Cesare FRANCHI dit Il Pollino (Pérouse ?, vers 1560 – Pérouse, 1598)

La Déposition du Christ

9,5 x 11 cm

Circa 1590.
Plume et encre brune, lavis brun sur traits de sanguine sur papier beige.
Trait d’encadrement à l’encre brune.
Traces d’annotation à l’encre brune sur l’ancien montage.

Provenance
· Collection Sir Charles Bigot (1781-1843), ambassadeur de Grande-Bretagne en France et en Russie puis gouverneur du Canada, Londres (Lugt 493 sur l’ancien montage).
· Collection Jean-Joseph-Marie-Anatole Marquet de Vasselot (1840-1904), Paris (Lugt 2499 en haut à droite).
· Sa vente, Paris, Drouot, 28-29 mai 1891, probablement lot 160 (« Guido Reni, Mise au Tombeau, plume et sépia) ou part des lots 118-132 (« école italienne »).
· Collection indéterminée, probablement Henri de Bourbon-Parme, comte de Bardi (1851-1905) (Lugt 336, marque estampée formée d’un B couronné et placée à cheval sur le montage et la feuille).
· Belgique, collection particulière.

D’une rare intensité dramatique malgré sa petite taille, notre dessin apparaît comme une réflexion très personnelle sur la Déposition du Christ, l’un des thèmes les plus fréquemment traités par les artistes de la Renaissance. Les protagonistes parmi lesquels on reconnaît Marie Madeleine aux cheveux épars et la Vierge appuyée sur Saint Jean et Joseph d’Arimathie qui soutient les jambes du Christ forment un groupe compact, tracé d’une plume sûre et virevoltante et rehaussé d’un lavis puissant et nerveux débordant les lignes du dessin. L’instabilité des poses, l’outrance des gestes, l’enchevêtrement des formes, les effets de matière, le type de visage très particulier, ainsi que le trait préliminaire à la sanguine sont caractéristiques de la manière graphique de l’un des artistes les plus singuliers de l’école pérugine du XVIe siècle dominée par Federico Barocci : Cesare Franchi.

Né à Pérouse, Franchi ou Francia fut très tôt surnommé il Pollino à cause de sa vue faible, ce surnom étant dérivé du latin pullus, « privé de ». Sa vie est relativement mal connue, mais Lione Pascoli, dans ses Vite de pittori, scultori, et architetti Perugini publiées à Rome en 1732, assure qu’il « servit de nombreux princes, beaucoup de cardinaux, quelques pontifes, qui le traitèrent avec distinction » . D’après Prugia augusta descritta de Cesare Crispolti publiée en 1648, l’artiste partageait son activité entre Pérouse et Rome, et pratiquait le dessin, la peinture et la miniature. En 1598, plusieurs miniaturistes romains de renom, dont Paris Nogari et Giulio Stella, avaient tenté d’intervenir auprès du pape Clément VIII et du cardinal Pietro Aldobrandini afin de sauver la vie de « Cesare di Francesco, peintre de Péruse », convaincu d’homicide sur un masque lors du carnaval de Pérouse et condamné à mort. Hélas, la requête des amis de Franchi n’aboutit pas.

On conserve du Pollino un ensemble de miniatures à sujets religieux dont cinq sur huit offertes par le cardinal Scipion Borghèse à l’Oratoire dei Nobili à Péruse (Galleria Nazionale dell’Umbria) et deux à la Biblioteca communale Augusta de Pérouse, ainsi que trois Adorations des noms de Jésus et de la Vierge (improprement nommées Rondes de putti dansant) partagées entre la British Library de Londres et une collection particulière. Mais l’essentiel de l’œuvre de l’artiste est constitué des dessins à la plume et au lavis regroupés autour des feuilles de la National Gallery of Scotland d’Édimbourg, du Staatliche Graphische Sammlung de Munich (inv. 2228 Z-2231 Z) et du Louvre que Philip Pouncey rendit à Cesare Franchi en 1958. Depuis, le corpus graphique du Pollino ne cessa de grandir. On identifia ainsi ses dessins dans les collections du Musée Magnin de Dijon, aux Offices, au Metropolitan Museum ou à l’Albertina.

De dimensions variables et sans lien établi avec une quelconque œuvre peinte, tous portent la marque de son style facilement reconnaissable et qui mêle le souvenir de Raphaël à travers le prisme de Giulio Romano et de Marcantonio Raimondi aux emprunts à Michel-Ange, aux influences de Barocci et de Giulio Clovio, ainsi qu’aux inspirations nordiques. Les compositions de Franchi naissent d’une superposition d’un lacis complexe des lignes à la sanguine et d’un tracé calligraphique à la plume, et se parachèvent par un travail au pinceau qui se concentre sur les creux des visages, les drapés amples et les ombres portées. Dans une démarche à l’opposé de la minutie d’un miniaturiste, l’artiste schématise, se hâte, rompt les contours et se contente de quelques circonvolutions pour préciser les orbites des yeux ou les genoux.

Certains thèmes semblent avoir particulièrement poursuivi le Pollino, comme la Sainte Famille dont plusieurs versions existent. En plus du nôtre, deux autres feuilles concernent ainsi la Déposition du Christ, conservées au Louvre (inv. 14650, 11,3 x 20 cm) et à la Fondazione Giorgio Cini de Venise (inv. 31094). Mais si la première est une reprise très interprétative de la célèbre Déposition du Christ de Raphaël, partie centrale du Retable Baglioni peint en 1507 (Rome, Galerie Borghèse), celle de Venise, avec ses multiples figures, et notre dessin, puissant et ténébreux, s’en écartent résolument libérant toute l’inventivité et l’expressionnisme maniériste du Pollino.
A.Z.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Mario DI GIAMPAOLO, « Cesare Franchi detto il Pollino (Perugia, 1560 circa - Roma, 1598) », A. M. Ambrosini Massari et M. Cellini (dir.), Nel segno di Barocci : Allievi e seguaci tra le Marche, Umbria, Siena, Urbin, 2005.
Bruno TOSCANO, « Il Pollino tra Roma e Perugia », A. Forlani Tempesti et S. Prosperi Valenti Rodinò (dir.), Per Luigi Grassi. Disegno e Disegni, Rimini, 1998, p. 156-167.

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