Pierre noire, estompe et rehauts de blanc sur papier chamois
Personnalité hors du commun, artiste bohème aussi talentueux qu’inclassable, Gabriel de Saint-Aubin fut redécouvert à la fin du XIXe siècle grâce à la notice que lui consacrèrent les frères Goncourt, dans leur fameux Art du dix-huitième siècle. Il aurait étudié à l’Académie royale avant de s’en détacher brutalement, n’ayant obtenu que le second prix de peinture en 1751. Il « devint soudain le Gabriel de Saint-Aubin qu’il resta toute sa vie, précisent les Goncourt, un artiste ayant rompu avec les routines, les pratiques, les traditions, les respects humains de l’art, cherchant le beau dans ce qu’il avait sous les yeux, dans le spectacle du Paris du XVIIIe siècle. »
Gabriel de Saint-Aubin laissa derrière lui un nombre considérable de dessins croqués sur le vif, témoignant de sa sensibilité autant que du monde qui l’entourait. Dessinateur effréné, passant de fêtes en spectacles et de cérémonies en scènes de rue, il se fit le chroniqueur du Paris des Lumières. « Il étudiait sans cesse, à sa façon, et comme pour lui, continuent les Goncourt. C’était une passion de dessiner partout, toujours et tout au monde. (…) Crayon en main, il allait à toute heure et sans trêve, crayon en main il était ici et là, sur le pavé, en pleine rue, en plein peuple parisien, attrapant à la volée, sur le vrai et sur le vif, le défilé et la processions des passants. »
Saint-Aubin s’essaya à toutes les techniques, en les mêlant avec audace. Sur ses feuilles s’imbriquent croquis et notes presque indéchiffrables, révélant en filigrane la personnalité de leur auteur. L’artiste est également une providence pour les historiens de l’art : aussi intéressé par l’art ancien que par les nouveautés, il annota livrets de Salon et catalogues de vente par de nombreux croquis.
Si l’on ne croisa guère Gabriel de Saint-Aubin à l’Académie royale, on sait qu’il fréquenta l’Académie de Saint-Luc. Est-ce là qu’il a croqué notre assemblée d’élèves, comme il en a dessiné les modèles (Les modèles à l’Académie de Saint-Luc, Paris, Musée du Louvre) ? On retrouve à plusieurs reprises dans son œuvre des hommes ou des femmes penchés sur leur ouvrage ou accoudés à leur chevalet, crayon à la main. On pense à l’Etude de peintre et de dessinateur (Paris, Musée Carnavalet), ou encore aux Quatre études de femme (Chicago Art Institute).
Saint-Aubin représente ici une académie de jeunes hommes, leurs planches de dessin sur les genoux. Il les saisit dans leur travail, et ne s’attarde pas à décrire le motif qui les occupe : seul un angle évoque la table sur laquelle pose le modèle vivant. L’un lève le visage, le regard fixé sur son sujet. L’autre s’incline pour regarder ce que dessine son voisin ; un troisième, concentré, est penché sur son œuvre. La technique de l’artiste est souple, allusive : il emploie la pierre noire, qu’il estompe partiellement pour retranscrire la profondeur et le modelé. Les personnages les plus éloignés ne sont plus que des silhouettes. Il rehausse librement son dessin de craie blanche.
Saint-Aubin conjugue ici liberté d’exécution et faculté d’évocation, dans une feuille concentrant des qualités que louaient déjà les Goncourt. « Les dessins de Gabriel, (…) reconnaissables au milieu de tous les dessins des dessinateurs du siècle par leur caractère de dessins de peintre, sont un vrai régal pour les yeux d’un amateur. »
Provenance :
France, collection particulière
Bibliographie :
Gabriel de Saint-Aubin : 1724-1780, catalogue d’exposition, The Frick Collection, Musée du Louvre, Paris : Somogy, 2007
E. DACIER, Gabriel de Saint-Aubin : peintre, dessinateur et graveur, 1724-1780, Paris, Bruxelles : G. van Oest, 1929 – 1931
E. de GONCOURT et al., L’art du dix-huitième siècle, fasc. 6 et 7, Paris : Quantin, 1880 – 1882