Henri Edmond CROSS (Douai, 1856 - Le Lavandou, 1910)

Place de la Concorde, Porte monumentale de l’Exposition universelle de 1900

12,7 x 17,6 cm

Aquarelle sur traits de crayon.
Signé au crayon en bas à gauche H. E. Cross.
Monogrammé et titré au verso au crayon HEC Paris Exposition 1900

Henri-Edmond Delacroix naquit en 1856 à Douai, ville d’origine de sa famille paternelle. Sa mère était issue du comté du Surrey, au sud-est de l’Angleterre. Le jeune homme manifesta très tôt un goût pour le dessin remarqué par son oncle, qui l’encouragea dans cette vocation et lui permit de rejoindre l’atelier de Carolus-Duran à Lille. Cette première formation, décisive, se poursuivit à l’Académie des Beaux-arts de Lille auprès d’Alphonse Colas. En 1876, le jeune peintre vint à Paris pour suivre les cours de l’un de ses compatriotes, Émile Dupont-Zipcy. Il fréquenta également l’atelier de François Bonvin, sous les conseils duquel il adopta le nom de Cross, traduction anglophone abrégée de son patronyme. L’artiste évitait ainsi toute confusion avec le grand Delacroix, mais aussi avec son contemporain, le peintre académique Henri Eugène Delacroix.

Cross s’illustra dans un premier temps par des portraits et des natures mortes, dans une palette sombre inspirée de celle de ses maîtres. Il présenta son travail au Salon à partir 1881. Avec la découverte de la région méditerranéenne en 1883, mais également sous les influences impressionnistes, sa palette s’éclaircit, tandis que le paysage supplantait peu à peu les autres sujets. En 1884, Cross participa à la fondation de la Société des artistes indépendants. Il y rencontra Seurat et Signac, dont il ne rallia véritablement les principes de division optique qu’en 1891. Cette même année, Cross s’installa définitivement dans le sud de la France, à Cabasson puis à Saint-Clair, près du Lavandou. Propice à sa santé – il souffrait de douloureuses et invalidantes crises d’arthrite – la vie méridionale n’isola pas le peintre de l’effervescence artistique parisienne. S’il avait abandonné le Salon officiel depuis 1885, il exposait tous les ans au Salon des Indépendants, et présenta également ses œuvres au Cercle des Vingt, au Salon de la Libre Esthétique, chez Durand-Ruel, ou encore à la première exposition spécifiquement néo-impressionniste qui se tint en 1892 à l’hôtel Brébant. Cross fut un homme cultivé, épris de littérature, prenant part, à chacun de ses séjours parisiens, aux réunions littéraires des Van Rysselberghe.

Aquarelliste virtuose, Cross a embrassé cette technique de façon régulière à partir de 1888, probablement sous les conseils de Pissarro et de Signac. Ce médium exigeant, qui ne laisse pas de place à l’hésitation et n’autorise pas le repentir, révèle la dextérité d’un artiste qui n’hésite pas à l’utiliser seul, quand Signac l’adosse plus volontiers au crayon ou à l’encre. Les écrits de Cross nous renseignent sur sa vision de cette technique : il distingue l’emploi d’une aquarelle « de renseignement », afin de préparer ses grandes compositions, et l’aquarelle comme forme d’expression autonome. Ses carnets d’études dans la nature sont ainsi emplis de dessins qui, malgré leur taille réduite, tiennent plus de l’œuvre aboutie que de la simple esquisse. La ligne rythmée, la couleur vibrante, sont servies par une main originale et libre.
En 1900, l’année de réalisation de notre feuille, Cross écrivait ainsi : « Depuis quelques jours, je me repose de mes toiles par des essais d’aquarelle et des esquisses en me servant de cette matière. C’est amusant. L’absolue nécessité d’être rapide, hardi, insolent même, apporte dans le travail une sorte de fièvre bienfaisante après les mois de langueur passés sur des peintures dont l’idée première fut irréfléchie. »

L’artiste, dont on connaît peu d’œuvres inspirées de la vie parisienne, s’est ici campé place de la Concorde, devant la porte d’entrée monumentale de l’Exposition Universelle dite porte Binet, du nom de son architecte. Symbole de la manifestation, ce monument éclectique en était l’accès principal. Une coupole culminant à trente mètres est supportée par trois arcs ouvrait sur un éventail de guichets permettant l’entrée dans l’Exposition. Une statue de La Parisienne par Moreau-Vauthier surplombait l’édifice, flanqué par ailleurs de deux tourelles hautes et fines semblables à des phares et entouré de mâts. Entièrement recouverte de staff bleu clair, la porte était ornée de milliers de cabochons colorés et d’ampoules électrifiées.

L’artiste a posé les bases de sa composition d’une pierre noire légère et sûre. À la façon d’un lavis, il a ensuite travaillé sur la réserve avec une palette réduite à un camaïeu de bleus, soutenu ça et là d’un ocre jaune se mélangeant avec parcimonie au bleu pour évoquer les arbres. La feuille de format réduit est savamment organisée. Au premier plan, une couleur appuyée dessine l’activité des fiacres tirés par des chevaux. Viennent ensuite la fontaine en eau, située en réalité bien plus à droite, mais nécessaire à l’équilibre de l’ensemble, ainsi que le lampadaire de Hittorf et la foule des visiteurs de l’Exposition dont les silhouettes sont évoquées en quelques traits. À gauche de la porte Binet, on reconnaît la Tour Eiffel et, à droite, la verrière du Grand Palais qui venait de remplacer l’ancien Palais de l’Industrie. Le ciel est formé par la réserve, à peine rehaussée en sa partie inférieure par un bleu très léger.
Depuis 1895, l’art de Cross évolua vers une exécution plus libre, et une touche plus large et rapide. Notre aquarelle est caractéristique de cette période, qui connut une nouvelle évolution à partir de 1903 avec l’adoption d’une touche dite « vermiculée » qui fut la marque de fabrique des aquarelles tardives de l’artiste.

M.B.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Françoise BALIGAN et al., Henri-Edmond Cross et le néo-impressionnisme. De Seurat à Matisse, cat. exp. Paris, Musée Marmottan Monet, Le Cateau-Cambrésis, Musée Matisse, 2012.
Françoise BALIGAN et al., Henri-Edmond Cross, 1856-1910, Paris, Somogy, 1998.
Isabelle COMPIN, Henri-Edmond Cross, Paris, 1964.

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