Luca CAMBIASO (Moneglia, 1527 – San Lorenzo de El Escorial, 1585)

La Tentation de saint Antoine

40,5 x 29 cm

Plume et encre brune, lavis brun, encre ferrogallique
Porte une inscription au crayon noir en bas à gauche Luca Cambiaso

Provenance :
• Princetown, collection du professeur et de Mme Jonathan Brown
• France, collection particulière

Bibliographie :
• Le dessin à Gênes du XVIe au XVIIIe siècle, exposition, Paris : Réunion des Musées Nationaux, 1985
• Lauro Magnani, Luca Cambiaso : da Genova all’Escorial, Genova : Sagep, Gênes, 1995
• Bertina Suida Manning, The Genoese Renaissance : grace and geometry : paintings and drawings by Luca Cambiaso from the Suida-Manning Collection, Houston, Museum of Fine Arts, 1974

Fils du réputé peintre Giovanni Cambiaso, Luca Cambiaso débute sa formation dans l’atelier paternel. Actif à Gênes, sa ville natale, le jeune artiste s’exerce en copiant les œuvres fraîchement exécutées au palais Andrea Doria à Fassolo, par les maîtres de la Renaissance tels que Le Pordenone, Domenico Beccafumi ou encore Perino del Vaga qu’il admire particulièrement. À la mort de ce dernier, Cambiaso quitte Gênes et rejoint Rome, Florence puis la province émilienne où il observe avec attention l’art du Parmesan et du Corrège.
Les années 1570 marquent un tournant dans son œuvre qui trouve progressivement une plus grande clarté. Entre ses différents enseignements, Cambiaso développe sa propre manière qui le place progressivement comme le trait d’union avec les maîtres de la réalité de la première moitié du XVIIe siècle.

Excellent dessinateur, il se lance dans une production graphique très prolifique qui connaît, de son vivant, une grande diffusion, et de nombreuses copies. L’artiste rejoint pleinement les préoccupations de la Contre-Réforme en traitant des épisodes religieux dont notre œuvre constitue un excellent exemple : il s’agit de la Tentation de saint Antoine, épisode relaté par le saint chrétien Athanase d’Alexandrie (vers 357 ap. J.-C.), repris au XIIIe siècle par Jacques de Voragine dans La Légende dorée. En se retirant du monde des hommes, rejoignant la vie d’anachorète, saint Antoine partagea son temps entre le travail et la prière, avant d’atteindre le désert. Vêtu d’une haire de crin, il décide de renforcer sa foi pendant 13 années durant lesquelles il subit les tentations du diable, auxquelles il résistera. Saint Antoine est considéré comme le père du monachisme chrétien.

Notre composition est connue par d’autres versions, reconnues comme de la main de l’artiste et de dimensions similaires dont une au Nationalmuseum de Stockholm (ill. 1), une deuxième au Cleveland Museum of Art (ill. 2), et une autre issue d’une collection particulière parisienne . Enfin, le Louvre conserve deux copies, plus faibles de qualité, répertoriées comme d’après l’œuvre de Cambiaso (inv. 9272 et 9273).
Des gravures reprenant la composition furent créées après la mort de l’artiste : F. Mancini mentionne dans son ouvrage deux xylographies, l’une conservée à la Print Collection de la Witt Library à Londres (inv. 1736) et l’autre réalisée par Arthur Pond en 1736 à l’Art Gallery d’Auckland (inv. 1945/7). L’iconographie de saint Antoine semble par ailleurs avoir captivé l’artiste qui en esquisse des variantes, dont un saint Antoine poursuivi par les démons, vendu chez Christie’s à Paris en 2004 (ill. 3).
Fondamentaux dans la compréhension de l’œuvre de l’artiste, ses dessins font preuve d’une grande force créative et d’un dynamisme éclatant. Sa manière fluide permet de retranscrire des formes adoucies de son œuvre, caractéristique de sa période de maturité, quelques années avant ses dessins « cubistes » tardifs, qui inspireront notamment Georges de La Tour.

Le souvenir manifeste de Michel-Ange se traduit dans l’attention particulière dédiée à la représentation des corps, à travers de puissantes musculatures de figures représentées systématiquement en mouvement, ici par les créatures diaboliques nues entourant le saint. Cambiaso dessine vite et fait preuve de mises en pages énergétiques qui expriment la vitalité de sa main. En utilisant la plume, il esquisse les formes, apporte de la profondeur grâce au lavis, tandis que l’encre ferro-gallique, largement utilisée par les artistes de la Renaissance, accentue les contours.
Cambiaso consacre de nombreuses œuvres, dont notre dessin, à l’étude de la profondeur. En plaçant de multiples personnages sur plusieurs plans il se contraint à rendre l’espace avec exactitude dont découlent des compositions complexes aux proportions équilibrées et savantes. Il profite de cet exercice pour démontrer sa virtuosité grâce à l’utilisation du raccourci qu’il maîtrise parfaitement, mis en pratique dans sa jeunesse à travers des fresques réalisées, aux côtés de son père, pour le décor du palais d’Antonio Doria.

Détaché du maniérisme dont il n’est pas un fervent défenseur, Cambiaso est un artiste reconnu de son vivant, salué par ses pairs et par la royauté : en 1583 il gagne l’Espagne, placé par Philippe II à la tête du chantier colossal de toiles et de fresques visant à achever le décor de l’Escorial, où il mourra en 1585. Jusqu’à sa disparition, l’artiste recevra de nombreuses commandes de décors à la fresque qu’il honore tout en répondant à celles de tableaux de chevalets.
Son œuvre fut collectionnée à travers les siècles, par les amateurs et les artistes tels que Jean-Baptiste Wicar, grand collectionneur qui conservait dans sa collection un dessin figurant l’Arrestation du Christ au jardin des oliviers de la main de Cambiaso, léguée comme le reste de sa collection à Lille (Palais des Beaux-Arts), ville natale de Wicar.

M.O

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