André Jean LEBRUN (Paris, 1737 – Vilnius, 1811)

Vénus demandant à Vulcain des armes pour Énée et La résurrection de Lazare

44,5 x 64 cm et 45 x 61,4 cm

Circa 1780.
Deux dessins à la plume et encre brune, lavis brun sur traits de pierre noire.
Filigrane fleur-de-lys de Strasbourg dans un blason surmonté d’une couronne.
Le premier annoté au verso Alex le Brun et numéroté No 296 et 159, le second annoté Al. Le Brun et numéroté 157.

Provenance
· Baron Adalbert von Lanna (1836-1909), entrepreneur hydrographe, Prague (Lugt 2773 au verso).
· Absent de ses ventes posthumes de dessins (Stuttgart, Gutekunst, 6-11 mai 1910 ; Berlin, Lepke, 23-24 mai 1911).
· Vente Christie’s, Paris, 22 mars 2007, lot 89.
· France, collection particulière.

Fils de Jean Lebrun ou Le Brun, un Flamand, et de Madeleine Souffrain de La Tonelle, André Lebrun étudia la sculpture auprès de Jean-Baptiste Pigalle dont il fut l’un des meilleurs élèves. Sa formation à l’académie fut jalonnée de prix jusqu’au plus prestigieux obtenu en 1756, celui de Rome, le deuxième seulement organisé pour la sculpture. Après un passage obligé par l’École royale des élèves protégés, le jeune artiste arriva à Rome en 1759. Quatre ans plus tard, sa pension terminée, il demeura dans la Ville Éternelle prétextant la participation au concours pour le monument funéraire du pape Benoît XIV. S’il n’obtint aucune commande pour ce projet, l’artiste n’en parvint pas moins à se faire une place dans la vie artistique romaine. Membre de l’Académie de Saint-Luc, directeur de la Scuola del Nudo, il réalisa une Judith pour l’église de San Carlo al Corso, ainsi que les bustes du cardinal Giuseppe Maria Ferroni et du pape Clément XIII.

Le « talent particulier pour les portraits » de Lebrun, pour reprendre les mots de Natoire, directeur de l’Académie de France à Rome, attira l’attention du roi Stanislas II Auguste Poniatowski de Pologne, non sans l’intervention en sa faveur de la salonnière Madame Geoffrin. Le monarque l’engagea dès 1767 comme sculpteur, à charge de concevoir la décoration plastique de ses résidences favorites – le château royal de Varsovie et le palais d’été des Łazienki –, ainsi que de très nombreux bustes dont toute une série des Polonais illustres pour la Salle des Seigneurs du château royal. En 1768, Lebrun fut fait chevalier et en 1779 nommé premier sculpteur de Sa Majesté.

Excepté un séjour de quelques années à Rome après le premier partage de la Pologne et sur ordre de Stanislas Auguste, Lebrun demeura à Varsovie jusqu’à la fin de la République des Deux Nations (Pologne-Lituanie), dont le territoire fut divisé entre l’Autriche, la Prusse et la Russie en 1795. Le roi quitta sa capitale pour Grodno, puis, deux ans plus tard, fut forcé à s’établir à Saint-Pétersbourg où il s’éteignit en 1798.

La cour qu’il servait une fois évanouie, le sculpteur français fut invité à servir l’Empire Russe, nouveau maître de Varsovie. Il se rendit à la cour de Catherine la Grande, mais ne parvint pas à s’imposer face à la toute-puissante Académie Impériale des Beaux-Arts pourtant alors dirigée par un Français, Auguste de Choiseul-Gouffier. L’artiste réalisa le buste de l’impératrice Marie Féodorovna, mais travaillait peu et pour une clientèle privée. En 1803, il fut nommé professeur de sculpture et de taille de pierre à l’Université de Wilno (actuelle Vilnus) qui venait d’être réorganisée.

L’œuvre sculpté d’André Lebrun, éparpillé entre l’Italie, la Pologne et la Russie, est abondant, mais son corpus graphique, varié et virtuose, l’est tout autant. Sa manière anguleuse et très personnelle surprend par son expressivité et sa modernité, que ce soit dans ses sanguines réalisées en Italie ou ses feuilles polonaises à la plume et au lavis de bistre. Certains dessins se rapportent à ses études à l’Académie de France à Rome ou à ses projets statuaires, d’autres, à l’instar de ceux que nous présentons, sont des grandes compositions mythologiques ou religieuses tracées d’une main leste et qu’on imagine mal préparer une sculpture. Souvent d’assez grandes dimensions, elles semblent parfaitement abouties malgré la ligne impatiente et calligraphique. Lebrun affectionne les mises en page spectaculaires et denses fourmillant de détails, les figures élancées presque maniéristes, les drapés cassants, le lavis très dilué pour les arrière-plans et les pénombres, ainsi que des touches d’encre pure qui tranchent avec la clarté du papier laissé en réserve dans un clair-obscur accentué et parfois fantaisiste.

Quoique de dimensions identiques, nos œuvres ne forment pas un pendant ni appartiennent à aucun cycle. Aussi, Vénus demandant à Vulcain les armes pour Énée est le seul dessin de Lebrun connu se rapportant à l’Énéide. En revanche, il s’agit d’un thème fréquemment traité par les artistes français du XVIIIe siècle, tels La Fosse, Boucher, Natoire ou Restout. L’interprétation qu’en donne notre artiste est très différente et plus dramatique, avec les corps désarticulés à la musculature saillante du dieu forgeron et de ses aides. De même, La Résurrection de Lazare est l’unique sujet de l’histoire du Christ jamais dessiné par Lebrun. Il en existe une seconde version, très proche, mais plus petite conservée à la Biblioteka Uniwersytecka de Varsovie (inv. zb. d. 102, plume et encre brune, lavis brun, 33,8 x 49,2 cm).

Le sujet de certaines feuilles glorifiant les Arts dont la Victoire des Arts sur le Temps avec le portrait du roi Stanislas Auguste comme protecteur des Arts provenant, comme nos deux dessins, de la collection d’Adalbert von Lanna et de dimensions identiques, permet de rattacher ces dessins au projet du roi de Pologne qui souhaitait transformer l’atelier de sculpture d’André Lebrun, fort de plusieurs dizaines d’artistes, en une Académie royale des Beaux-Arts. De par leur style, ils se situent en effet dans les dernières années que le sculpteur passa en Pologne, entre 1780 et les guerres des années 1790. Sans doute destinées à Stanislas Auguste, les compositions ambitieuses de Lebrun devaient le montrer aussi bon dessinateur que statuaire, capable de la plus belle et la plus complexe invention, et, partant, digne de diriger une Académie. C’est un ravissement de l’œil et une démonstration éclatante d’un talent original et libéré, que les tourments de l’histoire empêchèrent de se réaliser entièrement.
A.Z.

Bibliographie de l’œuvre
Katarzyna MIKOCKA-RACHUBOWA, André Le Brun : « pierwszy rzezbiarz » krola Stanislawa Augusta, Varsovie, Instytut Sztuki PAN, 2010, vol. II, p. 444-446, nos 92 et 93.
Louis-Antoine PRAT, Le dessin français au XVIIIe siècle, Paris, Louvre éditions, 2017, p. 289 (Vénus dans la forge de Vulcain).

Bibliographie générale
Stanisława SAWICKA, « Les dessins d’André Le Brun, premier sculpteur à la cour du roi Stanislas-Auguste Poniatowski », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art Français, 1968, Paris, 1970, p. 111-125.
Olivier MICHEL, « André Lebrun en France et en Italie. Sa formation et ses succès romains », Biuletyn Historii Sztuki, vol. 62, no 1/2, p. 205-229.

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