Georges LEMMEN (Bruxelles, 1865 - 1916)

Deux études de profil d’Aline Lemmen, épouse de l’artiste, debout et assise

47,5 x 41,9 cm

Circa 1900

Fusain, pierre noire et rehauts de blanc sur papier brun
Monogrammé GL en bleu du cachet d’atelier en bas à gauche

Provenance
• France, collection particulière

Lemmen et l’avant-garde belge
« Monsieur Lemmen doit être classé parmi les “intimistes”. Il est de la famille spirituelle des Vuillard, des Bonnard », écrivait Octave Maus dans L’Art Moderne en 1906, à l’occasion de la première exposition personnelle de Georges Lemmen. Juriste et critique d’art, Maus fut l’un des pères fondateurs de la revue L’Art moderne, mais aussi du cercle des XX puis de la Libre Esthétique, emblématiques de l’avant-garde artistique belge. Il fut l’un des premiers soutiens de Lemmen, et compta parmi ses plus fidèles amis.

Georges Lemmen intégra en 1879 l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Josse-ten-Noode. Il y bénéficia d’un enseignement novateur orienté sur la pratique et la technique, et y côtoya plusieurs futurs vingtistes. Ses premières œuvres d’importance datent de 1883. Cinq ans plus tard, en même temps que Henry Van de Velde et Auguste Rodin, il rejoignit le cercle des XX, et bénéficia de l’émulation artistique internationale qui y régnait.

Après avoir subi l’influence de Fernand Khnopff, Lemmen rejoignit en 1890 les préoccupations néo-impressionnistes de Seurat, qui avait exposé auprès des XX en 1887 Un dimanche à la Grande Jatte. Par ailleurs, le peintre participa de 1889 à 1893 au Salon des Indépendants à Paris. En 1894, il abandonna le divisionnisme pour se rapprocher du mouvement des Arts Décoratifs, dans le sillage de William Morris, Walter Crane et Mackmurdo. Lemmen côtoya Henry van de Velde, qui menait alors des recherches similaires. Il compléta sa pratique d’écrits théoriques, d’articles et de chroniques, mais à la différence de Van de Velde, ne s’aventura pas au-delà de la surface plane, quand ses pairs exploraient l’architecture ou les objets du quotidien.

Le choix des sujets intimes
A partir de 1900, Lemmen s’éloigna du mouvement des Arts Décoratifs pour renouer avec la peinture, se concentrant sur des sujets intimistes mettant en scène sa propre famille. Ses premières explorations de la vie familiale remontent à sa période pointilliste. Il avait peint alors un Intérieur bourgeois (localisation inconnue) qui réunissait plusieurs membres de sa famille autour d’une table, dans leur activité quotidienne. Cette œuvre fut précédée de deux années d’études préparatoires, qui posèrent les prémices de sa prédilection future pour les sujets intimistes. Doté d’une grande sensibilité, Lemmen cherchait à saisir la vie intérieure, l’animation profonde de ses modèles, qu’il traduisait dans des compositions sereines, teintées de recueillement, où se dévoilaient à peine les tourments secrets de cet éternel torturé. Au tournant du siècle, sa femme Aline et ses enfants Pierre, Jacques et Lise, devinrent ses principaux modèles.

Style et technique de notre dessin
Lemmen esquisse ici un double portrait de femme dénué d’attributs, où l’on reconnaît son épouse. Dans la partie gauche de la feuille, de longues lignes de fusain dessinent la silhouette de profil de la jeune femme debout, les mains reposant l’une sur l’autre. La robe ample, sans corset, est campée en quelques traits efficaces. La pierre noire et le fusain dessinent plus précisément le visage, rehaussé de craie blanche. Des hachures régulières suggèrent le fond. Lemmen avait déjà dessiné Aline Maréchal debout, de strict profil, avant son mariage. La jeune fiancée fait place ici à la femme dans sa plénitude, dont on connaît un autre portrait de profil très proche, Madame Georges Lemmen (1903-1907, sanguine et mine de plomb, 39,5 x 27 cm, collection particulière).

En partie droite de la feuille, c’est à nouveau la tête, de profil et légèrement relevée, saisie en contre-jour, qui fait l’objet de l’attention du dessinateur, tandis que le buste est simplement contourné. L’artiste utilise un fusain velouté, généreux, que structurent les traits de pierre noire. Détachant le modèle de l’ombre d’arrière-plan, la lumière affleure en contour, souligne la nuque relève l’arête du nez, le dessin des lèvres et la courbe du menton.

Les liens affectifs

Les œuvres de Lemmen témoignent avec pudeur du lien d’affection qui l’unissait à ses modèles. L’ombre projetée sur le visage, les yeux qui se dérobent – comme souvent dans ses portraits –, loin de nier la vie intérieure du modèle, évoquent sa quête. Une phrase de l’artiste, écrite à l’occasion d’une recension de la première exposition de la Libre Esthétique en 1894, manifeste explicitement ce souci :

« Quand Rembrandt plonge une figure dans une ombre profonde d’où elle semble surgir, c’est pour la vêtir de mystère, pour la doter d’une vie plus intense, pour évoquer des lointains d’âme triste et comme reclure, pour remuer tout un passé de souffrance. »

M.B.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Roger CARDON, Georges Lemmen (1865- 1916), monographie générale suivie du catalogue raisonné de l’œuvre gravé, Anvers, Pandora, 1990.
Roger CARDON, Georges Lemmen (1865-1916), cat. exp., Bruxelles, Musée d’Ixelles, 1997.
Atelier Georges Lemmen, succesion de Madame Theveni-Lemmen, fille du peintre, vente Paris, Hôtel Drouot, Loudmer, 29 juin 1992.
Georges Lemmen, cat. exp., Bruxelles, Musée Horta, 1980.
Georges Lemmen, dessins et gravures, cat. exp., Bruxelles, Bibliothèque Royale Albert Ier, 1965.
Marcel NYNS, Georges Lemmen, Anvers, De Sikkel, 1954.

Charger plus