21,9 x 29,4 cm
Mine de plomb
Provenance :
• France, collection particulière
Bibliographie :
• Pierre-Louis Mathieu, Gustave Moreau : Monographie et nouveau catalogue de l’œuvre achevé, Courbevoie : ACR éd, 1998
Exposition :
• Sous la direction d’Emmanuelle Brugerolles, Quand Moreau signait Chassériau, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 18 octobre - 16 décembre 2005, repr. p. 43, cat. 9
« (…) depuis l’âge de 8 ans il ne cessait de dessiner tout ce qu’il voyait. »
Passionné par le dessin qu’il pratique très tôt, le jeune Gustave Moreau est cependant amené à terminer ses études avant de se consacrer pleinement à sa vocation. Il est le fils de Louis Moreau, un architecte qui avait étudié aux côtés de Charles Percier (1764-1838) et de Pierre Fontaine (1762-1853), qui le soumet, après obtention de son baccalauréat, à l’enseignement du peintre Pierre-Joseph Dedreux-Dorcy (1789-1874) qui confirme le talent du jeune homme pour le dessin. Il est par la suite envoyé dans l’atelier de François-Édouard Picot (1786-1868). Son indéniable talent lui permet d’obtenir un premier prix à l’âge de 13 ans puis de rejoindre l’École royale des Beaux-Arts 7 ans plus tard.
Copiste assidu du Louvre, Gustave Moreau témoigne d’un goût particulier pour les sujets antiques et mythologiques qu’il place au premier plan de son œuvre : l’École le qualifie de peintre d’histoire.
« Que d’éléments forment son talent ! Il part de Delacroix qu’il a entrevu à travers son cher Th. Chassériau, cet autre peintre aux hautes visées, qu’il aima comme un frère (…) »
Fasciné par l’œuvre de quelques-uns de ses plus fameux contemporains, il s’imprègne de l’œuvre d’Eugène Delacroix (1798-1863) dont il admire aux Salons le romantisme exacerbé de ses scènes dramatiques et violentes, avant de se tourner vers le travail de Théodore Chassériau :
« On sait trop parmi ceux qui s’intéressent quelque peu aux choses de l’art ma fidélité au souvenir de Chassériau, à la mémoire de ce noble et admirable artiste que j’ai tant aimé. »
Au Salon de 1852, Moreau présente, en même temps qu’une Pièta et un Portrait d’homme, tête d’étude, une œuvre d’histoire relatant la dernière grande bataille de Darius III, roi des Perses battu par Alexandre le Grand titrée Darius après la bataille d’Arbelles poursuivi par les Grecs s’arrête épuisé de fatigue, il boit dans une eau fangeuse. Les trois œuvres furent refusées par le jury. Le modèle de Darius, proche de celui de Chassériau, est tout de même salué par quelques contemporains tel que Théophile Gautier dont la critique éloquente vante les mérites de l’œuvre : « (…) ce morceau d’une audace superbe, d’une couleur violente et d’une grande fougue de brosse ; il aurait produit un bon effet au milieu de ce Salon un peu calme et un peu trop prudent ; en art, il est bon quelquefois de casser des vitres. » Le Salon accepte finalement l’œuvre l’année suivante, sous le titre Darius fuyant après la bataille d’Arbelles (ill. 1). Par la suite, le tableau demeure dans l’atelier de l’artiste qui le retouche à plusieurs reprises grâce aux nombreuses esquisses qu’il avait réalisé pour l’œuvre peinte et dont notre œuvre est un exemple. Elle présente, à droite, deux études pour un soldat casqué à mi-corps, pris dans un mouvement défini par le bras gauche représenté plié puis déplié. L’étude permit à l’artiste de travailler le rendu du visage d’une figure majeure de la composition, placée au deuxième plan au centre à droite, derrière de celle de Darius couché au sol.
« Je veux faire un art épique qui ne soit pas d’école. »
Les quelques dix mille dessins que l’artiste laisse à sa mort témoignent de l’importance que l’artiste accordait à ses feuilles d’études, dans une frénétique nécessité de multiplier les possibilités de composition.
L’osmose stylistique avec l’œuvre de Chassériau fut soulignée lors de l’exposition de 28 dessins inédits au musée Gustave Moreau en 2005, au cours de laquelle fut présentée notre œuvre . L’ensemble témoigne de la vitalité de la main de l’artiste et de sa capacité à traduire la nervosité de son sujet par un trait aussi rapide qu’audacieux : sa liberté de facture qualifiée de « chassériesque » conduisit plus d’une fois les spécialistes à attribuer ses œuvres graphiques à Chassériau. Notre œuvre a vraisemblablement été réalisée entre 1850 et 1852, époque de transition durant laquelle Moreau se détache de l’utilisation de l’aquarelle au profit de la mine de plomb de manière à rendre avec une grande précision les détails de ses études, tout en repassant plusieurs fois sur le même trait afin d’en accentuer la vivacité (ill. 2).
L’étude des deux soldats casqués à droite fait face à celles d’une jambe et d’une épaule à gauche, révélant un insatiable besoin de dessiner, en quête d’une composition qui lui donnerait entière satisfaction. Notre dessin évoque la fougue avec laquelle l’artiste travaille, passant de l’étude d’un détail à une ébauche de composition sans transition, reniant la rigueur et sévérité imposée durant sa formation académique.
Notre œuvre témoigne de l’admiration portée par l’artiste à Théodore Chassériau dont le romantisme exalté lui avait permis de quitter le chemin de l’académisme enseigné à l’École nationale des Beaux-Arts. Préparatoire à l’œuvre peinte conservée au musée Gustave Moreau (ill. 1), la redécouverte de cette feuille d’étude donna lieu à de nouvelles recherches sur l’œuvre finale qui demeurait, jusqu’à lors, peu documentée.
M.O