Charles-François Grenier de Lacroix dit LACROIX DE MARSEILLE (Marseille, vers 1700 – Berlin, 1782)

Vue d’un port méditerranéen au coucher du soleil, des pêcheurs au premier plan et une forteresse sur une colline

26 x 33,5 cm

Deux huiles sur toile formant pendants
L’un signé en bas à droite sur un tonneau au premier plan De Lacroix Roma 17…

Provenance :
• France, collection particulière.

Bibliographie :
• Florence Ingersoll-Smouse, Joseph Vernet, peintre de marine, 1714-1789 : étude critique suivie d’un catalogue raisonné de son œuvre peint, Étienne Bignou, éditeur, Paris, 1926

Charles-François Grenier de Lacroix dit Lacroix de Marseille est un peintre de marines qui jouit d’une grande réputation de son vivant. Inspiré par le fameux Claude-Joseph Vernet dont il est l’élève à Rome sous le nom de « Della Croce », Lacroix trouve sa propre clientèle en apportant une grande préciosité à ses œuvres, lui permettant ainsi de prolonger son séjour italien où il restera une vingtaine d’années, bien que les dates exactes restent à définir.
Longtemps écarté des genres glorifiés par la peinture française, la mer est un sujet qui fascine de nombreux artistes au cours du XVIIIe siècle. Entre la France et l’Italie, Lacroix représente la plupart des ports qu’il visite. Entre songe et réalité, il aime s’inspirer de lieux connus, subtilement mêlés à des inspirations tirées de son propre imaginaire. Il est à fortiori difficile d’identifier un port de manière précise, la plupart des œuvres de l’artiste ne sont par ailleurs jamais situées.
Au-delà de la représentation de la mer qu’il aimait et connaissait, les côtes rocheuses sont systématiquement animées de personnages rythmant habilement la composition par quelques taches de couleurs. Une poésie émane ainsi naturellement de son travail qu’il s’agisse d’un chaleureux coucher de soleil ou d’une représentation d’un orage qu’il sublime par des effets dramatiques.

Lacroix aura l’occasion de produire certaines de ses œuvres en pendants. Nos deux œuvres témoignent de cette production en opposant d’un côté une mer calme et reposante baignée par un coucher de soleil et une violente tempête de l’autre.
La première illustre un port au fond montagneux dans lequel évoluent au premier plan quelques pêcheurs affairés à leur tâche. Plongée dans la douce lumière d’un coucher de soleil, l’œuvre est située Roma. En Italie, l’artiste a pu visiter les plus fameux ports de la côte, probablement celui de Gênes ainsi que ceux de la côte amalfitaine. Le fort représenté ici au second plan à droite de la composition peut être rapproché des tours du Castel Nuovo de Naples, qui avait par ailleurs attiré son maître Joseph Vernet autour de l’année 1737 et dont nous connaissons quelques dessins (ill. 1).
Il semble que cette vue l’ait inspiré puisqu’il la représentera à plusieurs reprises, comme en témoigne une œuvre détenue en collection particulière présentant la même architecture des tours dont on reconnaît, en l’un des sommets, un mât, reproduit dans notre œuvre (ill. 2).

En utilisant le même fond de paysage montagneux, Lacroix représente sur la seconde toile une mer tumultueuse dans laquelle, perdus dans une mêlée de flots sombres et menaçants, des navires en perdition sont emportés par un vent mugissant, tandis que l’un d’entre eux vient se briser sur la côte rocheuse. Au milieu des eaux troubles et de l’opacité du ciel, trois hommes représentés au premier plan à gauche s’efforcent de retenir quelques cordages : une image dramatique que l’artiste reproduira à plusieurs reprises et plus largement utilisée par de nombreux peintres de marines du XVIIIe siècle (ill. 3 & 4).
Entre les débris d’épaves à la dérive, les personnages frappés par la puissance des éléments se débattent, crient et lèvent les bras comme implorant le ciel. En précurseur de la veine romantique qui animera le siècle suivant, Lacroix représente, à travers cette mer déchaînée, l’image d’une nature insensible à la souffrance humaine.

Un subtil équilibre règne dans ses œuvres construites en hommage à la mer qui occupe systématiquement la majorité de la composition et dans lesquelles l’être humain, esquissé par quelques savantes touches nerveuses, n’apparaît que pour animer l’ensemble.
D’un pinceau fluide et précis, l’artiste capte les effets du vent qui d’une part porte les oiseaux et souffle sur les bateaux sortant du port, et d’autre part s’engouffre dans les voiles des navires qui s’échouent, forme des vagues en rouleaux qui se brisent sur la côte et étire les branchages des arbres en silhouette dressés contre le ciel.
Les dimensions restreintes de deux toiles utilisées ici apportent une préciosité supplémentaire au travail de l’artiste dont l’éloquence coloriste permet de rendre fidèlement les variations climatiques changeantes et les lumineuses splendeurs du ciel qui s’offrent à sa vue. En attentif observateur de la nature qu’il aime tant, Lacroix gratifie la mer de son plus bel éclat, allant jusqu’à transformer l’image tragique d’une tempête en sublime.

Parmi les nombreux peintres de marine du XVIIIe siècle, il nous faut laisser une place de choix à Charles-François Grenier de Lacroix pour la remarquable qualité et vivacité de ses œuvres que son mentor Joseph Vernet lui reconnaissait : quelques œuvres signées du maître émanent en réalité de l’habile pinceau de son élève.

Nous remercions Monsieur Jean-Luc Ryaux qui, après examen de visu de ces œuvres, les inclura au Catalogue raisonné des œuvres de Lacroix de Marseille actuellement en préparation.

M.O.

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