jalon à ce beau dossier.
Plusieurs détails, comme la forme des oreilles (pointues), mais encore l’orientation de l’oreille gauche du chien, l’absence de bosse au-dessus de l’œil gauche, la position et la taille du mufle, un cou (le col) simplement suggéré par un jeu de brosse brillantissime, prouvent que ce tableau n’est pas le modèle lithographié par Aubry en 1824. Nous sommes donc en face d’une autre version, peut-être la toute première, à savoir une véritable étude prise sur le vif. Théodore Géricault aurait donc voulu, avant toute chose, porter son attention sur la tête et l’expression du bouledogue.
Car c’est bien d’un portrait dont il est question. Les yeux ne sont pas injectés de sang et encore moins le signe d’une quelconque férocité. Bazin est prisonnier du verbe « injecter » quand il affirme que l’animal « paraît grogner » . Ces petites touches de rouge, ici, ne sont nullement le symbole de la colère. Tout au contraire ce bouledogue semble doux et affectueux. Grâce à la technique fragmentaire du gros plan, Géricault en a fait un véritable portrait psychologique, un dialogue vibrant et sensible entre l’animal, le peintre (son maître) et le spectateur. C’est avec justesse que Robert Rosenblum, pouvait écrire : « Tel qu’il nous est présenté ici, l’animal parvient à un tel degré de personnification que nous avons l’impression assez dérangeante de l’aborder sur un pied d’égalité ».
Le dialogue est ici fascinant. La technique picturale est au service de ce tête-à-tête muet. La pâte est vive et rapide. Les coups de pinceau volontaires sont apparents, révélant une matière onctueuse et savoureuse. L’économie de couleurs et la rapidité du jeu de brosse, enduits de noir, de brun, de rouge et de blanc, rend parfaitement le pelage du chien. La peinture est exécutée en pleine pâte. Géricault n’a pas utilisé de demi-teintes ni de passages adoucis de lumière. La force de la toile n’en est que plus incontestable. Cette brillante facture démontre une solide connaissance des moyens picturaux et une technique très élaborée, elle est au service d’une puissance d’expression et d’une troublante monumentalité à l’équilibre subtil.
Selon les critères de l’esthétique romantique on ne peut parler d’inachèvement de la toile. C’est, tout au contraire une véritable étude, prise sur le vif (sans doute en une seule séance d’exécution, sans retouches postérieures), qui transmet l’essentiel de ce que le peintre a senti et voulu transmettre.
Nous remercions M. Bruno Chenique, membre de l’Union françaises des experts, pour son aide à la rédaction de cette notice.