Pierre noire, estompe et rehauts de blanc
24 x 21,5 cm
Signée en bas à droite felicité A.
Provenance :
• France, collection particulière
Exposition :
• Probablement Salon de 1793 : « Portrait d’une Femme appuyée sur une table », sous le n°291
Bibliographie :
• Olivier Blanc Portraits de femmes, artistes et modèles à l’époque de Marie-Antoinette, pages 21, 65, 68, 85-87.
• Camille Mauclair, Histoire de la miniature féminine française : le XVIIIe siècle - l’Empire - la Restauration, Albin Michel, Paris, 1925
La vie et l’œuvre de la citoyenne Laborey demeure mystérieuse. Elle fut pourtant une femme artiste appliquée qui expose au Salon à la fin de l’époque révolutionnaire en 1793 ainsi que la première année du Directoire en 1795. Emmanuel Benezit mentionne qu’elle donnait comme adresse le 23 rue Vendôme dans le Marais, puis rue Saint-Denis en 1795 : à la finw du XVIIIe siècle les peintres en miniatures sont locataires et déménagent régulièrement, un choix providentiel car de nombreux logeurs sont par profession liés à l’art.
La production de l’artiste semble s’être poursuivie sous l’Empire (ill. 1) et jusqu’aux premières années de la Restauration, vers 1815.
Le Salon de 1793 mentionne que l’artiste expose sous le numéro 291 une œuvre titrée « Portrait d’une Femme appuyée sur une table ». Notre dessin présente ce même sujet, la datation du vêtement de la jeune femme ainsi que du mobilier correspondent à cette datation. Dans la dernière décennie du XVIIIe siècle, les tissus se renouvellent, la soie et le velours sont abandonnés au profit de drap pour les hommes et d’étoffes claires et légères pour les femmes. La jeune femme porte ici une robe cintrée sous la poitrine en mousseline qui semble légère et aérienne. En vogue à cette époque, la robe cintrée sous la poitrine sera par la suite reprise sous le Directoire puis sous l’Empire, allégées et décolletées. Le goût de l’Antiquité naissant trouve également son influence dans l’art de la coiffure qui cherche à reproduire celles des statues antiques. La coiffure à la Titus fait fureur, chez les hommes comme chez les femmes, portée ici par le modèle. Les cheveux étaient coupés ou relevés à la nuque, une véritable révolution en opposition avec la mode sous l’Ancien Régime. Les cheveux de la jeune femme semblent ici noués en chignon ; un ruban ceignant sa tête retient la chevelure laissant élégamment retomber des mèches de cheveux bouclés que l’on appelle « crochets » sur le front et les tempes. Cette coiffure sera popularisée sous l’Empire par Hortense de Beauharnais qu’elle porte dans la plupart de ses effigies.
La précision semble être l’une de ses qualités majeures de notre artiste qu’elle met au service d’une production de petits portraits. L’œuvre pourrait par ailleurs être une mise en abyme : l’artiste se serait représentée appuyée sur un carton à dessin, une position que l’on retrouve dans de nombreux autoportraits. La même année, Anne Guéret expose au Salon un portrait de femme appuyée sur un portefeuille, aujourd’hui considéré comme un probable autoportrait (ill. 2).
À la frontière de la miniature, les dimensions restreintes de notre dessin mettent en avant la dextérité de la main de l’artiste. Sa virtuosité s’exprime à travers le soin accordé à chaque détail de la composition, allant de l’utilisation de l’estompe apportant un effet de douceur à l’ensemble, en passant par un traitement délicat de la lumière éclairant les lignes pures et exactes du visage qui rendent la psychologie, jusqu’au traitement des cheveux dessinés un à un. Une subtile utilisation de blanc permet d’accentuer le volume des plis de la robe ainsi que de mettre en évidence les éléments essentiels comme ici le carton à dessin, attribut de l’artiste.
Avant d’être miniaturiste, Félicité Laborey est une excellente portraitiste. Un dessin récemment passé sur le marché peut être rapprochée de notre œuvre, tant par la technique que par la datation (ill. 3). L’œuvre représente une jeune femme assise à sa fenêtre ouvrant sur un paysage tenant dans sa main un éventail. L’utilisation de la pierre noire et de l’estompe permet de rendre avec une acuité similaire à notre dessin les détails de la physionomie du modèle. L’ensemble est également rehaussé de blanc, soulignant ici le fin voile qui couvre la chevelure.
La miniature tout comme le petit portrait trouvent un véritable essor à fin du siècle. Leur format réduit permet de proposer des prix moins élevés et de les rendre accessibles à un plus vaste public, formant ainsi une nouvelle source de revenus non négligeable. Félicité Laborey rejoint cette communauté de femmes artistes en quête de reconnaissance. Alors que la participation des miniaturistes au Salon de 1791 demeure modeste, la présentation de son travail en 1793 puis 1795 nous a permis de pouvoir restaurer la mémoire d’une artiste dont la dextérité la rapproche volontiers des grands noms de son temps.
M.O