Henri-François RIESENER (Paris, 1767 – 1828)

Portrait présumé de la marquise de Chamillard accordant sa harpe

81 x 32 cm

Vers 1815
Huile sur sa toile d’origine

Provenance :
• Ancienne collection du Palazzo Loschi Zileri dal Verme, Vicence (vente 20 Octobre 2021, lot 81)
• France, collection particulière.

Bibliographie :
• Une dynastie d’artistes : Les Trois Riesener, catalogue de l’exposition de la Galerie des Beaux-Arts, Paris, 1954.

Pris entre deux siècles, Henri-François Riesener naît en 1767 dans un milieu artistique en recevant une première initiation à l’art de son père Jean-Henri Riesener, le célèbre ébéniste de Louis XV, puis de Louis XVI. Le jeune artiste étudie par la suite sous l’égide d’Antoine Vestier (1740-1824), qui redirige sa carrière vers l’art du portrait. Les annales des écoles de l’Académie mentionnent qu’il fut un temps élève de François-André Vincent (1746-1816) puis de Jacques-Louis David (1748-1825) avant que sa carrière ne soit brutalement interrompue par le service aux armées puis par la Révolution. Riesener participe donc une première fois au Salon en 1793 puis une seconde fois en 1799 avant d’exposer régulièrement jusqu’en 1814 où il reçoit la grande médaille d’or à l’effigie de Napoléon. Les livrets de Salon recensent une large production de portraits féminins et masculins dont les maigres descriptions ne permettent cependant ni de les identifier ni d’en déterminer l’exacte datation.
Le retour des Bourbons au pouvoir freina le nombre de commandes de l’artiste qui choisit de partir pour la Russie de 1816 à 1823. De passage à Varsovie, il fait la connaissance du grand-duc Constantin qui le présenta par la suite à l’impératrice et à l’empereur Alexandre. Pendant ces sept années, Riesener rencontre un franc succès. Il sera chargé entre autres de peindre les célébrités de l’aristocratie et du haut commerce de Russie.
Formidable portraitiste, ses œuvres furent louées de son vivant engageant de nombreuses commandes, à tel point qu’il en réalisa parfois de nombreuses répliques.

Notre tableau est un bel exemple des commandes françaises d’époque l’Empire que Henri-François Riesener reçoit avant son départ en Russie.
Dans une élégante simplicité, l’artiste révèle sur un fond uni le profil d’une jeune femme vue à mi-corps, accordant sa harpe. Elle porte une robe d’organdi blanche, cintrée à la taille par un châle de cachemire, dont les manches courtes sont resserrées par un nœud de couleur corail rappelant sa parure de bijoux : un fin peigne retient sa chevelure, sa monture en or ornée de perles de corail est complétée par de délicats pendants d’oreilles. Sa coiffure rend compte de la mode capillaire sous l’Empire lancée par les Beauharnais consistant à retenir en chignon l’ensemble tout en laissant s’échapper d’épaisses boucles retombant sur le front. L’ensemble de cet apparat évoque une condition sociale aisée.
Bien que l’identité de notre modèle demeure incertaine, les traits de notre modèle peuvent être rapprochés de ceux de la marquise de Chamillard dont la vie et l’œuvre demeurent encore méconnues. Un portrait de de la probable marquise fut peint par le peintre suisse Firmin Massot à la même période (ill. 1).

La musique instrumentale trouve son véritable essor au cours du XVIIIe siècle.
Sous le règne de Louis XIV, l’Académie royale de musique dispensait les enseignements de musique dans le royaume. La fin du XVIIIe siècle voit l’apparition du Conservatoire national de musique créé par la loi du 16 thermidor an III (3 août 1795) rassemblant sous un même nom l’ancienne École royale de chant et de l’Institut national de musique. Longtemps associées à la musique vocale, le XVIIIe siècle voit l’avènement de la figure féminine dans la musique instrumentale. Popularisée par la reine Marie-Antoinette qui donne son premier concert à la cour en 1770, la harpe, instrument connu depuis l’Antiquité, devient un véritable élément de mode à Paris, et de nombreuses femmes issues de la haute bourgeoisie suivent cette voie.

C’est un Instrument qui a beaucoup d’étendue, dont le son est harmonieux, & dont la forme est agréable. Nos Dames auxquelles la Harpe paroît surtout convenir, apprendront sans doute avec plaisir que la Dame Gramer, demeurant à Paris, rue Tiquetonne, à l’Hôtel de la Providence, enseigne avec succès à jouer de cet Instrument, tant sur le Livre que de mémoire, et qu’elle forme en peu de temps de bonnes Ecolières .

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, la harpe compte parmi les instruments de musique les plus dispendieux. On la retrouve dans les portraits de jeunes femmes en quête de reconnaissance sociale. Les quelques rares portraits de figures féminines accordant leur instrument permet de déceler que plus qu’un attribut de fantaisie, il s’agit de musiciennes dont l’apprentissage de la musique contribuait à leur position sociale. Notre modèle est ainsi représenté pivotant les crochets de l’instrument dont l’invention, datant du XVIIe siècle, permettait de changer la tension de certaines cordes et de régler ainsi la hauteur des notes produites.
Sous l’Empire, l’Impératrice Joséphine joue régulièrement de la harpe et en perpétue ainsi la mode. L’une des harpes de l’impératrice, d’une exquise facture réalisée par Cousineau (Père et Fils luthiers), est aujourd’hui conservée à Rueil-Malmaison, châteaux de Malmaison et Bois-Préau (inv. M.M.40.47.127).

Dans notre composition, le fond uni cuivré et légèrement brossé témoigne de la leçon davidienne, permettant de faire jouer la lumière, du visage aux textures en concentrant l’attention sur l’expression faciale du modèle.
Riesener aura plaisir à dépeindre ces musiciennes (ill. 2). Un double portrait représentant une cantatrice et une harpiste (ill. 3) conservé en collection particulière forme un excellent témoignage de l’habileté du peintre dans le rendu de la psychologie. L’artiste laisse ici percevoir la tendresse du regard et la bienveillance de son modèle, comme interrompue dans sa tâche.

À son retour de Russie, Henri-François Riesener retrouve sa femme, son fils mais aussi le succès. Cette épopée lui aura permis de s’établir comme peintre indépendant dont les portraits ravissent l’œil de ses plus éminents contemporains. Il est un excellent coloriste, reconnu par ses aînés pour la vérité émanant de ses portraits lui permettant de vivre, « au-dessus du besoin ».

Cette œuvre sera incluse au catalogue raisonné en préparation sur l’artiste par Monsieur Alexis Bordes et Monsieur Philippe Nusbaumer.
M.O.

Charger plus