Mathieu Ignace VAN BRÉE (Anvers, 1773 – 1839)

Bonaparte prend sous sa protection la Religion, l’Innocence, la Nature et les Arts, et rend à la Justice son glaive et sa balance

40,5 x 53,4 cm

1801-1802.
Pierre noire, plume et encre brune, lavis gris et rehauts de blanc.
Mise au carreau à la pierre noire

Provenance
· Collection de l’artiste, Anvers (cachet de succession aux initiales de l’artiste en bas à gauche, Lugt 1881).
· France, collection particulière.

Le père de Mathieu van Brée fut peintre décorateur et restaurateur de tableaux. Remarquant les talents de ses deux fils , il les confia à l’Académie d’Anvers. Mathieu y suivit l’enseignement du paysagiste et peintre de genre Petrus Johan van Regemorter et de Guillaume Schaeken. Il se montra tellement habile qu’il fut nommé professeur-adjoint de l’Académie dès 1794 et put ouvrir son propre atelier. Résolument néoclassique, fasciné par la nouvelle orientation qu’imprima David à l’art français, Van Brée profita de l’annexion des Pays-Bas autrichiens par la France pour partir en 1796 parfaire sa formation à Paris chez François-André Vincent. Au contact de son maître et des davidiens, sa manière s’affina et la Mort de Caton d’Utique qu’il présenta au concours du Prix de Rome de 1797, à peine réinstauré après la suppression de l’Académie six ans auparavant, remporta le second prix.

Ayant demandé à voir les tableaux primés au Concours général, Joséphine admira tout particulièrement l’œuvre de Van Brée et lui commanda quelques toiles pour ses demeures, ainsi que son aide dans la constitution d’une collection de peintures flamandes. La réussite parisienne de l’artiste lui gagna également l’affection de Charles Joseph Fortuné d’Herbouville, nommé en 1799 par Bonaparte préfet du département des Deux-Nèthes dont Anvers était le chef-lieu. Soucieux du développement du commerce et des sciences, mais également conscient du renom artistique de la cité qu’il administrait, Herbouville joua un rôle primordial dans la réorganisation de l’Académie renommée École spéciale de peinture, sculpture et d’architecture. Et c’est grâce à son entremise que la municipalité d’Anvers sollicita en 1801 Van Brée, seul capable de réunir « dans ses compositions au beau style de la nouvelle école française, le coloris de l’école flamande » , pour une grande toile à la gloire de Bonaparte et du renouveau républicain.

Deux ans plus tard, l’imposant tableau était terminé et on l’exposa, entouré d’autres œuvres récentes des artistes anversois, lors d’un grand salon organisé à l’occasion de la visite officielle du Premier Consul le 18 juillet 1803 . Afin de permettre une lecture plus aisée de son programme complexe, le peintre rédigea un petit texte explicatif qui fut imprimé à Paris .

Si l’œuvre est aujourd’hui perdue, ce livret, ainsi qu’un dessin conservé au Stedelijk Prentenkabinet du Museum Plantin-Moretus d’Anvers et la feuille que nous présentons et qui ne concerne que la partie centrale permettent d’en imaginer l’ambitieuse composition. Bonaparte est au centre, debout, le glaive et la balance dans la main droite (absents de notre dessin), le bras gauche armé d’un bouclier romain rectangulaire (scutum) – Van Brée le nomme « l’égide » – qu’il prosterne au-dessus de plusieurs allégories féminines.

Derrière le Premier Consul se tient Minerve : plus grande que les autres figures pour marquer sa puissance, elle symbolise la France. La déesse pose sa main droite sur l’épaule de Bonaparte, tandis que de la gauche, « elle ombrage son front d’une couronne de lauriers ». Dans le dessin d’Anvers, Minerve tient deux couronnes : la seconde, d’étoiles, consacre l’immortalité. Auprès du Consul, cherchant sa protection, se massent plusieurs allégories : l’Innocence qui l’enlace, la Religion à genoux, reconnaissante, la Justice soutenue par la Vertu ailée (un putto tient son miroir) et qui tend les bras vers ses attributs que lui remet Bonaparte, la Peinture reconnaissable à sa palette et la Sculpture occupée à tailler le buste du chef de l’État « destiné à transmettre les traits du Consul à la postérité la plus reculée ».
Si toutes sont peu ou prou conformes à l’iconologie traditionnelle, la Nature a de quoi surprendre. Van Brée la représente avec quatre seins et plusieurs enfants : trois dans notre feuille et quatre dans celle d’Anvers. L’archiviste Armand-Gaston Camus qui accompagna Bonaparte en 1803 et rédigea une description en deux volumes des nouveaux départements du Nord, ne cacha pas sa désapprobation malgré les explications du peintre « que les Egyptiens peignoient la nature sous l’emblème d’une femme dont le corps est presque entièrement couvert de mamelles ». Dans cette « tendre mère… entourée de quatre enfans, pour indiquer les quatre saisons, qu’elle allaite successivement », Camus ne vit qu’une difformité qui tranchait trop avec les gracieuses Allégories. En réalité, seuls les quatre putti-saisons semblent être de l’invention de l’artiste. Quant à la Nature, l’image d’une femme nue à plusieurs mamelles est utilisée depuis la Renaissance : on la retrouve ainsi chez Maerten Van Heemskerck ou Gabriel de Saint-Aubin.

L’absence du quatrième enfant et des attributs de la Justice, ainsi que le vase d’encens de la Religion posé par terre et supprimé dans le dessin d’Anvers confirment l’antériorité de notre esquisse. Traitée tout en volume à la manière d’un haut-relief, elle s’attache surtout à considérer le clair-obscur. A contrario, linéaire et descriptive, la feuille anversoise explicite le groupe central et l’inscrit dans une composition plus vaste avec le trio formé par Cérès, la Paix et Mercure assis sur l’ancre de l’Esperance, les dieux de l’Olympe dans les nuées, les Renommées, le char du Soleil et, à droite, la foule des anversois en liesse. En revanche, le trait ici est sec et descriptif, tandis que dans notre dessin la ligne est plus vive et enthousiaste.
L’accueil bienveillant que Bonaparte réserva à l’allégorie de Van Brée incita Joséphine à commander au peintre une immense toile commémorant leur entrée à Anvers et regroupant près de deux cents portraits des notabilités françaises et anversoises, exécutés d’après nature (huile sur toile, 372 x 610 cm, Versailles, inv. MV 1501). Avant même de commencer son travail et prétextant le quatrième anniversaire du 18 brumaire, l’artiste offrit à Joséphine une autre composition allégorique, La France menacée par l’Angleterre, non localisée aujourd’hui. L’année suivante, alors qu’Herbouville le nommait premier professeur de l’Académie d’Anvers recréée, Van Brée livra à sa ville natale une toile intitulée La France rendant l’Escaut gouvernable, sa toute dernière œuvre allégorique documentée. Ses dimensions étaient si imposantes qu’il ne fut pas possible de l’exposer au Salon de 1805. Retouchée en 1815 pour supprimer les figures de Napoléon et de Joséphine, la toile ne survécut pas aux tumultes de l’histoire.

Notre dessin est ainsi le rare témoignage des compositions allégoriques grandiloquentes typiques de la Première République et des années du Consulat. Héritières du langage symbolique de l’Ancien Régime et malgré leur succès indéniable, elles furent bientôt supplantées, y compris dans l’œuvre de Van Brée lui-même, par des sujets historiques.
A.Z.
transl. chr

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Denis COEKELBERGHS, Pierre LOZE, 1770-1830 : Autour du néo-classicisme en Belgique, cat. exp. Ixelles, Musée communal, 1986, p. 158, sous cat. 118.

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