Léon LHERMITTE (Mont-Saint-Père 1844 - Paris 1925)

Les blés, vers 1887

26,7 x 34,3 cm

Pastel sur papier marouflé sur papier. Signé en bas à droite « L. Lhermitte ».
Inscription au recto « n° 122 (4893) »

Provenance :
• Atelier de l’artiste
• Collection particulière jusqu’en 1982
• France, collection particulière

Bibliographie :
• Monique Le Pelley Fonteny, Léon Augustin Lhermitte 1844-1925 : catalogue raisonné, Cercle d’art, Paris, 1991, sous le numéro 15, p. 165 : « Les Blés »

[…] Il y a une étonnante maîtrise dans tout ce qu’il [Lhermitte] fait, excellant surtout dans le modelage,
il satisfait parfaitement à tout ce que l’honnêteté exige.
Vincent Van Gogh

En 1882, l’État français fait l’acquisition de l’œuvre monumentale La Paye des moissonneurs pour le musée du Luxembourg. Loué par la critique, l’artiste, Léon Lhermitte, devient alors une figure incontournable de la peinture contemporaine. Son ami Auguste Rodin lui envoie à cette occasion ses félicitations par une lettre à laquelle l’artiste répond que le sculpteur est du « très petit nombre dont l’appréciation lui est précieuse » . Identifié par la suite comme l’un des représentants majeurs de la peinture paysanne sous la IIIe République, Lhermitte s’attache notamment à illustrer les environs de son village natal, Mont-Saint-Père. Inspiré par Corot, l’école de Barbizon et Jules Breton entre autres, l’artiste se déplace régulièrement et dessine abondamment en plein air afin de croquer sur le vif, à l’aide de pastels et de fusains, les paysages de la campagne picarde.

La Révolution de 1848 rejette les sujets mythologiques privilégiés par l’Académie. Dans les années 1850, la population paysanne représente 75% de la population française et se taille naturellement une place majeure au sein des arts dont les principaux sont la peinture et la littérature.
L’été 1887 semble avoir été pour l’artiste un moment propice d’étude pour les champs de blés. En effet, avec l’œuvre Fin de journée (ill. 1) conservée au musée des beaux-arts de Reims, Lhermitte s’intéresse ici une seconde fois uniquement à l’étude précise des champs qu’il transpose sur le papier avec beaucoup d’attention. Simple par son sujet mais audacieuse par son symbole, notre œuvre illustre la beauté simple de la nature et incarne par la même occasion le dur labeur de millions de français. Le champ devient alors une allégorie du Travail et de l’Ordre en opposition à la vie ouvrière considérée comme corrompue par le socialisme. Le Second Empire promeut alors la peinture paysanne comme un genre illustrant l’ordre moral, image de sécurité et de stabilité à l’écart des révoltes qui surgissent en ville.
À cette époque, Lhermitte se rapproche de Jules Bastien-Lepage (1848-1884), peintre de plein air, célébré par Zola dans ses Œuvres Complètes (tome 12, pp. 1022-1023. Paris, Cercle du livre précieux, 1969), et bénéficie de son aura. Il développe avec lui son goût « pleinairiste », suivant et étudiant les paysans vaquer à leurs occupations quotidiennes. Le public apprécie dans son œuvre une sincérité qui ne cherche ni à embellir les figures, ni à remodeler les paysages.

Léon Lhermitte est un peintre de la réalité. Aussi bien dans ses figures que dans la nature qui l’entoure, l’artiste souhaite avant tout saisir l’instant présent. Pour cela, il privilégie le pastel et le fusain, très en vogue en Angleterre, qui ne nécessitent pas de préparation et permettent de produire instantanément. Son observation directe de la nature dévoile dans notre œuvre une sensation d’une réalité immédiate traduite par la rapidité du trait. Dans cette œuvre de dimensions étroites ayant probablement servi d’étude pour des compositions de plus grands formats, les masses légères mais imposantes s’équilibrent et se répondent de façon à ne plus créer qu’une seule unité homogène dont les quelques traits plus épais de pastel délimitent l’horizon. Sous la chaleur écrasante du soleil à son zénith, les blés éclatant se reflètent comme des fagots d’or. Grâce à l’utilisation du pastel, l’artiste joue avec le grain du papier et crée un effet de fondu apportant ainsi du volume à ce champ désordonné, écrasé par endroits par le passage d’animaux sauvages. Chez Lhermitte, rien n’est laissé au hasard : dans ses œuvres, le ciel est généralement absent ou très réduit et n’alourdit jamais la composition.
L’artiste conserva cette œuvre dans son atelier jusqu’à sa mort en 1925. Témoignage de ses heures d’études en plein air, cette œuvre de petites dimensions servit vraisemblablement d’étude à d’autres compositions de plus larges formats mais dont la simplicité commune célèbre la grandeur du travail manuel.
Exposé par Durand-Ruel à Londres en 1875, célébré par l’opinion publique et par l’État qui acquiert quelques-unes de ses plus belles œuvres tout en lui commandant des décors pour l’Hôtel de Ville et la Sorbonne, Léon Lhermitte est un artiste très apprécié de son temps et se révèle une figure emblématique de la peinture paysanne du XIXe siècle.

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