Émile FABRY (Verviers, 1865 - Woluwe-Saint-Pierre, 1966)

Étude pour L’Expansion coloniale ou L’Effort

50,5 x 82,5 cm

Huile sur toile, esquisse mise au carreau

Provenance :
• Atelier de l’artiste, puis par descendance
• Belgique, collection particulière.

Bibliographie :
• GUISSET, J., Émile Fabry : Peintures et dessins. Catalogue-inventaire. Collection Miseur, 2000, 234 p. (inédit). • DUBUISSON, E., « L’atelier du peintre Émile Fabry : la muse d’une (belle) famille d’artistes », Les Nouvelles du Patrimoine, 149, 2015, pp. 23-25.

(…) [O]n est attiré et retenu par le mystère des énigmatiques figures, si graves et si recueillies, qui vous emportent dans des au-delà inquiétants et tragiques. (1)

D’origine belge, Émile Fabry est connu comme peintre, lithographe et décorateur.
Enfant passionné par le dessin qu’il pratique régulièrement, Émile Fabry se destine très jeune à une carrière artistique. Contraint par un malheureux hasard de rejoindre l’armée à l’âge de 18 ans, versé à la Compagnie Universitaire de Bruxelles, le jeune homme décide de poursuivre sa vocation en s’inscrivant en parallèle à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Il y rencontre Jean Portaels (1818-1895), auprès de qui il suit une formation rigoureuse d’après nature jusqu’en 1893. Après cela, il expose à différents évènements officiels dont ceux du cercle pour l’Art puis poursuit son ascension aux salons de La Rose+Croix avant l’Exposition universelle de Liège de 1905 qui signe l’apogée de sa carrière.

M. Fabry a le sens des allégories nouvelles et des symboles pénétrants…Son art est un art d’effroi grave, d’existence haute et vague ; un art ouvrant à la vie ses yeux tristes, rigides et effrayés... (2)

Fabry est un artiste proprement symboliste, inspiré par toutes les formes artistiques qui peuvent lui servir dans le processus de création dont la poésie, notamment les écrits de William Blake. Ses œuvres s’apparentent à des allégories qui lui permettent de retranscrire un sentiment ou une émotion grâce à un traitement ingénieux des effets de lumière. Bien qu’il vive centenaire, le temps qui passe et l’idée de la mort semble hanter l’artiste qui élabore des images symbolisant le destin de l’humanité à travers des sujets puissants tels que les âges de la vie, les saisons mais aussi les Parques, figures féminines fascinantes de la mythologie romaine (Les déesses de la vie, 1896, huile sur toile, 249 x 205,5 cm, Anvers, collection privée).

Au-delà de son activité de peintre, Fabry se tourne progressivement vers une carrière de décorateur. Le contexte historique est en effet propice à ce nouvel exercice : la seconde moitié du XIXe assiste à une pleine transformation des villes à travers l’émergence de nouvelles constructions telles que des palais de justice et hôtels de ville, dont les murs sont transformés en vastes zones de travail permettant aux artistes de participer à la conception de l’ensemble. En Belgique, ce mouvement est soutenu par l’apparition de salons d’art monumental encourageant les artistes à se surpasser, bien que la plupart des œuvres ne soient conçues que pour une durée déterminée.

En collaborant avec des architectes, Fabry développe une certaine aisance dans ce domaine et conçoit des décorations pour les villas de ses amis avant d’être appelé à de plus vastes projets. Il exécute des fresques pour le Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles et pour différentes salles officielles des Hôtels de Ville de Saint-Gilles, Laeken et enfin Woluwe-Saint-Pierre où il résidera jusqu’à sa mort en 1966.

Notre œuvre est préparatoire à une œuvre monumentale imaginée à l’occasion de l’Exposition universelle et internationale de Liège de 1905. Nommée L’Expansion coloniale puis rebaptisée par la suite L’Effort afin d’effacer toute connotation politique de l’époque de création, l’œuvre est acquise par la commune de Woluwe-Saint-Pierre et installée en 2000 dans le hall d’accueil de la salle Fabry de l’hôtel communal. L’artiste réalise pour cela deux esquisses entre 1903 et 1904 dont notre œuvre, toutes deux conservées dans son atelier jusqu’à sa mort, puis transmises par descendance à ses héritiers qui conservèrent l’œuvre jusqu’à la vente de la maison de l’artiste en 2017.

Indispensable au processus de création, l’esquisse permet de rendre compte des différentes étapes de réflexion. Le quadrillage tracé au crayon sur le fond de notre toile résulte de la technique de la mise au carreau, permettant de reproduire l’œuvre finale aux dimensions monumentales.

Dans cette composition rythmée construite en diagonale, l’œil se promène de gauche à droite : des silhouettes en plein effort à la vision de quatre chevaux dont le corps se termine en volutes. Allégorisée, la figure principale est placée au centre de la composition, les bras étendus vers l’horizon. Comme flottant sur l’ensemble, elle évoque la grandeur de la nation belge portée par cette mer de corps athlétiques se déversant comme un courant et tirant ce char, exportant ainsi le savoir vers d’autres civilisations.

La légèreté émanant de la composition rapproche la scène d’une échappée poétique proche de la rêverie, issue de l’imaginaire de l’artiste. L’effort est rendu souple et délicat par ces jeux de courbes et contre-courbes évoquant grâce et flottement, aux antipodes de l’idée de puissance annoncée par le sujet. Les figures énigmatiques laissées en réserve, sont simplement cernées car au-delà de l’identité des modèles, l’artiste s’emploie à retranscrire l’idée d’une dynamique générale. L’ensemble forme une vague puissante accentuée par le traitement des figures athlétiques inspirées de la sculpture grecque sur lesquelles repose la figure principale. Au milieu de ces couleurs pastel, notons également l’ingénieuse présence de roses esquissées, fleurs favorites de l’artiste placées non hasardeusement au centre de la composition.

Nommé professeur de dessin à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles à 36 ans, Émile Fabry est un artiste reconnu, aussi bien par la critique que par ses contemporains, pour la vision du monde édénique qu’il rend à travers ses œuvres. La construction de sa maison devenue atelier lui permet de s’exercer afin de répondre aux commandes monumentales qui se succèdent jusqu’à la Première Guerre mondiale, lorsqu’il se réfugie en Angleterre avant de revenir en Belgique en 1919.

M.O.

(1) « L’Art Moderne », Bruxelles 20 novembre 1892
(2) « L’Art Moderne », Bruxelles 28 janvier 1894

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