61 x 50 cm
Vers 1820
Huile sur sa toile et son châssis d’origine
Ancienne étiquette de vente au verso sur le châssis « GERARD (Attribué au baron) » sous le numéro 96
Provenance :
• Probablement vente du 1er décembre 1890, Tableaux anciens, nombreux portraits des XVIIe et XVIIIe siècle et tableaux modernes...2.e Vente, collection de Mazaroz-Ribalier, sous le n°79 « GERARD (Genre du Baron F.) Portrait présumé de Mlle Mars. »
• France collection particulière.
Bibliographie :
• Elisa Aclocque, Souvenirs anecdotiques sur Mademoiselle Mars, Librairie de Chaumerot, Paris, 1847
• Anne-Marie de Brem, Louis Hersent : peintre d’histoire et portraitiste, [cat. exp.], Paris : Paris-musées, Musée de la vie romantique, 29 septembre 1993 - 9 janvier 1994
• Patrick Shawcable, « Louis Hersent », La Gazette des Beaux-Arts, janvier 1999, p. 20-21.
« M. Hersent n’était pas seulement un grand peintre,
il était encore homme d’esprit, de goût et de jugement, et par-dessus tout homme de bien. »
Injustement écarté de l’histoire durant plus d’un demi-siècle, Louis Hersent fut pourtant l’élève des plus grands noms de son temps dont Jacques-Louis David (1748-1825) et Jean-Baptiste Regnault (1754-1829), et connut une grande notoriété sous la Restauration et la Monarchie de Juillet.
Le jeune artiste débute une carrière de peintre d’histoire, inspiré par les plus grands pinceaux dont celui du baron Gérard (1770-1837). De cette influence, Hersent réalise de nombreux portraits d’apparat dans la même veine, tel que le portrait du maréchal de Masséna (Nice, villa Masséna, inv. MAH 3255), ce qui conduisit par ailleurs à de nombreuses erreurs d’attribution dont notre portrait est un exemple probant. En effet, collée sur le châssis de notre œuvre apparaît une étiquette ancienne de vente mentionnant une attribution au Baron Gérard.
« Des amateurs, dignes de ce nom, ont un moment cru y reconnaître la touche de M. Gérard. Rien de plus flatteur assurément pour M. Hersent, mais j’ose croire aussi que M. Gérard ne se plaindra pas de la méprise. »
Après une étape à Rome durant laquelle il ne retient que le traitement de la lumière, Hersent revient en France et assiste à l’affaiblissement de l’autorité académique qui lui permet de se convertir à la peinture romantique, courant dirigé par l’exotisme que l’artiste intègre volontiers à ses œuvres. Renommé par sa présence au Salon depuis 1802, c’est suite au franc succès du Salon de 1824 qu’il choisit de se consacrer presque exclusivement à l’art du portrait essentiellement féminin dont la grâce gagnait beaucoup entre ses mains.
Notre tableau présente l’un de ces portraits très demandés, bien souvent femmes illustres, épouses et jeunes femmes convoitées. En dépeignant ces profils de la haute société, l’artiste trouve une clientèle sélectionnée avec soin profitant de ses dons pour tracer le souvenir de leur juvénile beauté et multiplier les commandes. La plupart de ses modèles posent en intérieur. Dans notre œuvre, la jeune femme semble poser en extérieur, entourée d’un ciel boisé orageux contrastant avec son éclatant teint ivoire poudré. Serré contre sa poitrine, elle tient dans sa main droite un petit carnet dont elle semble retenir une page par un doigt glissé à l’intérieur.
Les traits du visage de notre modèle peuvent être rapprochés de ceux d’Anne Françoise Hippolyte Boutet, dite Mademoiselle Mars (1779-1847), sociétaire de la Comédie française notamment par une comparaison établie avec une œuvre d’après le baron Gérard (ill. 1).
« Cette inimitable actrice qui fit pendant tant d’années la gloire, la fortune de la Comédie-Française ; de cette femme pour laquelle Marivaux et Molière durent retrouver un dernier soupir du fond de leurs demeures sombres et froides. »
Le petit carnet qu’elle tient pourrait bien être un carnet de notes personnelles faisant écho à sa carrière. Aux dires de ses contemporains, Mademoiselle Mars est, dans les années 1820, une comédienne triomphante de la Comédie française dont le succès lui apporte une autorité absolue sur ses camarades. Elle participe notamment à remettre Molière et Marivaux au goût du jour. Elle interprète la duchesse de Guise dans Henri III et sa cour d’Alexandre Dumas (1829), Doña Sol dans Hernani de Victor Hugo (1830) ou encore Desdémone dans Le More de Venise d’Alfred de Vigny (1834).
« Pourquoi donc vous a-t-on appelée Mars ? « Ahl ah ! petite jacasse (c’était le nom qu’elle me donnait quand le baromètre revenait au beau fixe) ; je vais vous le dire. Le nom de Mars me vient de ma mère. Ma mère habitait Carcassonne, était de bonne famille ; et très belle. S’étant laissé enlever, elle entra au théâtre, où, pour dérouter sa famille, qui poursuivait son ravisseur, on lui donna plutôt qu’elle ne prit le nom de Mars. — Ce nom se perdit dans les coulisses, et voici à quelle occasion il me fut rendu à titre d’héritage.— Une tireuse de cartes que j’allai consulter un soir en compagnie de Talma m’annonça un immense succès et un grand nombre de conquêtes ; la prédiction fut ébruitée, et désormais le nom de Mars devint mon nom de guerre. — Ma sœur, qui était aussi au théâtre à cette époque, voulut en partager la gloire, et le public nous distingua ainsi jusqu’à sa mort : Mars ainée, Mars cadette. Voici la vraie vérité. »
Vêtue à la dernière mode, elle porte une vaporeuse robe de mousseline blanche laissant apparaître ses épaules, rehaussée sur la poitrine d’une fine dentelle, ainsi que de gaze transparente sur les manches mettant en valeur la blancheur de sa peau. Sa coiffure s’inscrit dans la lignée des dignes silhouettes de l’époque Empire. Ce haut chignon ceint d’un bandeau d’or duquel s’échappent d’épaisses boucles savamment disposées autour de son visage rappelle celui porté par Hortense de Beauharnais dans le célèbre portrait peint par Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson (Amsterdam, Rijksmuseum (inv. SK-A-4943)).
Un élégant châle de cachemire rouge brodé de motifs floraux, tombé de ses épaules et retenu par son bras droit entoure son buste. Élément indispensable de l’accoutrement féminin, collectionné par l’Impératrice Joséphine, le châle de cachemire apparaît dans la plupart des portraits féminins de la première moitié du XIXe siècle. Très couteux, symbole d’appartenance, il traduit instantanément une condition sociale élevée (ill. 2).
D’une touche souple et enveloppée, Hersent gratifie son modèle d’un regard doux et délicat, rendant avec justesse l’harmonie éclatante des teintes qui allient douceur et rondeur gracile. Bien qu’il soit difficile de déterminer l’âge du modèle, une certaine candeur émane de ce regard évasif et presque espiègle, comme interrompue dans ses pensées. L’artiste prend le soin de souligner la finesse des traits du visage en le rehaussant de pommettes et d’une bouche rosées.
Loué pour la justesse et la précision de son pinceau, Hersent fait preuve d’une rigueur dans le dessin qu’il englobe par la suite dans la matière. C’est notamment dans le traitement des chevelures, ayant presque valeur de signature chez l’artiste, que l’on décèle sa virtuosité. Tout comme dans le portrait de l’écrivaine Delphine Gay (ill. 3), les onctueux traits de pinceau permettent de souligner l’ingéniosité avec laquelle l’artiste capte la lumière et retranscrit les effets de brillance de la chevelure.
Hersent jouit d’une science de l’éclat et de la douceur qu’il exprime avec poésie dans chacun de ses portraits. Ses dons de coloriste, conjugués à sa maîtrise de la lumière, lui permettent de rendre ses œuvres vivantes en créant systématiquement un contraste saisissant entre le fond et le modèle. Portraitiste romantique de renom, Hersent connaît un succès grandissant en jouant tantôt de l’harmonie des étoffes tantôt des effets de transparence, comme ici de l’organdi qui magnifie l’ensemble et exprime, par des touches fondues, passion et mélancolie.
Le climat doux et sensuel de notre œuvre laisse penser qu’il s’agit d’une commande privée, réalisée à l’apogée de la carrière de Hersent, lorsque l’artiste élève l’art du portrait à son plus haut niveau d’exigence manifestant son sens de la psychologie tout autant que sa maîtrise technique.
M.O