Jacopino DEL CONTE (attribué à) (Florence 1510-Rome 1598)

« Portrait de femme en habit bleu nuit tenant un livre à la main »

Huile sur ardoise préparée

Vasari, l’élève d’Andrea del Sarto. Ses premières œuvres surtout religieuses trahissent l’influence d’Andrea, de Pontormo et de Michel Ange. Vers 1535 – 1537 il se trouve à Rome où il exécute deux scènes du décor de l‘oratoire de San Giovanni Decollato : L’Annonce à Zaccharie 1536 – 1537 et Saint Jean Baptiste prêchant 1538 et 1541 terminant par la Déposition de croix après 1541 où l’on note l’influence de Perino del Vaga. Ce dernier ayant interrompu le décor d’une chapelle dans l’église Saint Louis des Français, Jacopino le termine, selon les auteurs, soit en 1547 ou après 1551. Vasari dans ses Vies mentionne l’activité de portraitiste de Jacopino « attiré dès sa jeunesse par le portrait d’après nature, il a voulu en faire sa spécialité … Il a peint les papes, les seigneurs et ambassadeurs importants de la cour pontificale…une infinité d’évêques, cardinaux, prélats éminents et grands seigneurs…Il a peint aussi des portraits en buste de nobles dames et de princesses se trouvant à Rome… » Il devient citoyen de cette ville en 1558 et assume la charge de consul de l’Académie de Saint Luc en 1561. Il meurt à Rome vers 1590.

La peinture sur pierre dure :

Bien que déjà expérimentée dans l’Antiquité, l’utilisation de la peinture sur pierre, selon la tradition vasarienne, aurait été élaborée vers 1530 par Sebastiano del Piombo (Venise 1485 – Rome 1547). Elle se serait répandue en Toscane en Lombardie et dans le Latium avant d’atteindre les pays au nord des Alpes : Espagne, France, Bohême, Flandres. Elle dura jusqu’au milieu du XVIIe siècle. Cette technique jouit dès le début d’une faveur particulière, prisée par les hautes et moyennes couches de la société afin de réaliser des portraits ou des œuvres de petites dimensions créées sur des supports de nature minérales diverses telles que l’ardoise, le marbre, l’albâtre, le porphyre, l’améthyste, la malachite etc…Dans les textes italiens, l’ardoise est désignée par les termes de « pietra lavagna » du nom d’un château près de Gênes où on la trouve et l’exploite depuis le XVIe siècle ; les peintures sur « lavagna » sont aussi décrites sous le vocable de pietra di Genova. On trouve plus rarement le terme de ardisia. L’ardoise tout comme la lavagne est un schiste argileux et calcaire gris-bleu sombre ou noirâtre. Elle se détache en feuilles ou lamelles et peut atteindre des dimensions importantes de plus d’un mètre : en témoigne par exemple, le tableau double face représentant David tuant Goliath peint sur ardoise par Daniele de Volterra (Musée du Louvre) qui mesure 133cm x 177cm ! L’ardoise présente l’avantage de ne pas être attaquée par les insectes ou l’humidité comme les peintures sur bois ou par l’usure comme les peintures sur toile ; pour cette raison on la choisit pour des peintures votives de rues et peintures d’autel. En revanche elle reste fragile car cassante ; l’huile est le medium utilisé, et les ombres bleutées sous jacentes de ce type de support servent parfois à des fins stylistiques jouant le rôle de réserves. C’est le cas de ce portrait inédit où ces ombres animent les carnations du modèle.

L’œuvre :

La femme vue en buste est placée devant une table recouverte d’un tapis d’orient. Elle se détache sur le fond sombre d’une lourde draperie de velours vert bronze dégageant à droite un pan de mur vertical. En position statique et placée légèrement de biais le regard dirigé vers le spectateur, elle est assise devant la table sur laquelle reposent ses mains : la gauche tient un livre relié en noir, sans doute un livre de prières dont les attaches déliées supposent qu’elle va l’ouvrir ou qu’elle vient de le refermer. Elle est vêtue d’une robe de velours bleu sombre à manches longues d’où dépasse à dentelle blanche d’une chemise, la poitrine recouverte d’un léger voile de soie transparent. La chevelure blond roux retenue en chignon enveloppé d’une coiffe en tulle est partagée sur le haut de la tête par une raie médiane dégageant largement le front bombé ainsi que l’oreille droite. Le visage aux carnations d’un blanc laiteux trahissant un âge mûr est fortement éclairé du côté gauche et plongé à droite dans une demi-pénombre. Le regard sérieux, aux grands yeux noirs surmontés de sourcils à demi épilés, confère à ce portrait austérité et rigueur ; le long nez surmontant une bouche aux lèvres fermées bien dessinées, parachève ce visage sans excès d’affabilité dénotant le caractère grave et digne de ce portrait qu’aucun accessoire ornemental n’anime hormis la présence du tapis haut en couleurs. D’après les sources anciennes, si l’on connaît l’activité prolifique de portraitiste de Jacopino del Conte, le catalogue avéré de ses œuvres demeure partiel. Les progrès de la critique ont permis cependant l’élaboration d’un corpus fourni que l’on doit actuellement aux écrits d’auteurs récents.

On pourra rapprocher ce portrait de femme d’une série de portraits réalisés par Jacopino del Conte qui offrent des exemples de même type, représentant le plus souvent des personnages de haute lignée : la Galerie Borghese à Rome conserve deux portraits de femmes peints sur ardoise qui lui sont attribuées et dont l’identité varie selon les auteurs mais que P. Della Pergola (Galleria Borghese, I Dipinti, Rome 1959, inv. 100 et 79, fig. 32, 33) considère comme ceux de Vittoria Farnèse épouse du duc d’Urbin en 1547 et de Giulia Gonzaga. Dans des attitudes différentes de notre modèle, ces peintures offrent cependant la vision de personnages de même prestance et dignité aux traits similaires. Plus proche par sa présentation mais avec plus d’effets ornementaux trahissant une origine sociale élevée, le Portrait de Dame (autrefois dans la collection Watney à Corbury Park,Oxon), ou bien celui de La Dame de Santa Croce, (Kreuzlingen collection Kisters) arborent le même type de costume et de coiffures : pour le premier portrait signalé (que Donati suppose représenter Vittoria Farnèse) peint sur ardoise, la présence d’une table recouverte parfois d’un tapis oriental répond à un type de portrait très en vogue mis à la mode à Rome par Sebastiano del Piombo dès les années 1530 dont il faut citer la Sainte Agathe (Londres National Gallery n.24) signée après 1531 si proche par la présentation et le costume du portrait de notre tableau.

Si l’austérité domine dans cette œuvre, il faut en recherche la raison, sans doute dans la condition sociale plus modeste du modèle et dans les préoccupations religieuses du temps de la Contre-Réforme après 1545 que Jacopino interprète dans ses portraits de la société romaine où la rigueur morale des modèles l’emporte sur la prestance et l’orgueil.

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