Félicien ROPS, attribué à (Namur, 1833 – Corbeil-Essonnes, 1898)

Danse macabre

58 x 39 cm

Vers 1900
Pierre noire, estompe, plume et rehauts de crayon de couleur rose et jaune

Provenance :
• France, collection particulière

Bibliographie :
• Goethe Institut, L’Homme et la mort : danses macabres de Dürer à Dali : collection de l’Université de Düsseldorf, Paris : Goethe-Institut, 1985
• Philippe Kaenel, Franck Knoery, Frank Muller, Florian Siffer, Dernière danse, l’imaginaire macabre dans les arts graphiques, Strasbourg : Musées de Strasbourg, 2016

L’expression de la « danse macabre » remonte vraisemblablement à Jean Le Fèvre (1322 - vers 1387), procureur au parlement ayant frôlé la mort lors de l’épidémie de Peste de 1374, qui rédige deux ans plus tard le Respit de la mort dans lequel apparaît le vers « Je fistz de macabre la dance ».

Dans les civilisations occidentales au sein desquelles les hommes croient en l’au-delà, les danses macabres forment un sujet de prédilection dans les arts graphiques depuis le XVe siècle principalement dans les régions germaniques, répandu au cours des siècles suivants, jusqu’au XXe siècle. Ces dernières danses servaient de memento mori, un rappel pour le spectateur de l’inéluctabilité de la mort, frappant indistinctement.

Depuis le siècle des Lumières, l’évolution du mode de pensée a donné naissance à une nouvelle iconographie de la Mort, apparaissant comme moins terrifiante. Au cours du XXe siècle, les artistes abandonnent la fresque jusque-là très appréciée, pour se consacrer au dessin et à la peinture, afin d’orner les chapelles des cimetières. Le thème de la danse macabre tend alors vers une représentation ironique du genre. Le motif du squelette animé ne se veut plus strictement religieux mais rejoint les thèmes du fantasque et du rêve, utilisé par les surréalistes. Les artistes donnent libre cours à leur imagination et la danse macabre inspire de nombreux d’artistes tels que Max Klinger, James Ensor et Salvator Dalí.

Probablement conçue pour un frontispice ou ex-libris (connaissant un renouveau à partir des années 1890), notre œuvre appartient à cette vague de créations détournant les images morbides par un nouvel imaginaire qui tend vers la caricature. Utilisé par la presse, notamment traduites par le dessin, les œuvres issues de ce genre furent pour la plupart gravées.
En Belgique, l’artiste Félicien Rops s’intéresse à cette iconographie, comme illustration de l’égalité de tous devant la mort. Fils de riches négociants en tissus, Rops naît en 1833, dans une Europe traversée par une importante crise économique. Après des études chez les Jésuites de Namur, sa ville natale, il rejoint l’université de Bruxelles. À partir de 1858, il s’attache lui aussi à la gravure, un moyen d’expression rapide et économique, qu’il privilégiera jusqu’à sa mort.
Les œuvres de Rops sont largement inspirées de la littérature. Il exécute de nombreuses illustrations et frontispices pour les plus célèbres auteurs de son temps, dont Barbey d’Aurévilly pour lequel il réalise les illustrations des Diaboliques (1874), tout en étant proche de Joseph Peladan, Mallarmé, Baudelaire, et Huysmans entre autres.
Dans son œuvre, la Mort est systématiquement représentée sous les traits d’une femme allégorisée, apparaissant dans des situations quotidiennes. Différemment costumée, elle est souvent représentée aux côtés d’hommes qu’elle surprend, comme dans sa fameuse gravure Le Vice Suprême (ill. 1) ou qu’elle séduit et semble donc piéger, fixant le spectateur de son sourire moqueur, comme en témoigne notre œuvre.
Paraissant, à premier abord insouciant, le couple illustre vraisemblablement l’idée que la Mort frappe sans prévenir. Elle est ici figurée sous les traits d’une danseuse assise dans sa loge après un spectacle, qu’un homme vient courtiser. Tout comme dans l’œuvre Métamorphose de son contemporain français Marcel Roux (ill. 2), les deux personnages sont accoutrés à la dernière mode : elle est vêtue d’un costume décousu, tombant de sa cage thoracique, et porte des chaussons dénoués de ses mollets. L’homme se tient debout derrière elle, il porte l’habit et un haut de forme.

La scène se déroule vraisemblablement dans la loge de la danseuse, bien qu’aucun élément précis ne permette d’étayer cette supposition. Par un jeu de hachures, l’artiste a pris soin de ne pas représenter le fond distinctement. Félicien Rops utilise cette même technique, rendant un aspect de frottis, pour masquer le fond dans un grand nombre de ses œuvres (ill. 3 & 4), accentuées dans ses gravures. En utilisant cette technique, le spectateur est invité à ne se concentrer que sur la figure principale, comme perdue dans un néant fantastique. Les traits noirs de hachures du fond mordent les figures dont la spontanéité est révélée par la multitude de lignes esquissées, impliquant que l’œuvre fut largement étudiée et retravaillée. L’ensemble, rehaussé de crayon de couleur rose crée un effet de velouté apportant une unité de composition mais aussi une douceur à cette vision morbide.

Traditionnellement représentée par un squelette, la figure de la Mort intervient dans l’univers entre fantasme et réalité des artistes de la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle. Le squelette animé servira, par ailleurs, à l’iconographie de la Première Guerre mondiale.
Félicien Rops est l’un des fiers représentant de cette production, laissant derrière lui de nombreux exemples de son génie créatif à travers des illustrations de menus, lettrines, invitations, et marques, et ouvrages qui rappellent, avec légèreté, l’omniprésence de la mort.

M.O

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