François Dominique Aimé MILHOMME, attribué à (Valenciennes, 1758 - Paris, 1823)

La Pythie, oracle de Delphes

56,5 x 46 x 32 cm

Circa 1800. Plâtre creux patiné terre cuite.

Provenance
• France, collection particulière

La séduction qui émane de notre œuvre n’a d’égal que le mystère qui l’entoure et qui transcende les époques, les styles et les traditions.

Sans base ni socle, mais coupée droit à la manière des sculptures funéraires antiques ou des bustes de la Renaissance, cette représentation pleine de poésie résiste à toute interprétation iconographique. Le chiton ionique fermé aux épaules par de petites agrafes appartient indubitablement à l’antiquité gréco-romaine, mais aucun attribut ni élément ne permet d’être plus précis, y compris la tresse formant un grand nœud au-dessus du front de la jeune femme. Inédit, ce nœud ne correspond à aucun répertoire formel et semble être soit une transcription inexacte d’un détail antique, soit une invention du sculpteur. D’autre part, les cheveux ceints d’un bandeau et épars sont non seulement inconvenants pour une femme mariée ou une déesse, mais s’avèrent l’apanage des jeunes éphèbes, voire d’Apollon, troublant d’autant plus la perception de ce buste.

La seule explication plausible à cette liberté prise avec l’iconographie conventionnelle est qu’il s’agit d’une prêtresse, dont l’accoutrement et tout spécialement la coiffure différaient de ceux habituellement portés par les femmes, en Grèce aussi bien qu’à Rome. Le côté « apollonien » de la chevelure défaite, ainsi que l’absence du voile recouvrant la tête fait penser à la Pythie, oracle du temple d’Apollon à Delphes, ou à la Sybille de Cumes, son équivalent chez Virgile. Aucune description exacte de son apparence n’existe – chez Virgile, elle est seulement « échevelée » (Énéide, chant VI, 77) – et ses images sont rarissimes. Dans son très consultée Antiquité expliquée et représentée en figures, Bernard de Montfaucon ne reproduit qu’une seule image : un haut-relief tiré du célèbre cabinet de Fabri de Peiresc et non localisé aujourd’hui . La planche figure une jeune femme vêtue d’un chiton ionique et s’appuyant sur un trépied, l’attribut logique de la Pythie à défaut d’être traditionnel, puisqu’elle prophétisait assise sur un trépied.

À la seule exception du voile et, semble-t-il, d’une couronne, le personnage de ce haut-relief s’avère très proche de notre œuvre. On remarque surtout la bouche légèrement entrouverte qui sied parfaitement à un personnage prophétique. Nul doute en effet que la jeune femme de notre buste est en train de parler, mais c’est un monologue, car son regard baissé et quelque peu vague empêche toute conversation avec le spectateur.

Cette bouche entrouverte laissant apparaître les dents, le nez légèrement busqué, les yeux baissés : notre buste déjà original de par son iconographie, l’est d’autant plus par sa divergence avec les canons esthétiques de la statuaire antique, du moins tels que définis par le néoclassicisme. De même, l’aspect géométrisé de la chevelure bouclée traitée mèche à mèche tranche avec la finesse du drapé qui épouse les formes en plis libres et légers. Enfin, le réalisme dans le rendu des sourcils, des lèvres, des paupières et des yeux aux pupilles dilatées – elles ne sont pas creusées, mais contournées –, contraste avec la frontalité quasi hiératique de l’œuvre.

La coexistence parfaitement maîtrisée, dans une seule œuvre, d’approches artistiques aussi diverses, voire contradictoires, confère à notre buste un charme indéniable et envoutant. Elle permet également de dater la sculpture du début du XIXe siècle, fort des acquis des époques passées et des découvertes toutes récentes en ce qui concerne l’art et l’histoire de l’Antiquité. Après une composition de Poussin qui avait projeté de représenter Hercule devant la Pythie dans la Grande Galerie du Louvre (dessin préparatoire mis au carreau conservé au Louvre, inv. 32507), notre sculpture serait l’une des premières évocations artistiques de la prophétesse avant que le Romantisme et l’Historicisme ne s’en emparent. Mais on est loin ici de ces figures exaltées, comme la Pythie de Delphes sculptée à Rome en 1869 par Charles-Arthur Bourgeois (Narbonne) qui apparaît agitée, menaçante, vociférant ses oracles.

La manière hétérogène de notre buste complique son attribution. Néanmoins, l’ovale gracieux du visage, la forme du nez, le menton rond, le cou allongé, la chevelure incisée font rapprocher cette sculpture du buste en hermès d’Andromaque, un plâtre de François Dominique Aimé Milhomme, signé et daté de 1800 (musée du Louvre, inv. RF 3521).

Élève de Pierre-Joseph Gillet à Valenciennes, puis d’André-Jean Lebrun et de Christophe-Gabriel Allegrain à l’Académie Royale, Milhomme vit les débuts de sa carrière compromis par la Révolution. Il ne put concourir pour le Prix de Rome qu’en 1797, puis en 1798, et l’obtint en 1801. Son séjour à la Villa Médicis dura neuf ans. À son retour en France, il prit part aux Salons exposant des reliefs historiques et des portraits en buste des hommes illustres. Il fut sollicité pour les ornements de l’Arc de l’Étoile, réalisa plusieurs monuments publics, dont L’Abondance, statue colossale en pierre pour le marché Saint-Germain à Paris (détruite), ainsi que des tombeaux.

La Notice sur la vie et les ouvrages de Milhomme, statuaire, publiée à Paris en 1844 par ses proches, ne mentionne aucune œuvre comparable à notre buste, mais omet également l’Andromaque . Le texte précise toutefois qu’en 1799-1800 le sculpteur s’occupa à orner « de bustes et de bas-reliefs, un hôtel somptueux de la Chaussée d’Antin » et travailla pour l’orfèvre Robert Joseph Auguste.

De dimensions sensiblement proches de notre buste, l’Andromaque est nettement plus antiquisante et présente, sur trois faces du socle, des bas-reliefs tirés d’Iliade qui confirment l’identité du personnage. Pour autant, l’inclinaison de la tête et l’expression de douleur contenue attestent de la même recherche qui avait présidé à la création de notre œuvre. La coiffure recherchée accuse la même la finesse d’exécution, visible malgré l’épaisseur de l’enduit et dont la ciselure rappelle que l’artiste fournissait des modèles d’orfèvrerie. On doit également citer le buste en hermès de l’architecte Pâris réalisé par Milhomme en 1807 et où l’on retrouve la bouche entrouverte et le rendu naturaliste des sourcils malgré les yeux vides à l’antique (plâtre préparatoire patiné terre cuite, H. 57 cm, Dole, musée des Beaux-Arts, inv. 575 ; marbre Besançon, musée des Beaux-Arts).
A.Z.

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