James TISSOT (Nantes, 1836 – Chenecey-Buillon, 1902)

Portrait de Méry Laurent assise, serrant contre elle son petit chien japonais « Princesse »

49,5 x 34,5 cm

Plume et lavis d’encre brune
Signé et dédicacé en bas à droite

Provenance :
• France, collection particulière.
Bibliographie :
• James Tissot, l’ambigu moderne, [exp.], RMN-Grand Palais, Paris, 2020
• Nancy Rose Marshall, Malcolm Warner, James Tissot : Victorian life, modern love, London : Yale
University Press, New Haven, 1999

Contrairement aux idées reçues, Jacques-Joseph dit James Tissot ne naît pas en Angleterre mais dans
l’ancienne capitale des ducs de Bretagne, à Nantes en 1836. Son nom n’est anglicisé que lors de son fructueux
voyage à Londres qu’il rejoint en 1871. Jacques-Joseph est le fils d’un couple de négociants exploitants d’un
magasin de mode et de nouveautés, ce qui inspira probablement le jeune homme dans la représentation de
tissus et soieries qui tiendront une place prépondérante dans son oeuvre.
En France, la formation artistique du jeune Tissot débute à l’école des Beaux-Arts de Paris où il reçoit les
leçons de Louis Lamothe (1822-1869) puis d’Hippolyte Flandrin (1809-1864). Nous ne disposons que de
peu d’éléments biographiques de sa jeunesse et aucune lettre ou témoignage n’a pu évoquer de l’ambition
artistique complexe du jeune peintre. De son arrivée à Paris à la fin des années 1850 à son départ à Londres
en 1871, Tissot rencontre les plus grandes personnalités artistiques de son temps qui le poussent à embrasser
l’art du portrait. Il est l’ami de Whistler, Manet, Degas qui dresse son portrait en 1867 (New York,
Metropolitan Museum, inv. 39.161) mais aussi du belge Alfred Stevens qui lui transmet sa vision charmante
mêlant académisme et modernité impressionniste.
Plus qu’un aperçu de la société, l’oeuvre de Tissot évoque une période décisive dans l’art occidental de la fin
du XIXe siècle : celle de la modernité. En France, l’artiste illustre la vie sous le Second Empire soulevée par
de nouvelles aspirations esthétiques entre une crise de la hiérarchie des genres et un renversement de
l’académisme, motivée par l’expression de l’originalité personnelle du peintre.
Tissot connaît de son vivant une grande notoriété renouvelée sans cesse au cours de sa carrière par divers
évènements et expositions qui lui rendent hommage en France et en Angleterre. À Londres, il jette son
regard sur la société victorienne et dépeint les sorties des officiers de marine et des jeunes femmes discrètes
qui les accompagnent.
L’heureuse épopée de Tissot en Angleterre connaît cependant un malheureux rebondissement lorsque sa
compagne Kathleen Newton meurt prématurément en 1882. La vie et l’oeuvre de l’artiste se bousculent. À
son retour à Paris la même année, Tissot recherche désormais à travers ses portraits à rendre l’essence
féminine. On a pu évoquer ses « élégantes silencieuses », pensives et évasives, presque hantées : une nouvelle
vision mélancolique de la représentation féminine, probable nostalgie de sa compagne disparue.
De cette image de la vie quotidienne bourgeoise, Tissot reçoit une véritable consécration pour son travail.
Notre dessin témoigne de l’attention particulière dédiée à ces femmes mondaines. Le modèle n’est autre que
Méry Laurent née Anne Rose Suzanne Louviot (1849-1900), muse pour de nombreux peintres à Paris dont
Henri Gervex, James Abbott McNeill Whistler ou encore Edouard Manet (ill. 1), mais aussi source
d’inspiration pour les plus grands écrivains tels que Marcel Proust et Émile Zola qu’elle accueille chez elle
lors de salons littéraires. Actrice, comédienne et modèle, Méry Laurent devient une figure populaire
incontournable de la seconde moitié du XIXe siècle français. Elle est décrite par ses contemporains comme
une femme joyeuse et souriante, ce que Tissot rend parfaitement dans notre dessin.
Avant d’être peintre, James Tissot est un formidable dessinateur. Sur une feuille d’un format ambitieux
l’artiste représente, dans un cadrage assez serré traduisant l’intimité de la scène, cette jeune femme assise sur
un fauteuil serrant contre elle son petit chien prénommé « princesse ».
Dès ses débuts, Tissot se constitue un catalogue de reproductions photographiques de ses peintures montées
sous forme d’album qu’il conserve soigneusement comme catalogue raisonné ou catalogue de vente
permettant de montrer aux potentiels futurs acheteurs des modèles de composition. En vogue depuis peu,
l’art de la photographie est un médium couramment utilisé par les peintres. Elle permet, au-delà de la
réduction considérable du temps de pose des modèles, de capter la lumière d’une nouvelle manière. Tissot
a certainement travaillé d’après des photographies. Pour notre oeuvre en particulier, il est probable que
l’artiste se soit inspiré d’une photographie de Paul Nadar représentant Méry Laurent tenant son petit chien
dans ses bras (ill. 2).
Pourtant faite uniquement de plume et de lavis d’encre brune, Tissot rend sa figure d’une grande vivacité et
joue des effets de l’encre pour rendre une oeuvre en plusieurs tonalités. Tantôt chargée d’eau rendant un
effet d’aquarelle, tantôt chargée de matière, l’artiste appuie soigneusement certains traits pour travailler les
effets d’ombre et de lumière sur le visage mais aussi pour renforcer les effets des luxueuses matières entre les plumes du chapeau et la fourrure du col du manteau de son modèle, vêtue à la dernière mode. Le petit
chien est savamment confondu dans les étoffes à gauche de la composition : une petite fantaisie qui apporte
un dynamisme supplémentaire à la composition.
Quelques années après la mort de sa compagne, Tissot délaisse ses sujets mondains pour se dévouer
entièrement à ses convictions religieuses. Jusqu’à la fin de sa carrière, il s’attèle à des sujets bibliques nourrit
par ses séjours en Palestine et à Jérusalem et inspiré par la vision mystique de son contemporain Gustave
Doré (1832-1883).
Parmi ses contemporains, Tissot est un artiste résolument moderne qui acquiert une grande reconnaissance
et connaît le succès tout au long de sa carrière, défendu par les plus grands marchands de son temps dont
le célèbre Adolphe Goupil (1806-1893) qui disperse ses oeuvres entre la France, l’Angleterre et les Etats-
Unis.
M.O

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