Jacques-Antoine Marie LEMOINE (Rouen, 1751 – Paris, 1824)

Portrait de Pierre Paul Royer-Collard (1763 - 1845)

23 x 19 cm

1796
Pierre noire, estompe et rehauts de sanguine
Signé et daté Lemoine del. 1796 au milieu à droite

-* Provenance :
• France, collection particulière.

Bibliographie :
• Alfred Poussier, Notice biographique sur Lemoine (Jacques-Antoine-Marie) peinture miniaturiste (1751-1824), 1914
• Neil Jeffares, « Jacques-Antoine-Marie Lemoine », in Gazette des beaux-arts, vol. 133, no 1561, février 1999, p. 61-136
• Charle Christophe « Royer-Collard (Pierre, Paul) » in Les professeurs de la faculté des lettres de Paris – Dictionnaire biographique 1809-1908, Institut national de recherche pédagogique, Paris, 1985. pp. 155-
156.

Les notices biographiques sur Jacques-Antoine Marie Lemoine ou Le Moyne demeurent rares. Originaire de Rouen, Lemoine semble s’être établi à Paris autour de l’année 1806. On trouve mention de son nom dans la liste des membres de la Société d’Émulation, [1] répertorié comme artiste peintre ayant fréquenté l’École des Beaux-Arts de Paris « élève de M. la Grenée le Jeune »[2] et de Maurice-Quentin de « La Tour » (1704-1788), auprès duquel il apprend à manier le pastel. Les nombreux dessins parvenus jusqu’à nous signés de sa main démontrent que Jacques-Antoine Marie Lemoine fut un excellent dessinateur qui « se livra plus particulièrement au genre du portrait en mignature et en grand, il fit plusieurs portrait pour la famille Lecoulteux de Rouen.[3] »

Dans un esprit de louange et de glorification des personnalités illustres de son temps, Lemoine traduit ici les traits de Pierre Paul Royer-Collard, influente figure politique et homme de lettres. En 1789, Pierre Paul Royer-Collard est un avocat établit à Paris. La même année, il opte pour une carrière politique en devenant membre du conseil municipal de Paris, fonction qu’il occupe durant trois ans avant de présenter, au nom de sa section à la Convention, une adresse à propos de l’enrôlement volontaire contre l’insurrection de l’Ouest. Il se réfugie à Sompuis après l’écrasement des Girondins. Sa carrière politique prend progressivement de l’ampleur jusqu’à sa fière élection de député au conseil des Cinq Cents en 1797. Dès lors, sa vie politique se bouscule. Son élection est annulée l’année suivante lors du coup d’État du 18 fructidor : après avoir été favorable à la Révolution, Royer-Collard se rallie à la monarchie constitutionnelle.

En développant des relations étroites avec les représentants de Louis XVIII, il reçoit la nomination de membre du conseil royal qu’il occupera jusqu’en 1803. Jusqu’en 1814 son nom n’apparaît plus que dans le domaine de la littérature dans lequel il trouve une nouvelle reconnaissance : Collard devient professeur d’histoire de la philosophie à la Faculté des lettres de Paris. La chute de l’Empire apporte un souffle nouveau à sa carrière et lui permet de prendre la présidence de la Commission de l’Instruction publique jusqu’en 1819. Dans le même temps, il est élu député de la Marne, fonction qu’il occupera jusqu’à mort en 1845.

« (…) Le Professeur ne peut espérer d’être utile à ses Élèves, qu’en se mettant toujours à leur portée. C’est pour eux et non pour lui qu’il doit faire sa Classe. Son objet étant de graver dans leur mémoire les principaux faits de l’Histoire (…), il ne doit chercher d’autre source d’intérêt que la simple exposition des faits historiques et la liaison naturelle qu’ils ont entre eux : il devra surtout éviter tout ce qui pourrait appeler les Élèves dans le champ de la Politique et servir d’aliment aux discussions des Partis. (…) »[4]

Sous Charles X, après une carrière bien remplie, l’homme politique perd de son influence. En 1830, Royer-Collard a 67 ans, il est chevalier de la légion d’honneur et membre actif de l’Académie française où il avait été élu trois ans plus tôt. Parmi ses champs d’actions très diversifiés, l’homme de lettres qu’il était s’efforça de remanier l’instruction et l’enseignement et appela ainsi, à travers plusieurs lettres directives, au changement.

Dans un format ovale participant à l’aspect intimiste de l’oeuvre, Royer-Collard est ici représenté en buste légèrement tourné vers la gauche le visage pris de face, fixant l’artiste. Le modèle est vêtu à la mode Directoire : sous une veste dite « de dessus » accompagnée d’un gilet croisé à revers apparaît un large collet blanc noué englobant son cou. En attentif observateur, Lemoine retranscrit avec une grande acuité les traits physiques et la psychologie de son modèle par un regard paisible. Royer-Collard pose ainsi sereinement devant l’artiste, il n’est d’ailleurs pas exclu de penser que les deux hommes se connaissaient intimement.

Excellent dessinateur, la virtuosité de Lemoine se révèle ici dans l’emploi de la pierre noire agrémenté de sanguine permettant de rehausser les pommettes, les lèvres ainsi que le regard du modèle. Son ingéniosité s’exprime à travers le soin accordé à chaque détail de la composition, allant de l’utilisation de l’estompe apportant un effet de douceur à l’ensemble, en passant par un traitement délicat de la lumière éclairant les lignes pures et exactes du visage jusqu’au traitement des cheveux intelligemment décoiffés, dessinés un à un.

L’oeuvre est datée de l’année 1796, durant laquelle Lemoine réalise le portrait de Lord Seymour, qu’il est ici intéressant de comparer à notre oeuvre dans l’utilisation commune de la pierre noire et le subtil maniement que l’artiste en fait, jouant des effets d’ombre et de lumière sur les visages de ses modèles. Le portrait de Seymour évoque le goût de l’artiste pour ces portraits masculins issus de grandes familles telles que les Seymour, de l’aristocratie anglaise, entre autres. La main de l’artiste nous a laissé d’autres exemples de portraits en buste de format ovale d’hommes traités à la pierre noire, de dimensions similaires à notre portrait dont certains furent exposés au Salon de 1796 en particulier qui recense 5 portraits dessinés et « plusieurs portraits ». L’absence de dimensions ou de détails physiques des modèles ne nous permettent pas de déterminer si notre dessin y fut exposé cette année-là.

« (…) les malheurs des temps passés lui ayant oté une partie de sa fortune, il pensa que le travail étoit la véritable fortune (…) »[5]

Les homonymes de notre artiste ont pu mener à bien des confusions quant à son corpus d’oeuvres non signées. Cependant, d’après le précieux témoignage épistolaire de la fille de l’artiste, on sait que Lemoine se bâtit une solide réputation de portraitiste qui fit sa gloire. Il fut collectionné de son vivant en France et au delà des frontières : «  (i)l y a beaucoup d’autres ouvrages de lui dans la France et dans les cours étrangères  »[6]. Au Salon, l’oeuvre de Lemoine est appréciée pour la qualité de ses « portraits dessinés » de citoyens et citoyennes, d’artistes,[7] de modèles connus et inconnus du public illustrant son goût certain pour ce genre qu’il pratique jusqu’à sa mort en 1824.

M.O.

[1] La « Société libre d’émulation du commerce et de l’industrie de la Seine-Inférieure » fut fondée à Rouen en 1792.
[2] M. S. Rocheblave « Les Artistes Normands à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, de 1765 à 1789 » in Congrès du Millénaire normand, t. II, p. 425.
[3] Lettre de Mlle Agathe Lemoine à Juste Hoüel Secrétaire de correspondance de la Société d’Émulation à Rouen, datée du 7 juin 1824 retranscrite dans Alfred Poussier, Notice biographique sur Lemoine (Jacques-Antoine-Marie) peinture miniaturiste (1751-1824), 1914, p. 5.
|4] « Royer-Collard Pierre-Paul. 18. 9 novembre 1818 : Lettre de Royer-Collard, président de la Commission de l’Instruction publique, aux proviseurs des collèges royaux parisiens, jointe à l’arrêté du 9 novembre (extraits) » in L’histoire et la géographie dans l’enseignement secondaire. Textes officiels, Tome 1 : 1795-1914, Institut national de recherche pédagogique, Paris, 2000. p. 113.
[5] Lettre de Mlle Agathe Lemoine à Juste Hoüel Secrétaire de correspondance de la Société d’Émulation à Rouen, datée du 7 juin 1824 in op. cit. p. 8.
[6] Ibid.
[7] Le Salon de 1785 mentionne un « portrait de Mme Lebrun, assise sur un rocher, dans un paysage », ou encore celui de 1798 « portraits dessinés à la pierre noire du citoyen Fragonard. »

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