Nicolas VLEUGHELS (Paris, 1668 - Rome, 1737)

Nymphe endormie épiée par les bergers

18,1 x 23 cm

Circa 1715
Huile sur panneau

Provenance
· Une Nymphe endormie dans un paysage par Nicolas Vleughels fut vendue à Paris le 28 mars 1792 (vente Le Jeune), puis par Lebrun le 15 juillet 1802 (lot 129). Ses dimensions – 11 sur 14 pouces, soit environ 30 sur 38 cm – sont toutefois sensiblement plus grandes que celles de notre panneau, mais les proportions sont parfaitement identique, ce qui peut laisser croire que le cadre avait été compris dans les mesures.
· Grande-Bretagne, collection particulière

Nicolas Vleughels fut le fils de Philippe Vleugels, portraitiste originaire d’Anvers installé en France depuis 1640 environ, et de Catherine, sœur du peintre Nicolas de Plattemontagne. Le jeune artiste passa sa jeunesse dans le milieu flamand de Saint-Germain des Prés. Son art en conserva une forte empreinte nordique, malgré un apprentissage dans l’atelier de Pierre Mignard. En 1694, Vleughels obtint le second grand prix de l’Académie avec Loth et ses filles. Il bénéficia de deux pensions royales, mais dut faire le voyage en Italie à ses frais. Arrivé à Rome en 1704, il ne revint en France qu’en 1715, ayant séjourné, outre la Ville Éternelle, à Modène et à Venise où il découvrit Véronèse.

En Italie, l’artiste se lia d’amitié avec nombre d’artistes et d’amateurs, dont Rosalba Carriera et Pierre Crozat. Grâce à ce dernier, Vleughels, à son retour en France, fut introduit chez le duc d’Antin, directeur des Bâtiments, et rencontra Robert de Cotte et Jean de Julienne. Son cercle proche comptait également la comtesse de Verrue, Antoine Pesne ou Watteau qui avait même habité un temps chez Vleughels.

Agréé à l’Académie en 1715, Vleughels fut reçu l’année suivante avec Apelle peignant Campaspe (musée du Louvre). Il s’agit de son seul tableau à grandes figures conservé. Le reste de son œuvre est constitué de petites peintures de cabinet, peintes sur cuivre ou sur bois, de couleurs claires et à sujets mythologiques ou religieux. D’après Mariette, « il avoit le secret de faire des petits tableaux qui plaisoient ; c’est qu’il ne traitoit que des sujets agréables, et que ses figures, ainsi que ses compositions, avoient quelque chose de flatteur . » À une époque dominée encore par la grande peinture d’histoire, les œuvres délicates de Vleughels eurent un grand succès : la collection de la comtesse de Verrue en comptait onze. Beaucoup de ses compositions furent gravées, notamment par Edme Jeaurat, Nicolas Edelinck ou Louis Surugue.

En 1724, le duc d’Antin choisit l’artiste pour succéder à Poerson à la direction de l’Académie de France à Rome. Administrateur habile et excellent professeur, Vleughels fut le premier grand directeur de cette institution, non seulement pour la formation des artistes qui allaient incarner l’art du XVIIIe siècle – Subleyras, Natoire, Carle Van Loo ou Boucher –, mais aussi pour la vie artistique romaine. L’Académie de Saint Luc l’élit d’ailleurs dès 1725.

Ses rapports réguliers au duc d’Antin fournissent des renseignements précieux sur sa manière de travailler. L’application était le trait essentiel de son caractère : « s’il faut quitter cette application, j’aurai de la peine ; mais il faut faire tout pour sa santé . » À cette application correspond la minutie dans sa façon de peindre et son sens aigu de la perfection. Sa facture est lisse, sa touche attentive, les tons lumineux et le rendu des matières d’autant plus virtuose qu’il s’agit souvent de formats très réduits, à l’instar de notre panneau.

D’une grande sensibilité, celui-ci illustre parfaitement la manière si caractéristique de Vleughels, ainsi que son intérêt pour les grands maîtres du passé dont, fin connaisseur, il tirait souvent son inspiration. Il reprend ici, quasi littéralement, un tableau de Nicolas Poussin. Réalisée à l’arrivée de Poussin à Rome en 1624, cette grande toile fut acquise à Paris par l’Électeur de Dresde avant 1722 (Vénus épiéé par les bergers, Dresde, Staat. Kunst. Gemâldegalerie, inv. Gal.-Nr. 721). Jamais gravée, elle n’est pourtant pas l’œuvre la plus célèbre de l’artiste et se classe même parmi les moins « poussinesques ». Admirateur de Rubens et de Véronèse, Vleughels ne pouvait qu’être séduit par son côté vénitien et la pose sensuelle de la jeune femme endormie à l’orée d’une forêt et surprise par deux bergers. Il pourrait s’agir de Vénus, veillée par ses fils, Éros et Antéros, mais plus vraisemblablement d’une nymphe enivrée : on remarque, près de sa couche improvisée, une amphore renversée, une coupe et des raisins. L’un des putti ailés serait alors Cupidon, prêt à décocher une flèche dans le cœur de l’homme absorbé à contempler la belle.

Il ne s’agit pas de l’unique emprunt de Vleughels à Poussin : l’Adoration du veau d’or de celui-ci inspira la ronde dans L’Allégorie de l’automne de Vleughels (huile sur cuivre, 22 x 28 cm, collection particulière). À chaque fois cependant, le peintre s’approprie entièrement la composition, même lorsqu’il n’apporte que des changements minimes, comme dans notre panneau, où la seule vraie différence paraît le nombre de flèches que tient le putto au premier plan : deux chez le maître des Andelys et une chez Vleughels.

Car jamais l’artiste ne cherche à imiter la manière de Poussin. Au contraire, le rendu est le sien, glacé et suave, la palette toujours chatoyante et claire et le dessin minutieux et fluide, non exempt de certaines petites maladresses typiques de son œuvre et épinglées par Mariette, à l’instar du bras droit de la nymphe au raccourci incertain. La jeune femme aux chairs porcelainées et profil délicat est la parfaite jumelle de la déesse de l’amour dans Vénus et les grâces surveillant Cupidon peint par Vleughels en 1725 (collection privée). Les lèvres gourmandes et carmines, le nez fin à la pointe qui descend légèrement sont récurrents chez l’artiste, tout comme le trait étiré dont il marque les cils des yeux fermés ou mi-clos et que l’on retrouve notamment dans l’Enlèvement d’Hélène de 1716 (huile sur cuivre, collection particulière). De même, le putto à la flèche, rose et potelé, tient plus de Rubens que de Poussin.

Le pinceau nerveux et sensible du peintre s’attache à parfaire le moindre détail dans un souci constant d’élégance et de légèreté : les drapés fins aux plis ruisselants, les reflets vifs sur le métal de l’amphore, l’éclat des ailes des amours, les fleurs délicates qui parsèment la clairière, les frondaisons filigranées des arbres aux branches noueuses, la laine épaisse des moutons, les montagnes bleutées dans le lointain, les nuages découpés, les tresses dans les cheveux de la nymphe.

Comme toujours lorsqu’une composition lui plaisait, Vleughels réutilisa la mise en scène de Poussin dans Le Printemps gravé par Jeaurat en 1716, Le Pouvoir de l’Amour plus tardif et gravé par Joseph Van Loo ou encore Mars et Rhéa Silvia de 1724 particulièrement proche de notre œuvre (Valenciennes, MBA inv. RF 1948-10).
A.Z.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Bernard HERCENBERG, Nicolas Vleughels, Peintre et Directeur de l’académie de France à Rome, 1668-1737, Paris, 1975.

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