René-Xavier PRINET (Vitry-le-François, 1861 – Bourbonne-les-Bains, 1946)

Jeanne Prinet lisant

55.3 x 46 cm

Circa 1900.
Huile sur toile.
Signé en bas à gauche.

En tenue d’intérieur toute simple, le dos confortablement calé dans les coussins du canapé, une jeune femme tient sur ses genoux un ouvrage volumineux, toute absorbée par sa lecture. Devant elle, sur un guéridon en plaquage d’acajou de style Empire, est posé un plateau en laque où sa tasse de thé refroidit. L’intérieur est cossu et agréable, avec des paysages au mur, ainsi qu’un baromètre. Le temps est suspendu et on se surprend presque à rêver avec le modèle d’une époque où les heures semblaient s’égrainer moins vite.

De telles scènes intimistes constituent une part importante de l’oeuvre de René-Xavier Prinet, peintre inclassable, d’un réalisme poétique et d’une touche volontiers impressionniste. Fils d’un magistrat parisien d’origine franc-comtoise, l’artiste reçut une formation très classique à l’École des Beaux-Arts de Paris chez Gérôme. De l’enseignement de son maître il retint plus particulièrement l’importance des études préparatoires et l’habitude de peindre avec des modèles, en atelier et non sur le motif. Il s’éloigna cependant rapidement des sujets historiques ou religieux qui firent la gloire de Gérôme, pour les thématiques contemporaines, car il se reconnut davantage dans la nouvelle peinture d’Édouard Manet et d’Edgar Degas. Cela se manifeste par la liberté dynamique de la touche, une pâte plus généreuse, l’harmonie audacieuse des couleurs, une lumière davantage incisive, des cadrages plus osés, des recherches d’effet. Sa manière dénote cependant plus de sensibilité, de contemplation admirative et d’équilibre dans les compositions, hors de toute critique sociale. Au crépuscule du XIXe siècle, avec René Ménard, André Dauchez ou Lucien Simon, il fit partie d’un groupe d’amis surnommés la « Bande noire » qui se plaçait ouvertement à contre-courant des nouvelles tendances picturales. La « Bande » triompha à l’exposition universelle de 1900, raflant plusieurs récompenses : Prinet y présenta six tableaux, reçut une médaille d’or et la Légion d’Honneur.

La même année, sous la direction de Gabriel Mourey, s’organisa « la Société Nouvelle de peintres et de sculpteurs » qui exposait à la galerie Georges Petit et se prolongea jusqu’en 1914. Outre les membres de la « Bande noire », on y trouvait les Français dont Auguste Rodin, Albert Besnard, Henri Le Sidaner, Lucien Simon, Antoine Bourdelle, ainsi que des étrangers, tels Meunier, Whistler, Burne-Jones, Boldini ou Menzel. Prinet lui-même définissait les motivations de ces artistes :

« ses adhérents n’avaient nullement le dessein d’opérer une révolution. Sans qu’il ait été bien nettement formulé, le but de cette société consistait à maintenir la tradition des Manet, des Degas, des Monet, de tous les artistes enfin qui avaient contribué à donner, durant la seconde moitié du XIXe siècle, tant d’éclat à l’art français. »

C’est pourtant assez vite que le terme « intimisme » s’imposa pour réunir ces peintres et sculpteurs. Dans son ouvrage Les Arts plastiques : la Troisième République de 1870 à nos jours paru en 1931, Jacques-Émile Blanche se souvient du succès de ces thématiques auprès du public :

« Le déjeuner du matin ; la veillée autour d’une lampe ; la leçon d’écolier […] que Le Sidaner ou René-Xavier Prinet rendaient aimables ou émouvants pour les visiteurs de la galerie Georges Petit » (p. 116-117).

À cette époque, la palette s’éclaircit, ses formes devinrent plus nettes dans une lumière vive du plein air, ses ombres se firent transparentes et argentées. L’artiste puise ses sujets dans son environnement quotidien, les propriétés familiales en Franche-Comté, à Bourbonne-les-Bains ou à Cabourg, et chez lui, au Clos Saint-Jean à Paris. Notre petite toile appartient justement à cette période dans l’art de Prinet et met en scène Jeanne, l’épouse du peintre. On y reconnaît en effet le modèle d’une série de tableaux intimes réalisés entre 1903 et 1909 dont Le Réveil ou La Salle à manger à Cabourg, ainsi que dans un grand dessin figurant Jeanne Prinet lisant. Dans ce dernier, la jeune femme a la même attitude pensive et la robe d’intérieur rayée, le canapé semble identique et le livre est également un épais folio qu’on découvre illustré.

Dans notre toile et comme souvent, Prinet utilise une préparation colorée qui détermine la tonalité générale. Le coloris à dominante beige bleutée est réchauffé par le rouge carmin, le brun, le jaune pâle et le rose délicat. La distinction des teintes employées contribue à créer l’atmosphère de rêve mélancolique qui enveloppe le personnage d’un certain mystère. Le format réduit, la touche particulièrement libre et grasse indiquent qu’il s’agit d’une étude ou d’une esquisse, de celles que l’artiste conservait dans l’armoire de son atelier. C’est auprès de Gérôme qu’il prit l’habitude de fixer ainsi ses observations et ses idées. Il recourait souvent à ces ébauches lorsqu’il peignait un tableau et voulait se remémorer une impression. Notre oeuvre pourrait avoir notamment inspiré La Lecture, une huile de moyen format exposée à la galerie Georges Petit en 1914 (no 65) et acquise la même année par l’État (inv. dépôt 4822).

A.Z.
Bibliographie générale (oeuvre inédite)
Catherine GENDRE, Prinet, peintre du temps retrouvé, Paris, Somogy, 2018.
Christophe COUSIN, Pauline GRISEL, Marguerite PRINET, R. X. Prinet. 1861/1946, cat. exp. Belfort, Vesoul, Paris, 1986.

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