École lorraine vers 1600-1620

Recto : Un jeune cavalier tenant une lance / Verso : Un cavalier de carrousel (fragment)

Cavalier : 31,3 x 21 cm / Feuille : 39 x 26,8 cm

Circa 1600-1620.
Recto : Plume et encre brune, lavis brun sur traits de pierre noire.
Verso : Plume et encre brune.
Feuille découpée en suivant les contours du dessin au recto et montée sur une autre feuille de papier portant, au verso, une inscription à l’encre brune : fouge à grandes feuilles, venant en arbre à la longue, […]mol dont les cordonniers se [serve]nt pour talons.

Provenance
· France, collection particulière

Divertissement, représentation théâtrale, exercice militaire et célébration des vertus de la chevalerie, les carrousels étaient inventés en Italie pour remplacer les courses de lice et joutes dont les acteurs risquaient, malgré toutes les précautions, des blessures graves, voire fatales comme le prouva l’accident tragique de Henri II lors du tournoi de 1559. Exempts de tout péril et organisés en tableaux comme des ballets, les carrousels comprenaient divers jeux de lances, de bagues, de dards et autres évolutions équestres concertées d’avance et exécutées par des quadrilles. Superbement vêtus, les cavaliers formaient des partis (groupes) symboliques ou allégoriques et paraissaient tour à tour dans la place suivant un thème tiré de la mythologie ou de l’histoire.

La cour de Lorraine fut, avec celle de Prague, l’une des plus élégantes, prospères et spirituelles en Europe au tournant du XVIIe siècle. Les comptes des ducs confirment le succès des ballets, mascarades, carrousels, combats à pied et à cheval, quintaines, courses de bague, de têtes, de faquin ou « à selle dessanglée » et renseignent sur leur évolution, après 1600, vers des formes de plus en plus élaborées.
Des œuvres de Jacques Bellange, de Claude Déruet et de Jacques Callot conservent l’éclat et l’inventivité de ces fêtes, mais rendent également compte d’une culture des symboles propre à la Lorraine et qui s’épanouit dans l’éphémère des divertissements et des cérémonies de la cour . Les projets rivalisaient d’originalité dans la création d’emblèmes, d’allégories et de devises toujours plus savantes, raffinées et complexes. Il n’en demeure pas moins que les fêtes équestres n’ont pas été aussi bien étudiées que les ballets, notamment en raison du peu de relations publiées semblables au Combat à la barrière de 1627 illustré par Callot, qui est une succession de combats à pied en salle. On retrouve cependant dans sa Carrière de Nancy datant de 1625, la place de la ville « où se font les joustes et Tournois, Combats et autres jeux de recreation », avec, à droite, l’entrée d’un char mené par deux centaures et des cavaliers en train de s’affronter à la lance.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’œuvre que nous présentons. Double face, la feuille figure, au recto, un jeune cavalier légèrement vêtu et tenant une lance typique des fêtes, légère et trop courte pour jouter dite « tronçon » . Il est vu dans un raccourci audacieux et sa monture ne touche pas terre : avec ses quatre sabots en l’air, l’étalon qui tourne la tête vers le spectateur semble voler et rappelle même les chevaux des manèges qui sont les héritiers lointains des carrousels. Le dessin met en valeur à la fois la grâce du jeune homme dans un exercice difficile – il exécute une croupade et monte sans selle –, et la qualité du cheval à la morphologie puissante. L’écriture est souple et élégante et les volumes très marqués sont relevés par des dégradés de lavis posés avec un faire certain. L’apparence presque stylisée de l’ensemble, la simplification décidée des formes font penser à l’œuvre d’un artiste rompu aux pratiques du dessin codifié, probablement un héraldiste talentueux et sensible aux influences de l’école de Fontainebleau. À la cour de Lorraine, les hérauts d’armes étaient effectivement des peintres complets employés à toutes sortes de travaux, surtout pour les fêtes. On peut très avantageusement rapprocher notre cavalier du dessin qui renforce un registre du tabellionnage conservé aux Archives Départementales de Nancy et qui représente un putto tenant deux blasons, d’un homme de la famille des Pullenoy, peut-être Jeannot de Pullenoy, anobli en 1589, et d’une femme (vide) et qui serait celui de Marguerite de Fricourt (AD 54, 3 E 1984). On y retrouve le même physique robuste et potelé, avec un contour continu et les ombres délicates qui animent les volumes au lieu de les modeler. L’état de la feuille complique son attribution, mais il pourrait s’agir d’une œuvre de Charles Chuppin, peintre de la cour de Nancy, ou bien de Balthazar Crocq ou de Pierre Richier, tous deux hérauts d’armes.

Le découpage de notre feuille selon les contours du jeune homme rend lacunaire l’image du verso qui montre un autre cavalier, accoutré à l’antique et chevauchant un fougueux cheval magnifiquement harnaché. Son plastron richement ouvragé est orné de têtes de putti et de trois emblèmes avec leur motto dont deux sont détaillés. Le plus grand représente une pyramide posée sur un socle garni de volutes et surmontée d’un tempietto avec la légende VT AET[H]ERA PETAT (Afin qu’il gagne le ciel). Le plus petit, sur l’épaule du cheval, montre soit un porc-épic qui envoie ses épines à distance, soit un hérisson. Les encyclopédies symboliques comme celle de Pierio Valeriano font de ce dernier un « animal tant accort et prudent », qu’ils assimilent à « l’homme muni contre les dangers : faisant bouclier de sa propre vertu, il ne craint point les atteintes de fortune » . Le motto peut se lire ASTRA VIRTUTI (Les étoiles pour la vertu) ou plutôt VIRTUTE (grâce à la vertu). Les deux devises se complètent et s’accordent, le « ciel » et les « astres » signifiant évidemment la gloire immortelle. Elles trouvent leur écho dans les décors de fêtes chevaleresques et des cartels que se lançaient les concurrents des combats et qui suscitaient des inventions chaque fois inédites et surprenantes.

Le dessin du verso est tracé d’une main différente. Il s’agit soit de suggérer des indications iconographiques et décoratives assez précises, soit de conserver la mémoire du détail d’un harnachement et du costume exhibé lors d’une fête équestre. Le tout n’est pas sans rappeler certains masques équestres de Bellange contenues dans le recueil conservé au musée Condé de Chantilly. Ici, le type du cheval, à l’encolure plus déliée et chanfrein plus long que ceux du cheval du recto, traduit une conception très différente de l’animal et contemporaine de Claude Déruet, bien qu’on n’y retrouve pas son expressivité. L’écriture est calligraphique et agitée, mais l’intention descriptive est bien présente, avec des détails ornementaux du caparaçon et de la selle, les drapés et les houppes décrits un à un. L’ensemble paraît légèrement plus tardif que le recto bien que guère postérieur à 1620, ce qui confirmerait la continuité des ateliers artistiques travaillant en Lorraine et pour la cour ducale.

À une date inconnue, mais probablement ancienne, le jeune cavalier fut préféré à l’image du verso. Découpé, il fut collé sur une page issue semble-t-il d’un recueil de botanique si l’on se fie à l’annotation qui figure en haut au verso de cette page. D’une belle écriture ancienne, mais d’une syntaxe surprenante, la légende parait se référer à la fouge, feuge ou fougère, sans que le rapport entre la plante et la cordonnerie ne soit très clair : il s’agit peut-être d’une allusion à un terme technique de la cordonnerie désignant une feuille de cuir souple.
A.Z.

Nous remercions Mme Paulette Choné, professeur émérite des Universités, spécialiste de l’art lorrain de la Renaissance et du XVIIe siècle, pour son aide dans la rédaction de cette notice.

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