Jacques LARUE dit Mansion (Nancy, 1739 – 1804)

Jeune bergère implorant son amant de rester / Jeune bergère en colère contre sa mère

17,5 x 21 cm chaque

1777.
Deux huiles sur toiles ovales formant pendant.
Signées et datées LARUE 1777 en haut à droite.

Provenance
· France, collection particulière.

Le théâtre de la pastorale fut l’une des créations du galant XVIIIe siècle. Au temps de Callot et de Watteau, ce ne sont encore que des divertissements populaires et grossiers, héritiers de la Commedia dell’Arte, joués sur des scènes provisoires pendant les foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent. Mais au milieu du siècle déjà, François Boucher peut trouver son inspiration dans les spectacles raffinés d’un genre nouveau, et tout spécialement les pièces de Charles-Simon Favart (1710-1792) comme Les Vendanges de Tempé de 1745. Dans les années 1740, Favart commença en effet à exploiter une veine originale, faisant rire et émouvoir le public par l’ingénuité touchante de ses rustiques protagonistes plutôt que par leur stupidité et naïveté et n’hésitant pas à reprendre les trames des grands opéras. Chez Favart, l’Arcadie peuplée de Climènes et de Palémons se mua en outre en une campagne française où s’aimaient Lisettes et Colins. Danseuse et interprète hors pair, la femme du dramaturge, Marie Justine Favart, fut non seulement la première à abandonner les costumes fantaisistes et la pantomime grotesque au profit des tenues et gestes plus réalistes, mais composa également plusieurs opéras-comiques parmi les plus célèbres, dont Les Amours de Bastien et Bastienne de 1753 ou La Fille mal gardée de 1758 qui rencontra un succès extraordinaire.

Dans ce répertoire aux intrigues sophistiquées, rebondissements, ruses, indiscrétions et tourments amoureux, Boucher et ses émules pouvaient puiser des situations inédites et des dispositions scéniques que les spectateurs, habitués du théâtre, se plaisaient à reconnaître. Tantôt moralisatrices, tantôt libertines, ces pastorales s’épanouissaient le mieux en petits cycles narratifs : dessus de portes, séries gravées ou dessinées. On peut ainsi citer les gouaches des Amours champêtres présentées par Pierre-Antoine Baudouin au Salon de 1765-1767 aux titres évocateurs : La Chaumière ou la mère qui surprend sa fille sur une botte de paille, La Visite de l’amant ou Une jeune fille querellée par sa mère. Certaines œuvres de Baudouin annonçaient clairement leur source théâtrale, tels Rose et Colas d’après la pièce de Sedaine et Monsigny jouée à l’Hôtel de Bourgogne en 1764.

Nos charmants petits pendants appartiennent au même genre de pastorales théâtralisées. La première montre une jeune femme, cheveux et vêtements en désordre, essayant de retenir son amant, lui aussi accablé de tristesse. Les détails renseignent sur la tendre relation des deux bergers : deux petits chiens, roses dans un vase, guitare avec une corde rompue, rubans bleus et roses qui ornent les chapeaux de paille et la houlette. La seconde huile ovale met en scène la même bergère vêtue de soie cramoisi. Les sourcils froncés, elle lance un regard plein de reproches et de colère à sa vieille mère en sabots qui fait bouillir le linge. Comme dans son pendant, plusieurs éléments parlants viennent expliquer les raisons de la querelle : une cage ouverte d’où s’échappe un petit oiseau, un chien qui aboie ou une rose jetée par terre.
Chaque huile est conçue comme un théâtre miniature, avec les décors faussement rustiques qui contrastent avec les mises élégantes des protagonistes-acteurs. Elles demeurent cependant profondément unies par le sujet, l’équilibre des masses, l’agencement chromatique – à dominance bleu clair et ocre à gauche, incarnat et blanc laiteux à droite –, ainsi que par de nombreuses allusions plus ou moins savantes, comme le mythe de Vertumne et Pomone.

La délicatesse du coloris, la finesse de la touche, le fini porcelainé s’expliquent par le fait que l’auteur de nos œuvres, le Lorrain Jacques Larue, était avant tout miniaturiste. Grâce au recensement révolutionnaire de Nancy de l’an IV (1785), nous savons qu’il était né en 1739 car il se déclara alors être âgé de quarante-six ans. Fils de Jean-Louis Larue, marchand boucher, il tenait son surnom Mansion, toutefois peu utilisé, de son beau-père, le peintre André Mansion.

Larue fut formé auprès de Jean Girardet (1709-1778), peintre du roi Stanislas puis de la reine Marie Leszczynska, enseignant patient et passionné, dont l’atelier de Lunéville faisait office d’Académie. Avec le miniaturiste François Dumont, le paysagiste Jean-Baptiste Claudot, le peintre d’histoire Joseph Laurent et de natures mortes Dominique Pergaut, Larue comptait parmi ses meilleurs disciples. Il travaillait à l’huile et en miniature, et parait s’être constitué, à Nancy, une clientèle fidèle. Le peintre fut l’un des rares artistes lorrains à signer la pétition du 2 septembre 1792 pour la sauvegarde de la statue de Louis XV de la place Royale de Nancy.

De trois enfants qu’il eut avec Élisabeth Claude, deux furent formés dans l’atelier et devinrent des miniaturistes estimés : Marie-Catherine (née en 1768), et Léon-André (1785-après 1848). Ce dernier, qui signait le plus souvent Mansion, poursuivit son éducation à Paris chez Jean-Bapstite Isabey, lui aussi ancien élève de Larue, et eut une carrière brillante.

Nos pendants permettent de découvrir une facette méconnue de Jacques Larue dont le corpus identifié ne se compose que de quelques rares portraits et natures mortes signés. Ici, on le retrouve sensible à l’art de Versailles et de Paris et au fait des créations de Boucher, de Greuze et de Baudouin largement diffusées par la gravure. À la fois peintures et miniatures, nos toiles laissent aussi entrevoir le goût raffiné des amateurs nancéens.
A.Z.

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