Cornelis DUSART (Haarlem, 1660 - 1704)

Le charlatan

51,9 x 35,5 cm

Circa 1690
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Plume et encre brune, lavis brun sur feuille cintrée
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Sur l’affiche du charlatan, annotations supprimées et modifiées en Utrecht et monogramme Fcf.

Provenance
• France, collection particulière

Par une belle journée d’été, sur la place du village, un bonimenteur aux vêtements qui se veulent élégants, mais sont mainte fois rapiécés, vante aux habitants quelque produit miraculeux, peut-être un raticide. Faite de planches, son estrade semble un bateau qui vogue sur la foule avec, pour voile, une grande gravure relatant, avec force détails, les effets de la potion, pour mât, la crécelle à tambour du charlatan, et, pour mousse, un singe savant attaché à une chaîne. Les promesses, les certificats en tout genre et la figure pittoresque de l’homme attirent surtout les enfants, qui délaissent leurs jeux pour voir le spectacle, mais aussi des paysans aux mines renfrognées, des badauds crédules, une femme avec son panier à provisions et un curieux voyageur enturbanné.

Notre feuille s’inscrit dans la tradition d’un genre né avec Pieter Bruegel l’Ancien et largement développé par les peintres néerlandais du Siècle d’Or. Peuplées de braves gens aux poses sans tenue et mimiques grossières, riant, dansant, s’enivrant dans une ambiance joyeuse de marchés, tavernes ou kermesses, ces images se définissent par contraste avec la distinction et la dignité requises dans la peinture d’histoire. Si certaines flirtent volontiers avec la caricature, d’autres cherchent à saisir le naturel des expressions, des attitudes et des aspirations dans un propos moralisateur ou comique, ce qui explique le succès considérable de ces sujets auprès d’une clientèle bourgeoise.

Peintre, dessinateur et graveur, Dusart fut le fils de l’organiste de Saint-Bavon à Haarlem. Vers 1675, il entra en apprentissage chez Adriaen van Ostade (1610-1685). En janvier 1680, la guilde de Haarlem le reçut comme maître. Douze ans plus tard, il fut élu doyen de la corporation pour un an. Comme son maître, Dusart se spécialisa dans la représentation de la vie quotidienne des paysans et des gens simples. Ses premières œuvres attestent une très forte influence de Van Ostade, confinant à l’imitation. À la mort de son maître, Dusart récupéra tout le fonds d’atelier, dont certains dessins et peintures inachevés et que l’ancien élève prit soin de terminer.
Outre Van Ostade, l’artiste tirait son inspiration de Jan Steen (1626-1679), célèbre pour ses scènes comiques, qui vécut à Haarlem dans les années 1660. Dusart lui devait l’humour et la théâtralité exagérée de bon nombre de ses œuvres. L’artiste puisa également chez ses aînés certains sujets, dont les arnaqueurs, ainsi que quelques figures. On reconnaît ainsi le petit garçon au cerceau de notre dessin dans le Charlatan peint par Van Ostade en 1648, tandis que le bonimenteur rappelle celui peint par Steen vers 1660 (Amsterdam, Rijksmuseum, inv. SK-A-387). De même, le format cintré et à la composition pyramidale concentrée dans la moitié inférieure évoque les créations élégantes et d’une tout autre manière de Gerrit Dou (1613- 1675), notamment son Médecin charlatan datant de 1652 (Rotterdam, Museum Boijmans van Beuningen, inv. St 4).

Dès avant la fin des années 1680, Dusart s’écarte cependant des schémas artistiques de ses prédécesseurs pour laisser libre cours à sa verve personnelle et son sens aigu d’observation. Cette expressivité burlesque qui constitue l’originalité de sa manière se manifeste le mieux dans son œuvre graphique et plus particulièrement dans ses dessins au lavis. Très poussés, ils étaient parfaitement indépendants de sa production picturale et destinés à la vente. Leur renommée était grande, aussi bien du vivant de l’artiste qu’après sa mort : Jan van Gool, auteur de la biographie de Dusart parue en 1751, note ainsi que ses feuilles sont « appréciés par les amateurs d’art qui les conservent précieusement ». Il n’est pas impossible que notre œuvre soit le « charlatan à une kermesse par Cornelis Dusart », qui figure dans l’inventaire après décès de Maria Justina Kraij, épouse de Samuel van der Lanen le Jeune, échevin de Haarlem, dressé le 30 août 17221. La collection de cette riche famille comprenait un nombre impressionnant de tableaux de grands maîtres, ainsi que des dessins encadrés.

Faisant la part belle au lavis brun, notre feuille est construite principalement au moyen d’un clair-obscur vigoureux qui intensifie et dramatise la scène. Sur une mise en place tracée d’une fine plume, Dusart revient au pinceau en réservant de larges plages blanches pour former la lumière qui tombe sur l’estrade, le sol, les personnages massés autour du charlatan et éclaire la façade d’une maison à l’arrière-plan. L’artiste reprend ensuite sa plume pour accentuer un détail de quelques traits, comme le visage fantomatique de l’homme qui apparaît à la fenêtre, les rayures de la jupe d’une fillette ou les rats morts attachés à la crécelle.

Notre Charlatan est à rapprocher d’autres dessins de Dusart réalisés dans la même technique en brunaille et mettant en scène les personnages encore marqués par l’influence de Van Ostade, comme Un boutiquier devant son échoppe jouant du cor (British Museum, inv. 1910,0212.136), Paysans et enfants assistant à un combat de coqs (collection Jean Bonna) ou encore Joueur de vielle qu’il signa de deux noms, le sien et celui de son maître. Les similitudes avec les estampes de l’artiste datant de la seconde moitié des années 1680, comme Un joueur de violon dans une auberge daté de 1685 ou la série des Cinq sens en manière noire, un procédé qu’il fut l’un des premiers à pratiquer et dont le travail est proche de celui du lavis, permettent de dater notre feuille de la même époque.
A.Z.
Bibliographie générale (œuvre inédite)
• Irene van Thiel-Stroman, « Cornelis Jansz Dusart », Painting in Haarlem 1500-1850. The collection of the Frans Hals Museum, Gand, Haarlem, 2006, p. 144-145.

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