Gerard WIGMANA (Workum, 1673 – Amsterdam, 1741)

Vénus endormie - Circa 1715

67 x 53 cm

Huile sur panneau de chêne non parqueté
Signé à gauche vers le milieu sur la base de la colonne Wigman
Au revers, une étiquette imprimée portant le numéro 13 et traces d’un cachet de cire rouge
67 x 53 cm

Provenance :
· Probablement vente Londres, 1737, parmi six tableaux de Wigmana (Lucrèce, Vénus endormie, Lot et ses filles, Vertumne et Pomone, Marie Madeleine, Cléopâtre).
· France, collection particulière.

Le « Raphaël frison », tel fut le surnom sous lequel Gerard Wigmana se fit connaître auprès de ses contemporains et dont l’artiste lui-même semble avoir été l’inventeur. Le peintre paraît avoir voulu marquer ainsi autant son attachement à sa région natale, la Frise, que ses inspirations italiennes et son ambition européenne.

Fils d’un marchand bourgeois de Workum, Jan Tiaerdts, Gerard Wigmana (il prit le nom de sa mère) commença par étudier la peinture chez un peintre verrier de la ville. Il passa ensuite huit mois comme apprenti de Joachim et de Christian Burmeister, artistes allemands de Lunebourg, puis chez un maître de Leeuwarden et ensuite à Sneek, chez Jelle Sibrandsz qui venait de rentrer de Rome. De cette époque date un curieux tableau représentant une grande réception donnée par le bourgmestre de Dokkum, Julius Schelto van Aitzema, et son épouse, Sara van der Brock (huile sur toile signée et datée de 1697, 125 x 175 cm, Dokkum, Stadhuis, inv. 041).

Pour parfaire sa formation, le jeune artiste se rendit à Paris en 1698, où il fréquenta les cours de l’Académie pendant un an et demi, puis à Rome où il devint l’élève de Giovanni Maria Morandi. Il y resta trois ans, copiant beaucoup les œuvres des maîtres et tout spécialement Raphaël, ainsi que Giulio Romano et Titien. À Rome, il était membre des Bentvueghels, confrérie artistique qui réunissait principalement les peintres originaires des Pays-Bas et c’est peut-être lors de leurs joyeuses réunions qu’il gagna son surnom.
Dès son retour d’Italie en 1702, Wigmana entra au service du stathouder de Frise, Jean-Guillaume-Friso de Nassau-Dietz, comme peintre de cour et professeur de dessin du prince et de ses sept sœurs. Il s’installa ensuite à Amsterdam où les commanditaires étaient plus nombreux. L’artiste y demeura jusqu’à sa mort, exception faite de deux courts séjours à Londres en 1737 et à Utrecht en 1738. Artiste polyvalent – peintre d’histoire et portraitiste, décorateur, mais également graveur, dessinateur et même architecte, mais aussi marchand d’art – Wigmana rédigea un traité intitulé Courte étude ou idée pour arriver à une grande perfection dans la peinture paru un an après sa mort, accompagné de son autobiographie et d’un portrait gravé par Bernard Picart d’après un autoportrait.
Bien qu’il ait produit quelques œuvres de grand format, dont Le Dîner donné à Pierre le Grand ou Alexandre le Grand sur son lit de mort peint en 1730 (huile sur bois, 75 x 96 cm, collection particulière), les tableaux de cabinet constituent l’essentiel de son corpus conservé. De taille réduite, généralement sur bois, ce sont des peintures raffinées soigneusement finies aux coloris claires et chatoyantes. Wigmana affectionne les allégories et les sujets tirés de l’histoire romaine ou de la mythologie qui mettent en scène des femmes dénudées dont les carnations laiteuses semblent luire d’une lumière intérieure. Puisant habilement chez les maîtres de la Renaissance, du Maniérisme et du Siècle d’Or comme Gérard Dou ou Frans van Mieris, il recherchait avant tout un effet théâtral, un ravissement de l’œil et une perfection de chaque détail. On sait d’ailleurs grâce aux contemporains de l’artiste, qu’il passait beaucoup de temps à parachever chaque œuvre et n’acceptait à s’en dessaisir que moyennant un prix considérable. Dans son traité, il insiste sur le fait qu’un artiste doit composer une vraie beauté en réunissant la perfection des beautés diverses et que ceci n’est possible qu’après des années de pratique assidue et une fois acquise une technique irréprochable. Wigmana pose comme exemples à imiter Raphaël, Corrège, Titien et Véronèse. Aucun coup de pinceau ne doit être visible, ce qui exclut toute précipitation.

Par comparaison avec les œuvres signées et datées de Wigmana, et tout particulièrement Danaé peinte en 1716 (huile sur toile, 61 x 47,5 cm, collection particulière), la réalisation du panneau que nous présentons peut être située vers le milieu des années 1710, peu après l’installation de l’artiste à Amsterdam et l’époque de pleine maturité de sa manière. D’une sensualité qui n’a d’égal que son extrême finesse, la peinture montre une jeune femme étendue sur un lit dans une pose chaste et néanmoins érotique. La lumière diffuse et claire caresse sa peau lisse et diaphane ne créant que quelques ombres transparentes, puis s’éteint dans l’épaisseur du lourd drapé vert émeraude et l’opacité de la pierre gris sombre.
Une tête de Cupidon sculptée dans un coin de la couche permet d’identifier la belle endormie comme Vénus, mais même sans cette allusion, elle n’aurait pas paru réelle, à l’inverse des galantes assoupies imaginées par François Boucher quelques dizaines d’années plus tard. À partir de la statuaire antique et des nus maniéristes, Wigmana recrée une plastique aussi idéale qu’improbable, n’hésitant pas, tel Pygmalion, à insuffler la vie dans ce corps abandonné au sommeil par quelques détails délicats et étonnamment réalistes : doigts des mains tendrement rosés, orteils, bouche entrouverte découvrant les dents. À son habitude, le pinceau dépeint tout aussi amoureusement les cils blonds de la déesse traités un par un, le fin ruban azuré qui s’entortille dans ses cheveux ou les reflets de lumière sur les ongles, que les rinceaux du damas bleu du petit tabouret dont les pieds en pattes de fauve possèdent les griffes dignes d’un vrai lion, les fils d’or qui forment le pompon du coussin ou les liserés brodés des drapés de soie et de velours.

A.Z.

Bibliographie de l’œuvre :
B. van Haersma Buma, « Gerardus Wigmana. De Friese Raphaël », De Vrije Fries, 49, 1969, p. 43-65.

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