81 x 121 cm
Huile sur toile
Beau cadre en bois sculpté et doré à décor de rinceaux de feuillages, queues de cochon, coquilles et fleurettes d’époque Louis XV
Provenance :
Collection particulière, France
Ce tableau a nécessité un examen très approfondi pour en comprendre l’élaboration, les interventions récentes ayant modifié son format et son aspect. Il s’agit d’une seconde version d’une Flore signée appartenant à un ensemble de cinq tableaux dont certains datés de 1745, tous peints pour madame de Pompadour à Bellevue et aujourd’hui dispersés.
La première version de celle étudiée ici, reproduite dans Ananoff et Wtldenstein, 1976, I, n° 287, est conservée en collection particulière, comme deux autres des compositions de cet ensemble, les deux restantes se trouvant au De Young Memorial Museum de San Francisco. De certains de ces tableaux, et surtout des Nymphes, il existe plusieurs versions.
Comparer la première Flore que l’on appellera ici par facilité la « Flore Pompadour » avec la seconde version qui vient de reparaître est instructif. Le groupe, sur la toile acquise par madame de Pompadour, est de plus grandes dimensions que celui étudié ici puisque dans son cadre plus étroit i1 mesure déjà 116cm x 96cm, alors que celui étudié ici, situé dans un grand paysage, a pour dimensions 121 x 81cm. Le premier exemplaire est presque carré dans sa boiserie chantournée, le second présente aujourd’hui un format rectangulaire. Ce format rectangulaire est récent : jusqu’au XIX e siècle l’oeuvre état inscrite dans un ovale dont les marques de pointes sont encore perceptibles par endroits. Pour passer de cet ovale au rectangle, on a au XXe siècle déplié les bords du tableau, et les coins dégagés ont été repeints en une teinte monochrome. Le tableau a connu, peut-être au même moment que ce changement de format, un rentoilage. Enfin récemment, en 2006 semble -t-il, le tableau a ëté déverni, et ce dévernissage a entrainé, comme souvent chez Boucher, la perte relative des glacis
transparents nourris de pigments bruns et rouges que l’artiste utilisait toujours en les noyant dans le vernis pour donner les profondeurs et les carnations. La restauratrice Catherine Polnecq confirme avoir retrouvé sous ces vernis récents un bel état de conservation et une excellente qualité technique de l’ensemble, conforme à ce que l’on sait de l’excellent métier de l’artiste.
Une fois cette question des vernis modernes évacuée, elle a confirmé que mis à part les quatre angles modifiés, tout le tableau est de la même main et du XVIIIe siècle par sa toile d’origine et les pigments employés. En dehors même de la qualité d’écriture, divers éléments qui ressortent de la comparaison entre les deux versions confirment qu’il peut s’agir’ d’une seconde version autographe. Ainsi le chantourné des boiseries de la première version de Flore pour la Pompadour cache divers motifs qui sont ici mis en place avec la plus grande maitrise : prolongement des jambes de la suivante de Flore conforme aux dessins de Boucher sur le même sujet, équilibre de la draperie jaune sur laquelle Flore est assise bien qu’elle soit plus grande, couronne de fleurs complète avec sa mise en place sous-jacente encore visible sous le pastillage des fleurs, liberté du décor des nuages et des arbres - on voit par exemple au - dessus de la tête de Flore des feuilles masquant en partie un léger nuage blanc- , et surtout importance donnée au premier plan au bouquet de grandes feuilles d’acanthe, de très belle exécution, très fréquent chez Boucher depuis les années 1735, qui n’existe pas du tout dans l’autre tableau.
En même temps que cette liberté par rapport au premier tableau, on note aussi une connaissance très précise de la Flore Pompadour, par exemple dans la mention du léger ruban fermant la couronne sous les doigts de Flore alors que ce ruban est difficile à voir, ce qui permet d’affirmer que cette seconde version est faite en pleine connaissance de la première version. En dehors des ajouts existant dans le second tableau, on remarque aussi de nombreuses différences dans l’écriture des parties directement reprises de l’un à l’autre , par exemple pour le détail des fleurs ou encore le décor de feuilles à gauche, ou le sein gauche de la suivante. Cette aisance à écrire les mêmes motifs un peu différemment exprime la liberté du peintre par rapport à son modèle, ce qui oriente définitivement vers une version originale et non une copie. La rapidité partout visible de la touche (manche de la chemise, draperie jaune et bleue sur le genou), la densité du pinceau et la mise en place sous - jacente bien visible par endroits ( jambe de Flore) vont eux aussi dans le sens d’un second original.
Les pigments utilisés sont ceux de la palette ordinaire de Boucher : si les rouges rapportés autour des doigts pour marquer les carnations sont un peu affaiblis par le dévernissage des années 2000 , on retrouve pour le reste toute la palette de Boucher en particulier ces noirs que l’artiste maitrise parfaitement contrairement à ses contemporains, et ces blancs très efficaces, tombant depuis le haut d’abord sur les épaules de Flore, puis sur la poitrine de sa suivante et les jambes des deux femmes. Dans le détail de la pose des blancs, le contour des feuilles évoque les dessins de végétaux de l’artiste dans lesquels un bord de feuilles dans la lumière est uniquement traité par les blancs. De manière générale, la finesse du traitement des détails et la différenciation de la matière sont d’une expressivité remarquable ; on notera par exemple la légèreté des cheveux de Flore eni’ou1és sur le front, 1’ élégance du bouquet
dans la main, à peine posé, sauf pour une fleur rouge qui fait écho aux autres rouges du tableau ( fleurs, lèvres et joues des deux femmes , ruban dans les chevaux, pointe des seins), la rapidité de la touche exprimant les cheveux blonds de la suivante en les tirant en longueur avec une brosse épaisse pour les différencier des cheveux noirs plus fins de Flore, la touche de blanc dans l’œil, la souplesse de 1’épaule de Flore dont on voit que son contour oseille doucement sous le pinceau, la légèreté et le fouetté de ce même pinceau dans les draperies de la partie basse. ..
Malgré son agrandissement, ses rentoilage et dévernissage récents, l’ensemble mérite de retrouver sa place d’œuvre autographe, la présence harmonieuse d’éléments absents de l’autre tableau, les nombreuses variantes entre les deux, le détail des effets, l’usage particulier de certains pigments, la pose des ombres, la liberté réelle de l’exécution conduisant tous à y voir une seconde version originale. François Boucher a beaucoup réalisé de secondes versions à la demande des amateurs, dans un laps de temps court après le premier tableau* ; ces premières et secondes versions ne sont pas obligatoirement signées ; la seconde ne présente généralement pas de mise en place ni de repentirs car elle est faite entièrement de mémoire, ce qui explique aussi certaines légères variantes qu’un copiste servile aurait évidemment évitées.
Il est difficile de dire où se trouvait le tableau au XVIIIe siècle, d’autant plus que ses dimensions et son format ont changé ; il s’agissait probablement d’un tableau inséré dans une boiserie.
Françoise Joulie