Jean-Baptiste Leprince (Metz, 1734 - Saint-Denis-du-port, 1781)

Le Repos pendant la fuite en Egypte (recto) Esquisse de paysage avec un paysan et son âne (verso)

34,8 x 32,1 cm

Pierre noire, sanguine, lavis gris et lavis de sanguine sur papier filigrané avec un fleurdelisé et couronné
Signé et daté "le Prince 1769" en bas à droite

Provenance :
• France, collection particulière

Enfant de la ville de Metz, Jean-Baptiste Le Prince est le fils d’un maître menuisier-sculpteur et doreur, ce qui développa probablement son goût précoce pour les arts. Dès son adolescence, l’habileté du jeune homme dans la pratique du dessin est remarqué par le Maréchal de Belle-Isle, gouverneur militaire, et c’est sans doute sous sa protection que Le Prince rejoint l’atelier de François Boucher à Paris. Ses premiers dessins peuvent être datés des années 1755-57, lorsque l’artiste travaille en partie pour des eaux-fortes de l’abbé de Saint-Non, sous le patronage de Jean-Honoré Fragonard et de Hubert Robert.

Ses premiers témoignages graphiques attestent de l’influence de son maître par des représentations de paysages français animés dans lesquels sa personnalité est déjà affirmée à travers un rendu très précis de la nature, qu’il conservera durant toute sa carrière.

À 22 ans, Le Prince est envoyé à Saint-Pétersbourg sur convocation de la Chancellerie impériale des Bâtiments pour rejoindre l’atelier des peintres-décorateurs des appartements de l’impératrice Elisabeth dans le Palais d’Hiver. On lui commande alors des dessus-de-porte – les archives en recensent 45 pour la tsarine et 39 pour Pierre III – à la mode du jour dont des allégories, des scènes mythologiques et des paysages. Suite à l’avènement de Catherine II, le peintre parcourt l’empire Russe avant de regagner la France en 1763 :

«  la santé délicate de Le Prince s’accommoda mal de cette température rigoureuse, et, vers la fin de 1763, il fallut revenir en France sous peine de succomber sous les atteintes d’un mal qui s’aggravait chaque jour  »

Après ces dix années passées à l’étranger, Le Prince revient avec une ample collection de dessins d’après nature qui lui servirent lorsqu’il se présente à l’Académie. Il y est reçu « avec une approbation générale  » que signale la Correspondance littéraire en 1765 comme maître de sujets de genre.

Ses « russeries » sont très appréciées, notamment par Diderot qui encourage l’artiste lors de son premier Salon la même année. Le Prince y fut plus largement loué pour ses dons dans le domaine des arts graphiques.

L’artiste fait paraître, aux côtés du graveur Gilles Demarteau, spécialiste en fac-similés de crayons, les Principes du dessin dans le genre du paysage. L’ouvrage témoigne de l’importance que l’artiste accorde à l’étude de la nature que notre œuvre évoque en investissant la majeure partie de la composition. Sa production trahit l’influence de l’art hollandais du siècle précédent et plus particulièrement celle de Rembrandt dont l’artiste possédait 73 estampes (par ou d’après le maître) et Wouwerman dont il possédait l’œuvre entier, gravé par Jean Moyreau. Dans ses paysages, la place accordée aux personnages est mineure, animant la scène sans jamais supplanter la nature. Parmi les dessins du fonds original de l’Albertina Museum de Vienne, l’œuvre de 1777 titrée Paysage avec bergers en est un autre exemple. Au Salon de cette même année, Dupont de Nemours lui trouve «  le mérite de l’Ecole française et de la flamande réunies ».

Sans certitude, l’iconographie de notre dessin pourrait s’apparenter à l’épisode du Nouveau Testament relatant le repos de Vierge, Joseph et l’Enfant dans son berceau accompagnés de leur âne durant leur fuite depuis la Judée vers l’Égypte (Mathieu, 2, 13-23).

De ses influences nordiques, Le Prince retient le raccourci des personnages vus de dos tel que l’homme ici représenté au premier plan. Contrairement à ses contemporains, Vigée-Le Brun, Tocqué, Doyen qui avaient exporté la France en Russie, Le Prince fit le contraire. Loué pour son souci d’exactitude dans les représentations de l’habillement de ses figures, Diderot évoque au Salon de 1767 que le principal mérite de l’artiste « est celui de bien habiller  ». Dans le groupe de personnages en bas à gauche, la figure féminine faisant face au spectateur porte une coiffe rayonnant autour de son visage semblable à la Kokochnik, souvenir des costumes populaires russes.

Suivant l’influence néerlandaise, la conception du feuillage peut être rapprochée de celle de Salomon van Ruysdael, de van Goyen ou encore de Cornelis Decker dont l’artiste possédait des tableaux. Le Prince «  avait une certaine manière qui lui est propre pour rendre le feuiller du chêne avec art et une grande vérité ». L’équilibre de la composition est construit par quelques habiles masses de branches touffues s’élevant et formant des éventails de verdure qui semblent se mouvoir par l’effet du vent, dynamisant ainsi l’ensemble. L’artiste travaille par la suite le détail du feuillage par de fines touches de lavis gris et de sanguine qui apportent le volume souhaité. Saule, hêtre, chêne, Le Prince observe la nature qu’il croque sur le vif. Sa main rend avec une grande acuité et dextérité les formes particulières des feuilles ainsi que celles des troncs permettant de distinguer les différentes essences d’arbres telle que le hêtre dans notre composition.

Ami de Renou, Pajou, Wille et Fragonard entre autres, Le Prince est un peintre qui jouit d’une grande réputation de son vivant. Il fut également lié à l’art de la tapisserie pour lequel l’artiste réalise six cartons de la tenture des Jeux Russiens par la Manufacture de Beauvais.

M.O

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