81 x 65 cm
Circa 1745.
Huile sur toile.
Signé f. Boucher sur l’encrier
Provenance
· Collection Casimir Perrin, marquis de Cypierre (1793-1844), Paris.
· Sa vente, Paris, Me Bonnefons-Delavialle, 10 mars 1845, lot 19 (« Portrait d’homme tenant un violon. On dit que c’est le portrait de Rameau. Signé »), acquis pour 83 francs.
· Collection Charles Méra, Lyon.
· Sa vente, Lyon, Me Roullet, 8 février 1886, lot 18 (« Beau Portrait de musicien. Signé. Sur toile. Cadre sculpté. 79 x 64 cm), acquis pour 1 180 francs.
· Collection particulière, France.
· Vente Paris, Palais Galliera, 3 décembre 1969, lot 45.
· Vente Sotheby’s, Monaco, 26 octobre 1981, lot 560.
Exposition
1983, New York, Galerie Didier Aaron, no 11.
Le portrait peint est un genre auquel Boucher sacrifie peu. Ses portraits de femmes – et particulièrement ceux de madame de Pompadour – et quelques portraits d’enfants – comme ceux d’Alexandrine Lenormant d’Étiolles ou du duc d’Orléans – sont cependant célèbres. Les portraits d’hommes de sa main sont beaucoup plus rares. Le plus spectaculaire récemment reparu est celui de Sireul qui n’est pas une toile mais un dessin au pastel. Cette technique d’une mise en œuvre facile permet de rendre avec sobriété le raffinement du collectionneur ami du peintre, sans pour autant le contraindre à de longues séances de pose.
Les teintes sourdes adoptées ici qui rappellent d’ailleurs les chromatismes du pastel évoqué plus haut, et la mise en page à mi-corps, confirment le choix d’un portrait intimiste. L’éclat des yeux du musicien, son demi-sourire, le bas de son visage un peu lourd avec des rides bien marquées montrent la maîtrise de l’artiste en même temps qu’une réelle familiarité avec son modèle. Les effets sont discrets et efficaces : aux blancs éclatant de la perruque, du jabot, des manchettes de dentelle répond le velours sombre du costume. Le regard est conduit sans équivoque vers la partition et vers le violon, seul élément traité dans une teinte chaude. Dans le détail, l’aisance du pinceau très visible dans le traitement des blancs, la profondeur des noirs que Boucher est l’un des rares à savoir bien utiliser, l’aspect spatulé des doigts très longs, le poignet à peine trop souple désignent une œuvre de la maturité, qui ne peut donc être antérieure aux années 1745.
En l’absence de tout élément désignant clairement le modèle – la partition est ainsi trop courte pour pouvoir être rapprochée d’une œuvre précise –, son identité ne peut être découverte que grâce à la confrontation avec d’autres portraits. Le violon et la plume, posée sur la table près du musicien, indiquent un violoniste et sans doute un compositeur. Le nom parfois avancé de Jean-Jacques Rousseau doit donc être écarté. Lors des ventes, c’est celui de Jean-Philippe Rameau qui a été généralement retenu en raison des liens l’unissant à François Boucher probablement dès les années 1735, car tous deux appartiennent au Caveau, « société bachique et chantante » installée depuis 1732 rue de Buci. Cette même société met aussi Boucher en relation avec le contre-ténor Jélyotte dont il a fait un portrait, avec les écrivains Piron, Fuzelier qui donne le livret des Indes galantes de Rameau jouées pour la première fois en 1735, avec Pannard, Gallet, Collé, et les Crébillon père et fils, qui tous feront travailler l’artiste. Mais les liens sont si proches entre Rameau et Boucher que même les instruments paraissent utilisés dans les peintures de l’un de la même manière que dans les partitions de l’autre. Ainsi par exemple dans ces années 1735-1740, Rameau utilise la flute traversière dans Hyppolyte et Aricie ou dans Castor et Pollux pour la scène des ombres heureuses, là où Boucher va employer la flûte traversière dans le palais éphémère de l’Amour dans lequel Psyché est reçue. Une lettre à Bachaumont montre qu’il s’agit bien d’un choix de l’artiste pour donner à sa composition destinée à une tapisserie une tonalité particulière. En ces années 1735-1740, les œuvres de Boucher sont véritablement mises en musique par des instruments toujours adaptés à la scène qu’ils représentent
Les liens entre Boucher et Rameau ne se démentent pas pendant toute leur vie : en 1764, on trouve encore Boucher fournissant les décors pour la reprise de l’opéra Castor et Pollux. Il peut donc avoir fait ce portrait du compositeur dans les années 1745. Toutefois, la comparaison de notre tableau avec le buste de Caffieri exposé au Salon de 1765 et conservé au musée des Beaux-Arts de Dijon réfute cette identification pourtant tentante car le visage sculpté par Caffieri est très différent.
Une autre hypothèse a été également proposée. Elle tient compte de la rareté de ces portraits d’hommes dans l’œuvre de Boucher, de la familiarité évidente de Boucher avec son modèle, de la bienveillance avec laquelle il le regarde, et du fait que ce modèle a le temps de poser pour lui. Par son mariage le 21 avril 1733, avec Marie-Jeanne Buzeau, dont les talents de cantatrice étaient reconnus, François Boucher est entré dans une famille de musiciens de l’Académie royale de musique. Il pourrait s’agir de l’un d’entre eux.
C’est la ressemblance frappante avec Francesco Geminiani dont plusieurs portraits sont connus qui permet enfin de lever l’anonymat du modèle. Nous devons surtout en retenir trois, dont l’authenticité n’est pas discutée : celui attribué à Andrea Soldi, conservé au Royal College of Music, celui de Thomas Jankins gravé en 1777 et celui d’Edme Bouchardon réalisé entre 1749 et 1755 et également gravé. Toutes ces images montrent un visage plein au double menton prononcé, un front haut, un nez épais, des yeux gris globuleux, des sourcils droits et bas et des lèvres charnues, ne laissant aucun doute quant à l’identité de notre musicien.
Francesco Saviero Geminiani naît en 1687 à Lucques. Son père, Giuliano, violoniste à la chapelle palatine de la ville, est sans doute son premier professeur de musique. Le jeune homme est ensuite l’élève d’Alessandro Scarlatti et étudie le violon avec Carlo Ambrogio Lonati à Milan, ainsi qu’avec Arcangelo Corelli. En tout cas, en 1706-1707, il est déjà premier violon au Teatro dei Fiorentini à Naples, puis devient premier violon à l’Opéra. En 1714, il quitte l’Italie pour Londres, où il obtient la protection du baron Johann Adolf Kielmansegge et de William Capel, comte d’Essex. Ses premières œuvres et sa virtuosité au violon ont un vif succès. Il participe à la création de la Philo-Musicæ et Architecturæ Societas, une loge maçonnique dont la première décision est d’éditer en 1726, les arrangements que Geminiani a composés sur les six sonates opus 5 de Corelli. En 1726, avec Giovanni Bononcini et Nicola Haym, il est un des premiers membres de l’Academy of Vocal Music.
Si sa carrière de violoniste virtuose et de compositeur est surtout britannique, Geminiani vient à Paris à plusieurs reprises : de la fin 1732 à septembre 1733, puis de nouveau en 1740 pour y assurer ses publications, en 1751 et en 1754 pour la représentation, au théâtre des Tuileries, de La Forest enchantée, une pantomime dont il a composé la musique. C’est lors de l’un de ses séjours prolongés que François Boucher aurait pu peindre le musicien célèbre.
Françoise Joulie & A.Z.
Bibliographie générale (œuvre inédite)
A. MICHEL, L. SOULLIE, Ch. MASSON, François Boucher, Paris, s.d. [1906], p. 1061, 60, no 1080.
Pierre DE NOLHAC, François Boucher, premier peintre du roi, Paris, 1907, p.172.